Publié le Vendredi 8 mai 2020 à 15h51.

Confinement et déconfinement : l’exemple de la Malaisie

Les modalités du plan de déconfinement qui se confirme pour la France semblent préparer le déferlement d’une deuxième vague. Cela nous a donc décidé à écrire un article décrivant les circonstances du confinement et du déconfinement en prenant comme exemple un pays d’Asie : la Malaisie. Cet article est moins élaboré que nous l’aurions souhaité mais l’approche du début du déconfinement en France nous a contraint à écrire vite. Nous nous excusons des imprécisions et du manque cruel d’éléments relatifs à la situation des oppriméEs (travailleurEs, femmes, réfugiéEs Rohingyas…). Pour toute information complémentaire, nous conseillons de visiter le site du Parti Sosialis Malaysia1.

Le territoire de la Malaisie est réparti entre la péninsule malaise et le nord de l’île de Bornéo, occupant ainsi une place géostratégique essentielle en Asie du Sud-Est avec le détroit de Malacca par lequel transite le commerce maritime mondial. Sa population de 31,53 millions de personnes se compose de trois groupes ethniques principaux : les Malais (62%) qui jouent un rôle prépondérant dans l’exercice du pouvoir politique, les Malaisiens d’origine chinoise (25%) qui eux dominent sur le plan économique et les Malaisiens d’origine indienne (10%), auxquels il faudrait encore ajouter les « Orang Asli » (terme général désignant les populations indigènes). 

La Malaisie est dotée d’une économie diversifiée : services (54% du PIB), industries manufacturières (23%), pétrole et mines (8,4%), agriculture (8,2%), et construction (4,6%), et très ouverte (les exportations représentent 72% du PIB en 2017). Avec un PIB de 314,5 Md$ en 2017, la Malaisie est la 4e puissance économique de l’ASEAN2 ce qui, rapporté à sa population, la place au second rang en terme de PIB par habitant avec 9 812$, proche du seuil des 12 000$ permettant d’entrer dans la catégorie des pays à haut revenu. En parité de pouvoir d’achat, ce revenu par habitant dépasse ainsi celui de la Russie ou de la Grèce. Les inégalités y sont très prononcées avec un revenu médian mensuel par habitant de 1 900€ (9000Rm) à Kuala Lumpur contre 2000 RM (430€) pour les Etats du nord du pays. 

La situation politique en Malaisie est complexe mais nous pouvons résumer les grandes lignes ainsi. La Malaisie combine des éléments de démocratie bourgeoise avec des élections organisées régulièrement, notamment pour élire le Parlement, mais également des traits d’exercice autoritaire du pouvoir (corruption importante de la police, de décideurs politiques jusqu’à l’ancien premier ministre, emprisonnement d’opposantEs politiques…). En février, une crise parlementaire s’était ouverte, faisant tomber le gouvernement issu des élections législatives de 2017 sur une base anti-corruption. Ce n’est que le 1er mars qu’un nouveau gouvernement a pu être mis en place.

Janvier à mars: premières mesures

Comme dans le reste de l’Asie, l’épidémie du Covid-19 a été prise plus au sérieux qu’en Europe dès le mois de janvier, a fortiori au regard de la part importante de la population d’origine chinoise. Dès début février, la Malaisie a cherché à prévenir l’importation du virus en mettant l’accent sur les mesures d’hygiène personnelle (lavage de main, respect de la distance d’un mètre, port de masque et consultation d’un médecin en cas d’apparition de certains symptômes), l’interdiction d’entrée sur le territoire pour les personnes ayant séjourné à Wuhan (élargie par la suite à d’autres régions de Chine continentale), l’obligation de respecter une quatorzaine à domicile après avoir séjourné dans des zones à risques. En parallèle, des mesures de contrôle de la température dans les aéroports, dans les écoles, les lieux touristiques et les centres économiques et financiers à Kuala Lumpur se sont développées progressivement.

Mars à mai: MCO (ordre de contrôle des mouvements ou confinement)

Suite à l’explosion de la pandémie en Europe et devant l’augmentation rapide du nombre de cas en Asie en général et en Malaisie en particulier, le nouveau premier ministre Tan Sri Muhyiddin Yassin a annoncé le 16 mars la mise en place du MCO. La Malaisie compte alors 553 cas, mais les deux jours précédents ont été marqué par une augmentation de 125 et 190 cas suite à un cluster géant lors d’un regroupement de fidèles ayant rassemblé 25 000 personnes à Kuala Lumpur. 

