Publié le Mercredi 16 décembre 2020 à 12h03.

Entre deux mondes, d’Olivier Norek

Pocket Thriller, 378 pages, 7,50 euros.

Juin 2016, « Jungle » de Calais. Destination « Youké » [UK] pour des milliers de damnéEs de la terre. Un responsable policier déclare : « La frontière de l’Angleterre est à Calais pas à Douvres. Les British paient cher pour que ça demeure comme ça. Les migrants fuient leur pays en guerre vers lequel on ne peut pas les renvoyer mais de l’autre côté (Angleterre) on les empêche d’aller. C’est une situation de blocage. » Les migrantEs sont coincés et font penser à des âmes coincées « entre deux mondes ».

L’auteur du roman, Olivier Norek, est un ancien flic qui, après une expérience dans la Yougoslavie en guerre et 18 ans de « criminelle » en Seine-Saint-Denis, s’est mis en disponibilité pour écrire des romans policiers, et a vite rencontré le succès1. Entre deux mondes est un roman avec des policiers, des crimes de sang, des enquêtes, des coups tordus des « services » mais c’est aussi un grand roman social où éclot une « fleur d’humanité sur le lisier d’inhumanité totale de la vie des réfugiés, entre deux mondes ».

Damas, Calais

Damas. Adam, père de famille syrien, est un policier gradé de Bachar al-Assad. Il a rallié la résistance et sa famille est en danger. Lorsqu’un membre de son réseau est arrêté, il sait qu’il n’a que quelques heures pour organiser la fuite de sa femme et de sa fille, Nora et Maya. Elles devront passer par la Libye, traverser coûte que coûte la Méditerranée, gagner Calais où il les rejoindra pour aller en Angleterre ensemble.

Calais. Bastien est un flic bien noté à Bordeaux mais, suite à la dépression de Manon sa femme, il demande sa mutation à Calais, berceau familial de son épouse. Ils ont une fille Jade. Bastien découvre très vite le boulot sordide qu’il va devoir faire par rapport aux migrants.

La « Jungle »

Le camp de réfugiéEs de Calais avait été construit en bordure d’une forêt. Les IranienEs qui arrivèrent en premier l’appelèrent « Jangal » (la forêt en persan) qui devint très vite « La Jungle » pour tout le monde (migrantEs, flics et CalaisienEs).

À Damas, Adam est muté dans un centre de la mort dont il parvient in extremis à s’échapper. Il part à son tour pour Calais. Sa femme et sa fille n’y sont pas. Il s’installe à l’entrée du camp pour ne pas rater leur arrivée. Il passe ses journées à montrer leur photo aux autres migrantEs. Une nuit, les cris terribles d’un gamin l’interpelle. Il découvre un lieu de prostitution géré par les « Afghans », il arrive à sortir le gosse de ses tortionnaires. Ce dernier est gravement blessé à l’anus et Adam, qui parle français, n’hésite pas à prendre contact avec les flics qui surveillent le camp. À l’hôpital, il rencontre le flic Bastien qui lui explique qu’il n’a pas le droit d’enquêter à l’intérieur du camp. Adam rentre au camp avec le gosse soigné mais il sait qu’il va devoir lutter pour sa peau et celle du gamin d’origine soudanaise. Ce dernier a été rendu muet au cours de la guerre civile de son pays par section de la langue. Adam le prend sous sa protection. Des meurtres vont être commis dans la « Jungle » et le flic syrien ne comprend pas l’attitude de la police française. Il parvient à convaincre Bastien d’enquêter avec lui. On va découvrir très vite que la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) a des mouchards à l’intérieur du camp. L’arrivée d’un cadre de Daesh au camp va précipiter les évènements et faire rentrer dans le « jeu » la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). Les services vont manipuler Bastien pour qu’il manipule Adam en échange de promesses. Adam saura repérer l’intégriste mais, une fois celui-ci abattu, les « services » ne tiendront pas promesse.

Un suspense au service de la cause des migrantEs

Pour écrire ce polar, l’auteur s’est immergé dans la « Jungle » via une association d’aide aux migrantEs. Il a pu y comprendre la complexité des relations entre communautés qui doivent survivre dans un enfer où la chance de toucher le Graal « Youké » est quasi nulle. Il décrit les techniques en général vaines pour passer en Angleterre et, avant de décrire le quotidien calaisien des migrantEs, il a pu recueillir aussi des témoignages bouleversants sur l’enfer du parcours des réfugiés. Norek ne cache rien sur la situation en Syrie, en Libye ou au Soudan et sur l’hécatombe que représentent les traversées de la Méditerranée.

Si l’émotion peut parfois submerger les lecteurEs tant l’auteur a lui-même été bouleversé par son expérience, Norek écrit un polar et il n’oublie pas son intrigue et avance les pions d’un drame complexe qui déborde les frontières du thriller. Il n’y aura pas de « happy end » final.

Fin 2016, la « Jungle » de Calais est démantelée sous les yeux de Bastien. Sans solution pour les migrantEs.

  • 1. Olivier Norek est l’auteur, entre autres, de la trilogie du capitaine Coste (Code 93, Territoires et Surtensions). Il a reçu les prix du Polar européen, de la Maison de la presse et de Babelio Polar.