Publié le Lundi 28 mars 2011 à 10h13.

Les Richard ont des crocs

A Alès, dans les Cévennes gardoises, les salariés de l’entreprise RICHARD DUCROS menacés de licenciement

Une des plus vieilles entreprises de la région, puisqu‘elle a été créée 140 ans plus tôt, voit la totalité de ses emplois menacés de licenciement, à la suite de ce qu’on essaye de faire passer pour une erreur de diagnostic.

Olivier Besancenot, à la demande du comité NPA Alès-Cévennes est venu soutenir ces travailleurs en lutte le mardi 18 mars. Il a longuement échangé avec le délégué CGT Richard Valmalle et d’autres représentants du personnel, les assurant du soutien inconditionnel de notre parti et invitant à constituer un large comité de soutien. Une longue visite des deux principaux sites locaux lui a permis de mesurer la qualité de l’outil de travail. Avant son départ, Olivier a promis au personnel réuni de revenir s’il le souhaitait s’opposer avec d’autres personnalités des partis de gauche au démantèlement de leur outil de travail.

RICHARD DUCROS, ce sont trois unités de production à Alès, près de 300 emplois, intérimaires compris, une à Roquefort dans les Landes, 40 emplois, une à Charmes dans les Vosges, 40 emplois, et sans doute moins visée, une unité en Hongrie, 150 salariés.

Cette SA familiale figure parmi les six premiers constructeurs métalliques français et bénéficie d’une excellente réputation sur le plan industriel.

Ceci explique sans doute que Clément Fayat, pdg du groupe qui porte son nom, ait voulu y ajouter ce fleuron. Coutumier des stratégies de croissance externe par la prise de contrôle de concurrents, on peut difficilement croire qu’il ait procédé à cette acquisition sans s’être assuré qu’il faisait une bonne affaire autrement qu’en déboursant la très modique somme de 3 millions d’eurospour l’emporter.

Or, si M.Fayat est la trente-quatrième fortune de France (1200 millions d’euros) et son groupe le premier métallier, et s’il reconnaît avoir commis une erreur, il ne voit pas d’autre solution pour la corriger que laisser le Tribunal de commerce trouver des repreneurs. Du jamais vu:

- premier trimestre 2010, début des négociations et audit

- 7 octobre 2010, signature du protocole de vente JRD/FAYAT

- 24 novembre, signature de la vente sans que le comité central d’entreprise ait été informé

- 23 décembre, mise en place du chômage partiel

- 3 février 2011, dépôt de bilan et mise en redressement judiciaire

Fayat précise avoir acquis l’entreprise «sur la base des derniers comptes clos au 31décembre 2009», compte tenu de «l’incapacité des cédants à produire une situation intermédiaire des comptes au titre de l’année 2010» et avec l’engagement de ces derniers de gérer l’entreprise «en bon père de famille»en 2010.

La holding FAYAT, ce sont plus de 70 filiales, dont une vingtaine en Allemagne, aux Pays-Bas et aux USA, pour un CA consolidé de 2,3 milliards d’euros, réalisé en France à hauteur de 60 %. Au total, 18000 salariés, dans un quasi désert syndical, comme il est souvent de règle dans le BTP, activité majeure du groupe.

Quand on compare ces chiffres à ceux de RD, qui réalisait moins de 50 millions de CA en 2009, juste avant que le groupe FAYAT n’envisage son rachat, on est stupéfait de mesurer l’absence totale de respect pour les salariés et pour leurs représentants au CCE. On verrait là une caricature du capitalisme s’il n’en était pas tout simplement l’image odieuse. On fait du Monopoly industriel sans se soucier à aucun moment de ces petits êtres transparents qui courent entre les machines. On notera d’ailleurs que la productivité des Richard Ducros, exprimée tout au moins en ratio CA par salarié, n’était pas inférieure à celle du groupe. Mais M.Fayat n’a jamais mis les pieds dans cette entreprise et se moque totalement des conséquences de son «erreur d’estimation». L’idée qu’elle implique d’engager sa responsabilité en consacrant à Richard Ducros ne serait-ce que dix fois le peu qu’elle lui a coûté, alors que son groupe dispose d’un fond de roulement de 780 millions d’euros, ne lui viendra pas même à l’esprit.

