Le congrès du NPA-A, premier congrès depuis la scission avec le NPA-R, a montré notre capacité à rebondir mais aussi les faiblesses importantes de notre organisation, que nous devons nous efforcer de juguler.
La première bonne nouvelle de ce congrès est que l’organisation se reconstruit, avec environ 1 100 membres, ce qui en fait la moins petite des organisations de la gauche révolutionnaire. La seconde est qu’un accord large existe sur le profil politique de l’organisation se référant à l’histoire de la LCR et de la IVe Internationale, et à nos acquis stratégiques, notamment la grève générale insurrectionnelle. L’adhésion du NPA-A à la Quatrième internationale est d’ailleurs un élément déterminant pour faire vivre l’organisation sur la durée.
Cependant, différents points sur le fond nous ont semblé problématiques dans les débats de ce congrès, qui nous ont conduit à nous situer en dehors de l’arc majoritaire du bloc de direction, à exprimer des critiques en espérant faire avancer la discussion collective.
Construire un parti du mouvement ouvrier
Le premier désaccord porte sur la discussion sur les classes sociales et le « sujet révolutionnaire ». Nous considérons que le texte adopté tend à mélanger les concepts, à assimiler exploitation et oppressions, au lieu de les articuler, ce qui constitue un triple danger.
Le premier problème est de ne pas saisir que c’est le prolétariat, la classe de celles et ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre, qui doit non seulement gagner l’hégémonie, entraîner et diriger les autres classes vers la prise du pouvoir contre la bourgeoisie, mais aussi engager la transformation révolutionnaire pour détruire la concurrence, la possession privée des moyens de production, etc. Ce sont ces bases matérielles qui structurent la société de classe autour d’une division sociale, genrée et raciale du travail, à la fois productif et reproductif, où exploitation et systèmes d’oppression sont étroitement imbriqués. Le rapport de classe traverse et combine toutes les autres formes de domination sans supprimer leurs spécificités.
Le second problème est de ne pas percevoir qu’existent dans la société des classes intermédiaires (cadres, professions intellectuelles, journalistes, commerçants, etc.) qui sont attachées au capitalisme, même quand leurs membres sont opprimé·es (femmes, racisé·es, LGBTI+…). Certains secteurs militants, parfois même dans le NPA-A, assimilent toutes les oppressions, les mettent au même niveau, sans saisir que certaines sont davantage structurantes dans la lutte contre le capitalisme, tandis que d’autres peuvent y être partiellement intégrées.
Le troisième problème est que de cette discussion découlent également des priorités militantes. Il nous semble que l’intervention et la construction dans les entreprises et les quartiers populaires en tant que telles doivent rester des priorités. Le mouvement des Gilets jaunes et des retraites ont posé les jalons pour des formes nouvelles de territorialisation de la lutte et d’organisaton de notre classe qui devraient nous inciter à nous engager dans les structures interprofessionnelles et les unions départementales et locales.
Nous sommes bien conscients des obstacles et difficultés dans la construction de la grève et le développement de formes d’auto-organisation. Les concentrations ouvrières disparaissent progressivement dans les pays occidentaux, la désindustrialisation s’accentue, tandis que le prolétariat s’accroît au niveau mondial et dans les pays du Sud global.
La prolétarisation de certains métiers intellectuels, les transformations liées à l’intelligence artificielle et aux technologies numériques posent de nouveaux défis en termes de surveillance des travailleurs, exploitation et épuisement des ressources naturelles.
Mais l’ensemble de ces processus n’effacent pas la contradiction centrale : le prolétariat, reste le sujet capable de s’affronter aux intérêts de la bourgeoisie et d’en défier le pouvoir, par la grève, par la prise en main de la production et la réorientation de celle-ci vers les valeurs d’usage et l’écologie.
Le danger élitiste
Le second désaccord est lié au premier : une construction trop centrée sur les idées abstraites (voire fausses) et mobilisant des concepts non matérialistes. Il en résulte des débats très difficiles à saisir, ce qui accroît la tendance à l’élitisme social et intellectuel déjà existante dans l’organisation. Ainsi sur la question de l’antiracisme, des camarades raisonnent à partir de formules comme « le consensus blanc » ou le « privilège blanc », théorisent l’existence d’intérêts antagonistes entre les prolétaires racisé·es et non racisé·es, et en déduisent comme priorité la lutte idéologique dans et contre une partie de la gauche, voire de la classe ouvrière.
