Publié le Lundi 7 décembre 2020 à 11h26.

Eboueurs de Paris en grève : une lutte qui donne confiance

Fumigènes allumés, drapeaux au vent, banderoles déployées « Hidalgo sacrifie les héros ni oubli ni pardon », le toit de la DPE (Direction de la propreté et de seaux) est occupée par les éboueurs et éboueuses de la ville entrés en grève « reconductible et illimitée » le mardi 17 novembre à l’appel du syndicat CGT-FTDNEEA (Filière traitement des déchets, nettoiement, eau, égouts, assainissement). Aux pieds de la DPE, autour des poubelles qui brûlent un rassemblement d’éboueurs s’est formé pour soutenir l’action de leurs collègues, avec quelques soutiens étudiant.es et Gilets jaunes notamment. L’avenue est jonchée de milliers de dépliants municipaux balancés du toit. La mobilisation est massive, plus de 50 % des ordures n’ont pas été ramassées. Et pour cause, ils sont gravement menacés par la mise en place de la loi de transformation de la fonction publique qui vise à casser leur statut, leur fait perdre 8 jours de congés et 11 de RTT et restreindre le droit de grève en le soumettant à déclaration préalable notamment.

Précédemment, d’autres mouvements de grève liés à la crise sanitaire avaient déjà éclaté dans les ateliers d’éboueurs du 6e arrondissement, la Mairie de Paris n’ayant rien mis en place pour protéger les agent.es suite au deuxième confinement. Durant deux semaines, ils se sont auto-organisés en assemblées générales pour sortir de l'atomisation entretenue par la direction. Ils mènent alors une grève largement suivie dans l'arrondissement, comptant presque 100% de grévistes chaque jour. En soutien, des tracts, diffusés par des étudiant.es, dénoncent des conditions de travail indignes d'un métier pourtant indispensable : les surcharges de travail source de nombreuses maladies et accidents du travail, le flicage des travailleurs, la répression antisyndicale, le racisme. Nous rencontrons l’un des grévistes.

 

Est-ce que tu peux revenir sur les raisons de la grève, les revendications ?

Le confinement on l’a appris comme tout le monde à la télévision sans que rien ne soit prévu en amont pour notre santé et sécurité. On a déjà vécu ça lors du premier confinement : il y a eu un gros laps de temps entre l’annonce, le CHSCT et la mise en place de mesures, d’ailleurs insuffisantes. Cette fois on a décidé de prendre les devants et de taper du poing sur la table. On voulait que ça bouge tout de suite, la grève est partie de là.

D’une part on voulait que les mesures adoptées lors du premier confinement soient remises en place : on revendiquait la réduction de l'activité aux tâches strictement nécessaires, au maintien de la salubrité publique et ce qu’on appelle le « fini-parti », c’est-à-dire qu’un fois que nos tâches essentielles (le ramassage des ordures et le déblayage des marchés) sont terminées on puisse rentrer chez nous pour ne pas être entassés dans les ateliers. Pour la même raison on a aussi revendiqué une réduction des effectifs présents. La promiscuité dans les vestiaires, l'exiguïté des locaux en souterrain, où les travailleurs déjeunent, se changent et se lavent, démultiplient les possibilités de contamination. Parfois on se retrouve à 20 dans moins de 20 mètres carrés, les conditions sanitaires ne sont pas du tout respectées ! On a aussi demandé à ce que le protocole sanitaire concernant le nettoyage des locaux soit réappliqué. Enfin on a décidé de ne pas se faire avoir comme lors du premier confinement, où la Mairie de Paris avait profité de la baisse du tonnage d’ordure pour nous surcharger de travail : la réduction d’ordures avec la fermeture des restaurants était d’environ 50 % mais ils ont réduit les bennes de 70 %. On se retrouvait à faire le travail de deux personnes dans le même temps de travail. Donc on a demandé à ce qu’il n’y ait pas de réduction de bennes. Ils ont utilisé le premier confinement pour faire des économies sur notre dos alors qu’on est un service public, ça ne passera pas lors du second !

 

Comment est parti le mouvement de grève et comment vous vous êtes organisés ?

