Mercredi dernier, le 7 juin, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris examinait le maintien ou non des mises en examen de neuf membres du Comité permanent amiante (CPA) pour « homicides et blessures involontaires ». Une procédure qui se déroulait à huis clos et lassait donc à la porte du tribunal les principaux intéresséEs, dont plus d’une centaine, veuves, victimes, étaient rassemblés à Dunkerque.
Selon les autorités sanitaires, l’amiante pourrait provoquer en France jusqu’à 100 000 décès d’ici 2025. « Sur les chantiers navals de Dunkerque, on était 3 000 salariés et 3 000 sous-traitants. À ce jour dans notre association, on dénombre 670 décès directement liés à l’amiante », rappelle Pierre Pluta, 70 ans, ancien ouvrier de la Normed à la tête de l’association régionale pour la défense des victimes de l’amiante du Nord-Pas-de-Calais (ARDEVA).
Pour Michel Parigot, 60 ans, chercheur en mathématiques au CNRS et président du Comité anti-amiante de Jussieu, « les employeurs ne sont pas seuls en cause, les responsables au niveau national doivent rendre des comptes ».
Des victimes qui s’obstinent
Ce sont l’ARDEVA et le Comité anti-amiante de Jussieu qui ont relancé la procédure alors que les premières plaintes remontent à plus de vingt ans. Las de voir s’enliser leurs dossiers au pôle judiciaire de santé publique de Paris, ils espèrent voir enfin jugées un jour les responsabilités nationales de ce tragique scandale sanitaire.
Ils dénoncent « un puissant lobbying des industriels de l’amiante qui a organisé la désinformation des pouvoirs publics » et « des comportements négligents voire accablants » qui auraient aggravé la mise en danger des salariés exposés à la substance toxique. À Dunkerque, sur les chantiers navals, les ouvriers inhalaient les poussières d’amiante qui flottaient dans l’air. À Jussieu, les employés et universitaires travaillaient dans des bâtiments floqués d’amiante.
Les neuf mis en cause ont tous appartenu, entre 1982 et 1995, au CPA, créé et financé par les industriels de l’amiante dont les membres étaient issus des milieux industriel, scientifique, médical, syndical ou de la haute fonction publique liés aux ministères du travail, de la santé ou de l’industrie. Ils sont soupçonnés d’avoir exercé auprès des pouvoirs publics un lobbying visant à retarder l’adaptation de la réglementation et à éviter l’interdiction de cette fibre cancérogène bannie en France depuis le 1er janvier 1997. Soupçonnés de conflit d’intérêts, ils n’auraient pas tout fait pour éviter une catastrophe sanitaire malgré les alertes scientifiques de l’époque.
Leur mise en examen dans les dossiers de la Normed à Dunkerque et du campus de Jussieu datent de 2012, mais avaient été annulées par la cour d’appel de Paris avant que la chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie par les parties civiles, ne revienne sur cette décision : elle avait refusé d’établir un lien entre l’ampleur de la catastrophe sanitaire et la réaction tardive des autorités, malgré la multiplication des alertes des scientifiques en France, mais aussi de la part des autorités sanitaires américaines ou des directives européennes.
Délibéré au 15 septembre
À l’issue d’une longue journée d’audience, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a mis sa décision en délibéré au 15 septembre. Ces dossiers très techniques représentent près de 80 tomes et demandent un travail colossal, ce qui explique en partie leur mise en sommeil par une justice pénale qui n’a pas les moyens d’éplucher des dossiers aussi complexes.
Si ces mises en examen étaient maintenues, cela ouvrirait la voie, vingt ans après le dépôt des premières plaintes, au premier procès pénal de l’amiante en France.
Les décisions de tribunaux à l’étranger, notamment en Belgique et en Italie où un ancien ministre de Mario Monti a été condamné à une peine de prison pour « homicides et blessures involontaires », ont insufflé un nouvel espoir.
Robert Pelletier