Nous considérons, pour notre part, que le racisme dans la classe ouvrière est une fausse conscience des rapports d’exploitation et de surexploitation qui profitent à la bourgeoisie. Dans ses médias et ses relais d’opinion, cette dernière construit le fantasme d’une communauté d’intérêt entre « petits blancs » et d’un pouvoir économique, détenu par une classe essentiellement blanche. La fausse conscience progresse à la faveur de la crise mondiale du capitalisme et de la peur du déclassement de la petite-bourgeoisie et des fractions de notre classe. Si un combat politique spécifique contre le racisme et l’islamophobie est urgent, il ne permettra pas à lui seul de faire basculer les millions d’ouvrières, d’ouvriers et d’employé·es qui votent RN. Pour balayer cette fausse conscience, nous avons besoin, avant tout, de l’action commune des travailleuses et travailleurs racisé·es et non racisé·es, contre les discriminations, pour l’égalité des droits, pour la défense des services publics mais aussi contre les licenciements ou pour de meilleurs salaires, etc. Le racisme n’est pas une fin en soi, il n’est pas une question morale. Les capitalistes peuvent exercer une domination plus forte sur une partie de la classe ouvrière — femmes, immigré·es ou travailleuses et travailleurs racisé·es — car ils ont un intérêt matériel à dévaloriser leur travail. Il est vrai que le racisme est légitimé et alimenté par l’idéologie suprémaciste blanche, qu’il se reproduit par le biais des normes et des comportements individuels, mais le marxisme s’attaque à sa force motrice, l’exploitation de classe, pour pouvoir l’éradiquer.
Le biais idéologique et élitiste est plus clair encore sur la question de la cause animale. Rendre le parti antispéciste comme l’a fait le congrès, c’est penser que l’on peut convaincre par la propagande une partie significative de notre camp d’adopter le mode de vie d’une toute petite minorité, par ailleurs marquée socialement (très diplômée, urbaine). C’est faire le choix de se couper de militant·es anticapitalistes potentielles — et de camarades dans nos rangs — qui ne partagent pas cette conception. Mais aussi c’est le choix de nous rendre largement illisibles aux yeux d’organisations qui participent aux mouvements écologistes comme la Confédération paysanne, qui défend l’élevage paysan et critique l’agro-industrie derrière une partie de la production végane, avec laquelle nous devrions au contraire renforcer nos liens dans un contexte de progression des organisations rurales réactionnaires. Nous devrions assumer que toutes les luttes ne se situent pas au même niveau : la priorité pour changer le monde est de libérer les êtres humains, en préservant en même temps la biodiversité et les écosystèmes auxquels est par ailleurs liée leur survie. En lien avec les luttes émancipatrices dans le monde paysan et agricole, le parti peut et doit avoir des revendications transitoires et des propositions pour réduire la surconsommation de viande et combattre l’élevage industriel et la maltraitance animale, tout en laissant la question de l’antispécisme à l’appréciation de chaque camarade.
Une orientation déterminée contre le militarisme et l’impérialisme
Le troisième désaccord porte sur la question de la guerre. L’orientation générale du NPA-A est correcte – opposition au militarisme, soutien aux résistances, en Palestine comme en Ukraine, mais elle a deux limites très importantes. La première est une formulation imprécise des rapports inter-impérialistes, et notamment de la critique indispensable de comment les intérêts impérialistes occidentaux sont défendus en Ukraine. Des camarades pensent même que l’Union européenne pourrait être un point d’appui dans ce conflit, et notamment demandent la fourniture d’armes, sans prendre en compte le fait que les occidentaux veulent étendre leur influence en Europe de l’Est et s’inscrivent dans une marche à l’armement, qui conduit à la guerre. Et, deuxième limite, l’organisation s’oriente beaucoup trop lentement vers la construction d’un mouvement anti-guerre, anti-militariste mondial, se retranchant derrière les difficultés et les limites de ces cadres pour justifier de ne pas s’y investir au lieu de s’engager dans leur construction pour y peser.