Le mouvement est parti de la base, syndiqués et non syndiqués. On avait mis en place un groupe de discussion en ligne lors du mouvement de grève contre la réforme des retraites. Dans le 6e arrondissement il y a quatre ateliers éparpillés et on s’est rendu compte qu’on communiquait peu entre collègues. Donc on a créé un groupe pour discuter de nos conditions de travail. Ça nous a permis d’avoir une vision plus globale de ce qui se passe dans nos ateliers et on a appris à mieux se connaitre. Dès l’annonce du confinement le mouvement de grève a commencé à s’organiser. Un collègue a lancé l’idée qu’il fallait faire quelque chose et on s’est mis d’accord sur le type d’action : on a commencé par une heure de grève en début de service grâce à un préavis de Solidaires qui couvrait toute la fonction publique (il n’y avait pas de préavis déposé par le syndicat principal du nettoiement). Tous les agents étaient d’accord, 100 % des collègues étaient en grève, du jamais vu dans le 6e ! L’avantage des une heure de grève en début de service c’est qu’on est tous présents et ça nous laisse du temps pour organiser des assemblées générales par atelier, discuter de la mobilisation sans perdre trop d’argent. La paye c’est notre faiblesse, avec toutes les primes, un éboueur ne touche pas plus de 1500 euros net... Et on a utilisé la boucle de discussion pour faire le lien entre les différentes AG. Ça a eu tout de suite un impact sur les collectes et la Mairie de Paris a dû faire venir des bennes supplémentaires l’après-midi, ça leur a coûté beaucoup d’argent. Le jour-même le chef de la division de notre arrondissement est descendu dans les ateliers. On lui a présenté les revendications sur lesquelles on s’était tous mis d’accord. Il a essayé de se défausser, prétendant qu’il n’était pas décisionnaire et qu’il fallait stopper le mouvement dans l’attente du CHSCT. On n’a pas cru à ses histoires et on a continué le mouvement, on a augmenté la pression en faisant des demi-journées et des journées entières de grève, jusqu’à ce qu’il se décide à vraiment négocier avec nous.

 

Qu’est-ce que vous avez obtenu ? Qu’est-ce qu’a permis cette grève au niveau de vos ateliers ?

On a trouvé un accord et obtenu une partie de nos revendications : ils n’ont pas diminué le nombre de bennes, on peut partir plus tôt pour ne pas être entassé dans les ateliers et le protocole sanitaire de nettoyage a été mis en place. Mais ce que nous a permis cette mobilisation, c’est surtout d’apprendre à construire un mouvement de grève par nous-même. De manière générale nos ateliers se mobilisent peu même quand il y a des appels du syndicat. Ça a créé une vraie dynamique de contestation et ça a redonné confiance en la lutte. On s’est rendu compte qu’on était capable de s’organiser à la base et qu’on pouvait avoir du poids. C’est surtout ça qu’on a gagné !

 

Dans la foulée vous étiez massivement en grève le 17 novembre lors de l’action organisée par la CGT sur le toit de la DPE (Direction de la propreté et de l’eau) …

Oui ça a joué c’est clair. La veille du 17 on apprend qu’une grosse action se prépare pour s’opposer à la loi de transformation de la Fonction publique et aussi sur des revendications proches des nôtres liées au confinement. On s’est d’abord tous rendu au rassemblement devant la Mairie de Paris aux côtés d’agent.es d’autres secteurs puis on est allés soutenir les camarades qui ont investi les locaux de la DPE au 103 avenue de France.

 

Quelle est ton analyse de la fin du mouvement à la DPE ?

Au bout de deux jours, le syndicat a stoppé l’occupation et retiré son préavis de grève après avoir obtenu un calendrier de réunion avec la direction, pour discuter des revendications concernant la loi de transformation de la Fonction publique et la reprise des négociations concernant des revendications à plus long terme (promotions, déroulements de carrière, effectifs, conditions d’hygiène et de sécurité). On a été surpris de l’annonce du syndicat d’arrêter cette action sans communication et organisation avec les bases alors qu’il n’y a pas eu de réelle victoire. Ils ont juste obtenu la promesse qu’il n’y aurait pas de privatisions supplémentaires dans les trois années à venir. Toutes les autres revendications sont restées en suspens.

 

Ces mobilisations ont lancé une dynamique de revendications dans les ateliers du 6e ?

Oui, ça a lancé une vraie dynamique de mobilisation sur nos conditions de travail qui ne concernent pas que les mesures sanitaires liées à l’épidémie. On conteste des mesures toujours plus libérales, de casse de nos conditions de travail, mises en place par la direction alors que le budget de la propreté augmente. La Mairie de Paris est dans la recherche de toujours plus de rentabilité. A travers la modification de nos tâches et de l’organisation du travail, elle augmente notre charge de travail. Elle économise sur le dos des travailleurs ! On veut mettre en place un calendrier de réunion régulier pour être consultés sur les questions d’organisation du travail car pour le moment on ne fait que subir… Non seulement nous sommes les premiers concernés mais nous sommes aussi les plus aptes à juger et à décider car c’est nous qui sommes sur le terrain !