Publié le Jeudi 20 juin 2019 à 16h45.

Quand des femmes en lutte se couchent sur les voies

Le 14 juin, la grève des femmes en Suisse a été un grand succès, mobilisant des dizaines de milliers de femmes dans certains services et entreprises et surtout dans la rue (voir notre article). L’occasion de rappeler une grève de femmes, peu connue, qui s’est déroulée en 1906. En raison de la différence d’écartement des rails entre l’Espagne et la France, les trains espagnols devaient alors s’arrêter à la frontière où passagerEs et marchandises étaient transbordés en gare de Cerbère. C’était en particulier le cas des oranges exportées par l’Espagne. Pour ces fruits, alors produit de luxe dans les pays du nord, on fit appel à une main-d’œuvre « plus délicate » que les hommes : plus de 200 femmes. 

Un travail harassant qui se faisait à la main, de jour comme de nuit, en équilibre sur les planches qui reliaient les wagons français et espagnols stationnés sur des voies parallèles. La paye est maigre. Devant le mépris auquel se heurte leur demande d’une augmentation, la grande majorité des ouvrières se mettent en grève le 26 février 1906. Les transitaires préfèrent laisser pourrir des trains entiers d’oranges plutôt que de céder. Puis accordent une augmentation qu’ils avaient jusque-là refusée. Mais le conflit n’est pas terminé. Les transbordeuses créent leur syndicat « rouge » affilié à la CGT : les patrons ripostent en créant un syndicat « jaune » dont les membres seront prioritaires à l’embauche. Les femmes ne cèdent pas et occupent la gare. Clemenceau, alors chef du gouvernement, envoie l’armée pour briser la grève (c’était une habitude chez lui) mais les transbordeuses sont déterminées et le trafic est toujours paralysé. Les patrons vont recruter des femmes dans toute la région et affrètent un train pour les amener à Cerbère. Le 29 novembre, lorsque le train est annoncé, des dizaines de femmes se couchent sur la voie. La locomotive s’arrête de justesse.

L’affaire fait du bruit, tandis que les grévistes restent déterminées. Les négociations reprennent et le 5 décembre, les femmes retournent au travail, sans avoir tout obtenu mais la tête haute. Ce n’est pas la première fois que des femmes se couchaient sur les voies ferrées. Mais c’était plutôt pour soutenir des grèves masculines (comme les femmes de mineurs de Commentry en 1881). 

Il faut noter les difficultés de constitution de la direction du syndicat des transbordeuses : à l’époque (et jusqu’en 1938), les femmes mariées qui travaillaient avaient des droits limités (cette situation juridique s’ajoutait aux pratiques machistes présentes dans le mouvement ouvrier). Cela conduisit, après une prédominance des hommes à la direction du syndicat (les maris des travailleuses), à une solution bancale (et injuste) avec un homme comme secrétaire et une femme présidente ! 

HW