De même, si l’organisation a une position correcte sur la Palestine, son investissement réel, à la base, est très limité et notamment du fait de l’absence de moyens déployés par la direction pour l’encourager.
En outre, nous pensons que la critique de notre propre impérialisme doit être centrale. Affaiblie en Afrique et au Moyen-Orient, la France s’engage dans un processus de recolonisation en Kanaky comme à Mayotte. Si son industrie s’est construite autour du militaire (la France est le deuxième exportateur d’armes au monde), en espérant s’affirmer comme le leader européen, cette stratégie a toutefois fini par avoir des effets de désagrégation sur l’ensemble de l’industrie civile.
D’une façon générale, la poussée militariste actuelle et le renouvellement des systèmes militaro-industriels ne sont pas que des instruments de relance économique. Ces institutions autoritaires nourrissent les dynamiques impérialistes, en s’appuyant sur des politiques d’austérité, avec un impact à la fois sur le travail, l’épuisement des ressources naturelles et le contrôle social.
S’inscrire dans les débats politiques
Enfin, le quatrième désaccord concerne la difficulté de l’organisation pour définir son positionnement en tant que parti politique, vis-à-vis des autres organisations du mouvement ouvrier. Le congrès n’en a pratiquement pas discuté, en dehors de l’orientation générale « unitaire et révolutionnaire ». Pourtant, des moments cruciaux s’annoncent et nous devons développer une orientation qui permette d’y intervenir : les élections municipales seront un moment important pour les rapports entre les partis, tout comme les prochaines législatives ou présidentielle. Au-delà de considérations générales, l’organisation, là aussi, commente essentiellement les limites des autres organisations (gauche sociale-libérale, LFI…), sans proposer de politique offensive.
Il ne faut pas craindre que les discussions avec les autres partis corrompent notre orientation et nous rendent moins révolutionnaires. De notre point de vue, à une grande échelle, il n’y a pas de crainte sur l’image radicale de notre parti ; l’interaction avec les autres forces politiques n’a pas comme effet de balayer notre orientation stratégique mais de la mettre à l’épreuve dans la pratique militante. Le révolutionnarisme abstrait, sans débats ou combats concrets avec d’autres courants, contient en germe des risques de tournants opportunistes ou sectaires. Aujourd’hui, le parti devrait s’investir résolument dans la construction du NFP, de la base au sommet et y défendre ses mots d’ordre. Il ne devrait pas craindre de combiner propositions unitaires et projet politique autonome, ce qui laisse la possibilité de se présenter sous nos propres couleurs aux prochaines élections.
Relancer la politique de l’organisation, réaffirmer le rôle central de la lutte des classes
La discussion est complexe car les désaccords ne semblent pas frontaux, ils apparaissent comme des nuances.
Réorienter l’organisation, la solidifier, n’est pas facile. Cela signifie de prendre des virages résolus : pour réaffirmer le rôle central de la lutte des classes, en comprenant les interactions dialectiques avec les oppressions ; investir le travail de masse qui permet de se lier au niveau de conscience des classes populaires ; faire un effort volontariste de construction sur les lieux de travail, dans les quartiers populaire et la jeunesse ; construire concrètement l’unité des exploité·es et des opprimé·es contre l’extrême droite et contre Macron, tout en défendant un programme révolutionnaire indépendant ; investir les mobilisations internationalistes, notamment sur la Palestine et l’anti-militarisme ; privilégier l’intervention militante par rapport à des positionnements abstraits et extérieurs au mouvement, notamment avec l’illusion que les réseaux sociaux et les personnalités connues du NPA-A seraient la solution. Ce travail de communication et d’agitation ne peut pas être dissocié des dynamiques de mobilisation et du travail militant sur le terrain. Car les solutions, pour le prolétariat comme pour le NPA-A, sont dans l’intervention résolue pour peser sur les luttes politiques et la lutte des classes, pour reconstruire la conscience de classe, travailler à l’unité de celle-ci et préparer les affrontements avec le pouvoir dans un contexte de durcissement autoritaire lourd de menaces.