Entretien. En étalant les inégalités, ils récoltent la colère... Le nouveau PDG du groupe pharmaceutique français Sanofi aura droit à un « bonus de bienvenue » qui pourrait atteindre 4 millions d’euros. Une indemnité forfaitaire brute de 2 millions d’euros le 2 avril pour la prise de fonction du nouveau directeur général de Sanofi, Olivier Brandicourt, qui pourrait également bénéficier d’une telle indemnité en janvier 2016 s’il est toujours en poste à ce moment-là. L’entreprise explique qu’elle accorde cette prime à son nouveau chef, qui s’occupe actuellement des activités pharmaceutiques du groupe allemand Bayer, en « contrepartie des avantages auxquels il a renoncé en quittant son précédent employeur »... Le groupe précise également que la rémunération de son nouveau PDG sera composée d’une part fixe annuelle brute de 1,2 million d’euros et d’une part variable cible de 150 % de la rémunération annuelle fixe et plafonnée à 250 % – soit entre 3 et 4,2 millions d’euros – « soumise à des objectifs à la fois quantitatifs et qualitatifs », précise Sanofi. Le nouveau PDG touchera par ailleurs 220 000 options de souscription d’actions par an et 45 000 actions de performance...Cette annonce est intervenue alors que les salariéEs du site de Sisteron (04) luttaient depuis trois semaines afin d’obtenir une augmentation de 120 euros par an, soit juste 50 centimes par jour ! Dans ces circonstances, Jean-Louis Peyren, responsable CGT Sanofi à Sisteron, a bien voulu répondre à nos questions.Qu’est-ce qui a déclenché la grève, quelles sont vos revendications ?Tout d’abord en matière de salaires, nous en sommes à deux années consécutives avec 0 % d’augmentation générale. Mais il y a aussi le contexte général dans l’entreprise, sur le long terme. Cela fait cinq années que le groupe procède à des fermetures de sites : 5 années de ventes de sites pour l’euro symbolique, 5 années au cours desquelles l’entreprise a procédé à quelque 4 800 suppressions de postes, sans compter les emplois induits.Mais ce mouvement est aussi le résultat de notre travail syndical : distributions régulières de tracts, réunions d’information, assemblées générales de salariéEs.La mobilisation a démarré pour obtenir une revalorisation de 120 euros de la prime de poste alors que la direction proposait une augmentation de 50 centimes.Et pourtant l’entreprise se porte bien ?Dans le même temps, ce sont plus de 40 milliards de bénéfices, 5,5 milliards en dividendes qui ont été servis aux actionnaires. La part du chiffre d’affaires consacré à la recherche passe sous la barre des 15 % contre 17 % quatre ans plus tôt. Dans le même temps, Sanofi bénéficie des largesses de l’État : 36 millions d’euros au titre du CICE et du CIR en 2013, sans aucune contrepartie. La CGT revendique qu’en bénéficiant d’aides publiques, un engagement précis chiffré de développement doit être établi.Le géant pharmaceutique français annonce des résultats et des perspectives plus que positifs. Le groupe a réalisé un chiffre d’affaires annuel à 33,8 milliards d’euros, en hausse de 4,9 % à taux de change constant. Le résultat net des activités est en hausse à 6,847 milliards d’euros, soit + 2,4 % par rapport à 2013, et possède la deuxième capitalisation à la Bourse de Paris. Et surtout, Sanofi a versé 3,7 milliards d’euros de dividendes et dilapidé 1,8 milliard en rachat-annulation d’actions. La direction propose une nouvelle augmentation des dividendes pour les actionnaires passant de 2,8 à 2,85, soit la 21e année de hausse.Quelles sont les propositions de la direction ?La direction a osé annoncer zéro en augmentation générale et 1,5 % en augmentation collective, autant dire des miettes pour l’ensemble des salariéEs du groupe. 5,5 milliards d’euros donnés aux actionnaires, divisés par les 110 000 salariéEs de Sanofi dans le monde, cela fait 50 000 euros versés grâce au travail de chaque salariéE.Depuis le début de la grève, la direction refuse de négocier sur notre revendication d’augmentation de 120 euros de prime de poste.Au bout de 4 semaines de grève, elle propose 40 euros sur une prime sur la qualité, avec une variable de 40 euros de plus. Nous ne sommes pas pour la politique de la carotte, donc pas de carotte. En ce qui concerne l’emploi, le PDG sortant a annoncé récemment que Sanofi n’avait pas « pris d’engagements » sur la « stabilité des effectifs ».Jeudi 19 février, la direction adressait un ultimatum aux grévistes leur signifiant que s’ils n’acceptaient pas avant vendredi soir à 18 heures ses propositions, elle reverrait des investissements prévus à hauteur de 150 000 euros pour l’amélioration des conditions de travail (sans que l’on sache si cette somme n’est pas déjà prévue au budget de l’usine), ainsi que les tickets restaurant pour les salariéEs postés, qui ne bénéficient pas des services du réfectoire de l’usine...Comment êtes-vous organisés ?Les salariéEs postés en sont à leur dix-huitième jour de grève consécutif avec arrêt total de la production. Nous tenons une assemblée générale des grévistes tous les 2 jours ou tous les jours suivant l’actualité du mouvement. Nous discutons des propositions de la direction, quand il y en a, et de la poursuite de l’action. Des mouvements de grève, l’usine Sanofi de Sisteron en a connus, mais rares sont ceux qui sont allés jusqu’à stopper la fabrication. 90 % des salariéEs postés (aux horaires décalés, 5 h à 13 h ou 13 h à 21 h) sont en grève, soit 150 salariéEs, essentiellement dans les ateliers de production. Le mouvement touche aussi d’autres services comme la maintenance et seule l’activité Recherche fonctionne encore.Quel soutien avez-vous reçu ?Nous avons quelques chèques de soutien des camarades de la CGT venant d’autres sites du groupe, mais aussi d’autres syndicats CGT. L’Union départementale nous apporte un soutien physique et financier. Puis nous avons la visite des collègues de Sanofi ou d’autres entreprises.L’argent récolté est distribué aux camarades pour lesquels c’est le plus dur, sans que cela ne crée des problèmes.Comment a été perçue l’annonce des conditions de recrutement de Brandicourt ?Mal, très mal. Nous on veut de l’emploi, du salaire, de la recherche, du travail quoi ! Les salariés ont reçu cette annonce comme une provocation qui n’a fait qu’augmenter notre détermination.La CGT a donc décidé de publier chaque jour la rémunération annuelle d’un dirigeant de Sanofi, le montant de son augmentation en 2013, le bonus individuel et le nombre d’actions gratuites qu’il a perçues. La CGT se réserve le droit de dévoiler les noms, pour le moment masqués, si les négociations n’aboutissent toujours pas.Financement par la Sécu, dividendes exorbitants, investissements trop faibles, recherche de la profitabilité : quelle est votre vision, vos propositions globales de votre mission de service public ?Prendre la main sur la finance, et créer une autre distribution des richesses produites par les travailleurs.
Propos recueillis par Robert Pelletier