La campagne électorale a été lancée le 1er août par le Premier ministre Jean Charest. Elle a porté pour une bonne part sur la corruption de la classe politique. Les forces fédéralistes (PLQ) ou crypto-fédéralistes, Coalition avenir Québec (CAQ), ont réussi à mobiliser leur base électorale en agitant la perspective de la tenue d'un référendum sur la souveraineté du Québec durant un premier mandat du Parti québécois si ce dernier était porté au pouvoir. Elles ont martelé que la tenue d'un tel référendum créerait un climat d'instabilité néfaste à toute croissance économique et à la création d'emplois.
Cette campagne a porté ses fruits. Alors que le taux d'insatisfaction envers le PLQ accusé de corruption frôlait, depuis deux ans, les 70% dans les sondages, ce dernier a été écarté du pouvoir que par une faible marge.
Des résultats qui reflètent une victoire de la droite
Le Parti québécois a remporté une courte victoire. Sa cheffe, Pauline Marois, est devenue la première femme occupant le poste de Premier ministre du Québec. Le PQ forme aujourd'hui un gouvernement minoritaire avec 54 députés (sur 125) et n'a pu attirer que 31,9 % des votes. Il n'a pas fait le plein des votes souverainistes. Québec solidaire a attiré 6 % des votes et Option nationale, 1,9%. Une partie de son électorat a été capté par la CAQ.
Cela s'explique par le virage à droite des élites péquistes lors de leur passage au pouvoir (1994-2003) où les péquistes ont défendu le libre-échange, le déficit zéro, la défiscalisation des hauts revenus et des politiques d'austérité... Depuis la défaite au référendum de 1995, le PQ a tergiversé sur les modalités d'accession à la souveraineté pour finalement adopter un autonomisme masqué tout en continuant à utiliser une rhétorique souverainiste. Cette évolution du PQ a provoqué des ruptures durables qui ont distendu ses liens avec les mouvements sociaux et qui ont affaibli l'hégémonie du Parti québécois sur le mouvement souverainiste. Le PQ, même s'il se caractérise par un keynésianisme de campagne électorale et qu'il utilise parfois des stratégies sociales libérales quand il est au gouvernement, n'est pas un parti de rupture avec le modèle néolibéral. Au contraire, on peut raisonnablement envisager que son vernis keynésien s'écaille rapidement et que son néolibéralisme se manifeste de plus en plus ouvertement .
Le PLQ a obtenu 50 députéEs et 31,2 % des votes. La bataille étudiante du printemps a moins miné son soutien dans ses bases traditionnelles que polarisé la population du Québec entre un secteur conservateur qui s'est collé derrière les libéraux, et la jeunesse qui aspire à des transformations importantes de la société québécoise. La peur du souverainisme est encore très importante, particulièrement dans les communautés anglophone et allophone et parmi des francophones, particulièrement les personnes les plus âgées. Jean Charest n’a pas hésité à jouer sur ces peurs. Il a su garder ses soutiens dans le milieu des affaires, chez les personnes âgées et isolées. À ceux qui craignent tout changement, il a promis la stabilité, la reconduction du même et la prospérité.
Issue de la fusion d'éléments droitiers en rupture avec le PQ et d'un parti populiste de droite, l'Action démocratique du Québec, la Coalition avenir Québec s'est présentée comme le regroupement des politicienNEs qui voulaient écarter le débat souverainisme/fédéralisme et placer la lutte contre la corruption et le rapetissement de l'État au centre de ses préoccupations. Il manifestait également sa volonté d'en découdre avec le mouvement syndical pour affaiblir les possibilités d'action. La CAQ a fait élire 19 députéEs et a recueilli 27 % des voix.
Bref, ces élections ont permis la réaffirmation de la domination de la droite néolibérale sur la scène politique québécoise. C'est une droite qui vise l'équilibre budgétaire, qui fait du paiement de la dette une priorité, qui cherche à privatiser des pans entiers du secteur public, qui vise à affaiblir les organisations syndicales et populaires, tout au profit de l'oligarchie économique régnante. néolibérales....