Hypothèse: si aucun repreneur n’était en mesure de reprendre l’activité, le processus habituel conduirait à une mise en liquidation. Autrement dit à la réalisation des actifs, bâtiments industriels, machines, véhicules et équipements divers. Aucun document n’ayant été communiqué au CCE, on ne connaît pas l’étendue du passif, des dettes qu’aurait l’entreprise. Mais s’il s’avérait que le rapport soit finalement moins défavorable qu’on ne le laissait entendre, qui pourrait bénéficier de cette opération d’élimination d’un concurrent dont la clientèle était et reste précieuse? Pas les salariés bien sûr, mais sûrement quelqu’un ayant des moyens.

On s’étonnera au passage que les tribunaux de commerce, juridictions d’exception dans la mesure où ils ne comprennent aucun magistrat professionnel mais uniquement des chefs d’entreprise déléguant une large partie de leurs pouvoirs à des administrateurs judiciaires établis en profession libérale, aient à juger du sort de millions de salariés sans que ceux-ci puisent défendre leurs intérêts au même titre que les actionnaires. Car si les Prud’hommes sont également des instances judiciaires non professionnelles, au moins sont-ils composés à parité de salariés et d’employeurs.

Les salariés occupent l’usine de construction métallique privée de production, les commandes en cours ayant été confiées à d’autres fournisseurs par une clientèle inquiète sur l’avenir de l’entreprise, tandis que celle de tôlerie fine tourne au ralenti, IBM, l’un de ses principaux clients, ayant également détourné ses commandes. Le 3 mars, le nouveau PDG, Bernard Castéran, qui s’était illustré le 18 février en disant aux salariés: «Allez trouver du travail ailleurs ou faites valoir vos droits à la retraite …» a été invité à quitter les lieux.

Lors d’une rencontre avec le sous-préfet d’Alès à qui le POI et le NPA avaient demandé un entretien, c’était la veille de la venue d’Olivier à Alès, le représentant de l’Etat a indiqué, sachant que Richard Ducros trouve son activité principalement dans les marchés publics, notamment avec SNCF ou EDF, que les règles de l’UE interdisent aux Etats membres toute aide directe à une entreprise en difficulté, y compris par leur intervention sur ces marchés. L’État peut seulement favoriser la reprise de l’entreprise en intervenant sur les besoins du repreneur en matière d’investissements et de formation. Des aides dont on sait qu’elles ne sont jamais récupérées lorsque l’entreprise ne respecte pas ses engagements. On croirait, et on aurait évidemment raison, que tout est fait pour faciliter ce «mercato» industriel sans que jamais il n’en coûte rien aux dirigeants.

A ce propos, le personnel, pas plus qu’il n’avait été alerté lors de la cession au groupe Fayat, ignore tout des candidats qui auraient déposé des dossiers pour la reprise de RD. Le tribunal de commerce a repoussé au 23 mars la date limite de remise des offres.

Le 22 mars, à l’invitation du NPA, de POI et de Riposte Communiste, tous les partis qui se réclament de la défense des salariés se réuniront à la Bourse du Travail d’Alès pour constituer une structure unitaire de soutien aux Richard Ducros.

Après la manifestation qui avait réuni près de 3000 Alésiens le 5 février, une autre, et il faudra qu’elle soit encore plus forte, est prévue le samedi 26 mars à 10 heures au départ de la mairie d’Alès. Le comité de soutien en cours de création mobilise au moment où nous paraissons, afin que la pression mise sur les autorités à tous les niveaux oblige le Groupe Fayat à faire face à ses engagements en rendant leur dignité à des centaines de travailleurs qui ont fait la richesse de cette entreprise et la fortune de ses dirigeants.

Georges Pons