Entretien. Ce jeudi 22 mai, les cheminots manifestaient à l’appel des fédérations CGT – UNSA – SUD Rail contre la réforme du ferroviaire. Au lendemain de cette journée, nous avons interviewé Guillaume, agent départ à Austerlitz, militant CGT et membre du NPA.
Le 22 mai, les cheminots manifestaient pour quoi ?Nous étions 22 000 jeudi dernier contre le projet de réforme du système ferroviaire. Cette réforme s’inscrit dans la logique de libéralisation orchestrée à l’échelle européenne depuis le début des années 1990. Le premier volet aboutirait à la destruction de la SNCF telle que nous la connaissons. Le second volet « social » vise à attaquer nos conditions de vies.
Quel est l’aspect structurel de la réforme ?Aujourd’hui, le ferroviaire est organisé autour de deux entreprises principales : la SNCF et RFF (Réseau ferré de France, gestionnaire du réseau). RFF a été créé en 1997 par le gouvernement de gauche plurielle (sous la tutelle d’un ministre PCF...) pour répondre aux exigences européennes qui imposaient la séparation comptable entre gestionnaire du réseau et exploitant. Mais en réalité, elle était fictive, RFF étant composé essentiellement de cadres, la SNCF payant à RFF des péages, quand RFF payait les missions d’aiguillage à la SNCF. La réforme actuelle prétend mettre fin à cette séparation en réintégrant RFF. En fait, rien n’est plus faux ! Cette réforme prévoit en fait la séparation de la SNCF en trois entreprises distinctes. D’un côté, « SNCF Réseau » qui aurait à sa charge les activités lourdes en investissements de gestion du réseau, d’entretien et de réparation des voies ainsi que l’aiguillage. Elle aurait également à subir le poids de la dette du ferroviaire, environ 40 milliards d’euros. De l’autre côté, « SNCF Mobilités » qui regrouperait l’ensemble des activités de transport, ainsi que les ateliers de maintenance et les gares. Cette entreprise serait privatisable morceau par morceau, ligne par ligne… La dernière, « SNCF », serait une maison mère ne regroupant quasiment que des cadres et gérerait le groupe SNCF et ses 950 filiales. On voit une logique : socialisation des pertes et privatisation des profits. Comment peut-on prétendre réunifier un système quand on passe de 2 à 3 entreprises ?
Peux-tu nous en dire plus sur le volet social de la réforme ?Comme l’aspect structurel, le gouvernement justifie ce volet par l’ouverture à la concurrence. Il s’agirait de mettre fin aux disparités en termes de réglementation du travail entre les cheminots SNCF et ceux des entreprises privées. Ils veulent mettre en place une convention collective qui remplacerait le RH0077, le règlement qui encadre notre temps de travail, nos nombres de repos, etc. Il s’agit d’aligner les conditions de travail des 150 000 cheminots du public sur celles des 5 000 cheminots du privé. Par exemple, nous bénéficions de 52 repos doubles par an, le privé lui en a 25. Il s’agit bien de nous faire travailler plus en diminuant les effectifs. C’est d’autant plus cynique quand l’on sait que les principaux concurrents de la SNCF sont des filiales de droit privé du groupe SNCF.
Quels seront les effets de cette réforme sur les usagers ?Si on regarde les conséquences de ce type de réforme en Angleterre, l’État a dû augmenter ses investissements publics. La sécurité des circulations a fortement diminué (avec des accidents mortels pour les cheminots et les usagers), les lignes non rentables ont été supprimées, les dessertes diminuées, mais les prix, eux, ont augmenté, tout comme les profits. L’aspect social de la réforme peut avoir un impact sur les usagers. En tant que voyageur, je serais moins confiant à l’idée d’être dans un train conduit par un conducteur de 62 ans sur la route depuis trois jours que par un collègue de 50 ans encadré par une certaine réglementation du travail.
Et maintenant, quelles suites ? Quelles sont les revendications des cheminots NPA ?Dans les prochains jours, un préavis reconductible va être déposé par la CGT et SUD Rail, l’UNSA vient de faire volte-face en demandant un délai de réflexion pour savoir si elle suivait. Les cheminots anticapitalistes défendront l’idée d’une grève active, démocratique dans laquelle la question d’arrêter les circulations sera déterminante, tout comme la popularisation et l’extension de la lutte.La première étape, c’est de gagner le retrait de la réforme. Mettre en échec le gouvernement et Pépy ne mettrait pas fin du jour au lendemain à la libéralisation du rail mais serait un coup d’arrêt sans précédent à l’échelle européenne. Cependant la situation actuelle n’est pas acceptable : le fret et le transport de voyageurs international sont déjà soumis à la concurrence, la séparation entre la SNCF et RFF est inacceptable. Nous revendiquons la réintégration de RFF au sein de la SNCF, l’extension du RH0077 et du statut cheminot à l’ensemble des salariés des entreprises privées, des filiales et sous-traitants dans l’optique de revenir à un monopole public du rail, libéré des logiques de profit.
Propos recueillis par Matthieu Chapuis (aiguilleur à Paris Est)