Une avancée de Québec solidaire, porteur d'une alternative sociale en rupture avec le néolibéralisme
Québec solidaire a réussi à faire élire ses deux porte-parole : Françoise David et Amir Khadir. Il est passé de 3,78 % à 6% du vote. QS a dépassé la barre psychologique des 5% à 43 comtés alors qu’en 2008, il y avait 16 comtés dans cette catégorie. Il a dépassé les 10% des votes dans 12 comtés alors qu’en 2008, il avait dépassé ce seuil dans 3 comtés seulement. De janvier à septembre 2012, le nombre de ses membres est passé de 7 000 à 13 000. Cette progression est liée tant au fait qu'il a su se lier aux luttes étudiantes qui se sont développées durant le Printemps érable que de ses propositions alternatives au discours néolibéral dominant. Du Plan Vert à la bonification des retraites en passant par la gratuité scolaire, la protection des ressources naturelles, ou le revenu minimum garanti et l'élection d'une Assemblée constituante pour l'accession à la souveraineté, la population du Québec a pris connaissance de propositions que seul Québec solidaire défend.
Certains syndicats locaux et régionaux ont appuyé les candidatEs de QS issus de leurs rangs ou qui représentent des intérêts ouvriers. Des secteurs des mouvements syndicaux, féministes, écologistes et étudiants ont affirmé publiquement leurs appuis à QS. Toutefois, il s’agit là de secteurs minoritaires des mouvements sociaux. Dans l'ensemble, ces derniers sont demeurées en dehors de la campagne électorale, sinon pour interroger les partis politiques sur les propositions qu'ils mettent de l'avant. Cette séparation entre la politique et les luttes sociales est une faiblesse qui devra être surmontée.
Un gouvernement minoritaire au cœur d’un approfondissement de la crise mondiale du capitalisme
Cette campagne électorale a ignoré totalement l’impact du renforcement de la crise du capitalisme sur la vie économique et politique du Québec. Ce fut un sujet tabou. Le Canada et le Québec n’échapperont pourtant pas à la détérioration de la situation. Les politiques d’austérité vont ici comme ailleurs être au centre des propositions avancées par l’oligarchie pour faire payer au peuple le coût de sa crise.
Nous entrons donc dans une période où la majorité populaire subira un approfondissement de l’offensive néolibérale. Devant une députation aussi massivement néolibérale, dans un contexte de crise internationale, les politiques d’austérité vont revenir rapidement au centre de l’agenda péquiste.
Le rôle de Québec solidaire ne devra pas être celui d'agir en opposition de gauche au PQ pour le ramener à ses promesses électorales. Il devra proposer des politiques permettant d'indiquer la voie d'une transition économique vers la planification écologique, la socialisation de la propriété capitaliste, la démocratisation des entreprises, la réduction massive du temps et travail et vers des transformations institutionnelles permettant une démocratie sociale véritable dont la réforme du mode de scrutin est un élément parmi d'autres. Les mobilisations devront se faire plus amples et être capables d’identifier la réalité des fondements capitalistes de cette crise pour pouvoir assumer une résistance victorieuse.
L’essentiel de l’opposition au gouvernement va se retrouver dans la rue. Il faudra donc pour renforcer le camp des forces de gauche, développer des pratiques de réflexions et d’actions communes et un vaste réseau de militantEs de gauche dans les mouvements sociaux tout en respectant l’autonomie de ces derniers. On ne pourra pas construire la gauche sans un appui des mouvements syndical, étudiant, populaire, écologiste, féministe, etc.
La tâche des parlementaires de Québec solidaire sera de relayer cette opposition extraparlementaire à l’Assemblée nationale, de défendre les revendications des mouvements sociaux afin de pouvoir donner la réplique aux politiques de droite et aux discours qui servent à les justifier.
Bernard Rioux, membre de Québec solidaire