Le second tour de l’élection présidentielle le 19 décembre devra départager Gabriel Boric, candidat de la gauche rénovée mais gestionnaire du Frente Amplio (coalition incluant le PC) et José Antonio Kast nostalgique de la dictature, de son programme économique et son cortège de violences.
L’élection rejoue le bilan de la dictature de Pinochet (1973-1990) et l’on voit les deux camps s’opposer des slogans issus d’un passé qui ne passe pas : d’un côté un « no pasaran » qui peine à mobiliser et de l’autre un anticommunisme bruyant tout droit venu de la Guerre froide. Cette anomalie électorale, non exempte de dangers, trouve son origine dans l’absence de candidatures incarnant la révolte d’octobre 2019.
Deux coalitions et deux points faibles
L’abstention populaire – qui a frôlé les 60 % dans les quartiers populaires de Santiago et dans les régions – en est une conséquence directe. La sur-représentation électorale des couches intermédiaires de la société, inquiétées par leur déclassement et aspirant au retour de l’ordre, a été illustrée par la percée de l’extrême droite en pourcentage y compris dans les régions du Nord chilien traditionnellement acquises à la gauche. Mais cette radicalisation xénophobe et aux relents néofascistes n’aurait pas été possible sans l’affaissement de la gauche dans son ensemble.
Toutefois, sa qualification au second tour comporte des fragilités. En effet, si l’écart de voix entre Boric et Kast est faible, le nombre de voix de l’extrême droite correspond à quelques milliers près au nombre obtenu par les partisans du maintien de l’ancienne Constitution, suggérant des réserves de voix sans doute moins importante. Les voix des partis laminés de l’alternance (démocrates-chrétiens et socialistes) et celles du candidat indépendant surprise de droite devront donc se partager, mais en majorité se détournent de Kast. L’extrême droite d’ailleurs ne cache pas sa surprise et ses calculs. Nicolas Ibanez, porte-parole de l’aile dure du patronat chilien, ne s’en est pas caché, en expliquant sans fard que le désordre social et la crise économique seront tels qu’il vaut mieux laisser pourrir la situation, et pousser la gauche à se discréditer afin de préparer une solide alternance plus tard.
Kast aura du mal à gagner, mais Boric peut perdre
Les sondages les plus crédibles du début de semaine donnaient une légère avance au candidat du Frente Amplio. Le voyage de Kast aux États-Unis, son évacuation lors d’une visite d’un quartier populaire sous les huées, l’exhumation du passé nazi de son père, les compromissions de sa famille pendant la dictature n’ont pas permis de rendre crédible sa campagne de second tour au-delà des convaincus. Boric a le soutien des principales centrales syndicales, du mouvement féministe, des associations étudiantes, et bénéficie encore à 35 ans d’un certain prestige de leader étudiant de la contestation d’il y a une décennie. Il a aussi le soutien de grands donateurs comme l’a révélé la fondation de statistiques indépendante SOL.
Mais si Kast aura du mal à gagner, Boric peut perdre. Dès ses premières déclarations, le candidat de gauche a déserté sa base électorale pour être crédible auprès des milieux dirigeants avec un nouveau programme : expulsion des migrantEs, fermeture des frontières, maintien en prison des milliers de prisonniers politiques de la révolte sociale de 2019, allant même jusqu’à être absent la semaine dernière lors du vote à la Chambre pour la dépénalisation de l’avortement. Un bien mauvais signal pour mobiliser les milieux populaires et la jeunesse qui se sont abstenus. Mais les résultats du second tour inquiètent aussi les milieux d’affaires de Santiago, car dans les deux cas la stabilité ne sera pas au rendez-vous.