Après les élections européennes, gouvernements et Commission entendent bien s’arcbouter sur les politiques antérieures. L’extrême droite, qui prospère sur le terreau de la crise économique, veut continuer à capitaliser les mécontentements. Mais, outre des résultats importants de la « gauche de gauche » en Grèce et en Espagne, des éléments d’instabilité essentiels perdurent.
Dès le lendemain des élections, les élus socialistes et du Parti populaire européen (droite) ont repris leurs habitudes de cogestion, les premiers acceptant sans coup férir de présenter le luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission. Des manœuvres de couloir ont commencé. Les acteurs de ce jeu sont d’accord pour reconduire les politiques suivies depuis le début de la crise. Si Juncker n’est pas désigné, un quasi-clone le sera. Pour les gouvernements et les institutions européennes, c’est « business as usual » : les rouages de la machine austéritaire vont être graissés par une Commission renouvelée et le traité transatlantique, machinerie antisociale et anti-écologique, continuera de se négocier.
Une montée des partis nationalistes
Ces élections ont été marquées dans la plupart des pays par la montée des courants nationalistes et anti-immigrés. Ces courants ne sont pas homogènes : on peut distinguer les partis nationalistes (type UKIP britannique), les partis d’extrême droite qui tentent de paraître respectables (comme le Front national) et les partis ouvertement fascistes, voire néonazis, comme le Jobbik hongrois ou l’Aube dorée grecque (qui souffre peu de l’inculpation de ses principaux dirigeants). Leurs résultats sont la réfraction de la crise économique dans un contexte de recul du mouvement ouvrier. S’ils ne représentent pas aujourd’hui une alternative de pouvoir, ils entendent bien peser, notamment sur les politiques à l’égard des immigrés.
La droite traditionnelle (qui perd pas mal de sièges au parlement européen, tout en y restant le premier groupe politique) est ébranlée par la montée des nationalistes. Les sociaux-libéraux, qui gèrent l’Europe en commun avec la droite, enregistrent un recul global limité, mais avec de fortes disparités nationales : Hollande et les socialistes français sont au fond du trou, mais Renzi gagne largement en Italie et le PS portugais progresse.
Des résultats disparates à la gauche de la social-démocratie
Les organisations à la gauche des socialistes obtiennent ensemble un peu plus de sièges, mais les choses sont en fait contrastées : avec par exemple, une progression forte en Grèce et en Espagne, un quasi statu quo en Allemagne, et un recul global en France (le Front de gauche se maintenant, alors qu’il espérait progresser, et le NPA régressant fortement). En Grèce, le bon résultat de Syriza fragilise un peu plus la coalition gouvernementale. Au Portugal, le parti communiste progresse tandis que le Bloc de gauche recule nettement. En Espagne, la coalition autour d’Izquierda Unida progresse sensiblement et Podemos, de création toute récente, remporte un succès important avec cinq sièges au parlement européen. Il est difficile de dégager une logique globale : certes, c’est dans les pays où il y a eu les luttes les plus fortes contre l’austérité que les résultats sont les meilleurs, mais les partis de la « gauche de gauche » restent souvent des organisations aux performances électorales instables.
Un situation instable
Dans la période qui vient peuvent s’amalgamer éléments de la crise globale de l’Union européenne et retombées des situations nationales. La désaffection vis-à-vis des institutions et des politiques de l’Union européenne est patente et la crise économique loin d’être résorbée. La victoire de l’UKIP aux élections britanniques oblige le premier ministre anglais à tenir son engagement d’un référendum sur la sortie de l’Union européenne : un vote en faveur de la sortie ébranlerait probablement tout l’édifice européen (même si la Grande-Bretagne n’est pas dans l’euro). Le succès de l’extrême droite pèsera, en particulier en France. La crise ukrainienne fait remonter les penchants nationalistes dans tout l’Est de l’Europe. L’avenir de l’Union européenne n’est pas un « long fleuve tranquille » ; les dirigeants européens dansent sur un volcan.
Mais pour qu’une crise de l’Union européenne débouche sur une issue progressiste, il faut que « ceux d’en bas » s’en mêlent. Outre la situation grecque (avec un succès possible de Syriza aux législatives prévues pour 2015), les politiques d’attaque contre les droits sociaux menées par des politiciens de plus en plus déconsidérés peuvent entraîner dans certains pays des crises sociales et politiques. Elles modifieraient les conditions d’intervention des anticapitalistes et révolutionnaires à l’instar de ce qui s’est passé en Espagne depuis le mouvement des Indignés. Dans l’immédiat, la lutte pied à pied contre l’austérité et l’extrême droite est un impératif.
Henri Wilno