Le MCO, qui commence le 18 mars et va se décliner en phase de deux semaines, ferait passer le confinement français pour une gentille plaisanterie. Toutes les activités économiques ont été arrêtées à l’exception d’une liste restreinte d’activités essentielles, élargies à partir de la phase 3, débutant le 15 avril. Les écoles et universités sont également fermées. Pas besoin d’attestation puisqu’aucune sortie n’est autorisée sauf deux exceptions : les besoins médicaux et les courses. Dans un premier temps, seul le chef de famille est autorisé à sortir faire les courses, ce qui provoque le mécontentement presque amusé de la population et des associations féministes sur les réseaux sociaux. Mais ces sorties autorisées pour une seule personne du foyer sont limitées à un rayon de 10km autour du domicile, s’il n’y a pas de magasin à proximité. Dans les zones de clusters, aucune sortie n’est autorisée et c’est l’armée qui fournit aux gens de quoi subvenir à leurs besoins directement chez eux (nourriture, produits de première nécessité). C’est ce qu’on appelle le enhanced MCO (EMCO) ou confinement renforcé.

Ces mesures n’ont pas été assouplies pour le début du ramadan alors que traditionnellement les malaisienNEs le célèbrent dans leurs familles et avec leurs proches. SeulEs les étudiantEs ont été autorisés à retourner dans leurs familles dans le cadre de transport organisé par le gouvernement et/ou enregistré sur une application de tracking. 

En effet, les moyens mis en oeuvres pour faire respecter le MCO sont aussi radicales que les mesures qu’il contient. Face aux difficultés rencontrées par la police dans les premiers jours, l’armée est déployée à partir du 22 mars. Des barrages sont installés dans le pays pour permettre aux forces de sécurité d'arrêter chaque véhicule et de vérifier que les conducteurs sont seuls, portent un masque et ont un motif valable de circuler. Rapidement, le non respect du MCO n’expose plus seulement à une amende mais aussi à une possible  arrestation. Au 24 avril, 19048 personnes ont été arrêtées et 1014 poursuivies devant les tribunaux. Même sans être déférées devant les tribunaux, les personnes arrêtées peuvent être amenées à faire jusqu’à 6 jours de « garde à vue » puis être contraintes de payer une amende de 1000 Rm (213€) pour éviter d’être condamnées d’un à 6 mois de prison. Pour donner un ordre d’idée, 1000Rm représente la moitié du salaire mensuel d’un policier. 

Le contrôle exercé est donc extrêmement strict et peut également relever de l’arbitraire. Dans les personnes arrêtées, il y a ainsi des personnes sorties faire un jogging sur un parking dans l’enceinte de leur résidence ou par exemple, un homme arrêté, alors que sa sortie était justifiée et autorisée, au motif qu’il portait des chaussures de sport et devait donc faire un footing3… 

Depuis le 4 mai: CMCO (confinement réduit)

Le 1er mai, les résultats sont là. En tout, 6 071 personnes auront été infectées par le Covid-19, 103 en sont mortes et 4 210 se sont rétablies4. Il ne reste donc plus que 1 758 cas actif. Malgré 3 plans de soutien, le coût social et économique est en revanche dramatique pour la majorité de la population. D’après les données officielles, 75% de la population aurait au maximum 1000 Rm d’épargne pour vivre en l’absence de nouveau revenu, de longues files d’attente commencent à se former devant les prêteurs sur gage et les banques. Les difficultés de trésorerie risquent de contraindre 49% des entreprises à fermer. 

Cette situation est particulièrement difficile pour les plus oppriméEs. Comme partout dans le monde, le confinement a ainsi augmenté les violences domestiques envers les femmes. La hotline gouvernementale dédiée avait ainsi enregistré une augmentation de 57% des appels entre le 26 mars et le 4 avril5. Mais cette situation a un écho particulier dans un pays où la communication gouvernementale s’est d’abord fait remarquer pour encourager les femmes à « ne pas se laisser aller » pendant le confinement6… La fermeture des frontières a également des répercussions sur les réfugiéEs Rohingyas (minorité musulmane du Myanmar) qui se voient refuser l’accès au territoire malaisien par les autorités. Des boatpeople sont en ce moment bloqués dans les eaux internationales au large du nord de la Malaisie, après que des dizaines de femmes et d’enfants pour la plupart soient morts sur le trajet7. Au delà du cas des Rohingyas, des centaines de travailleurEs immigréEs et leurs familles, y compris des enfants en bas âge, ont été arrêtés et détenus car accusés d’être sur le sol malaisien illégalement8.

Le gouvernement qui doit en plus se préparer à la reprise des débats parlementaires le 18 mai a donc opéré un virage à 360 degrés au milieu de la phase 4 du MCO. Le 1er mai, le premier ministre annonce la reprise d’une partie de la vie économique et sociale. Les sorties sont à nouveau autorisées même s’il est toujours conseillé de les limiter au maximum. Au sein du territoire malaisien, les déplacements entre Etats restent néanmoins interdits et les frontières nationales restent fermées. Les commerces sont autorisés à rouvrir dont les restaurants. Les bars, discothèques, salles de sport, cinémas restent quant à eux fermés.

Les écoles, collèges, lycées et universités sont encore fermées. Mais pour le comprendre il faut prendre en compte le calendrier scolaire malaisien. L’année scolaire s’étend de janvier à décembre avec deux semaines de vacances à l’issue du ramadan soit pour cette année du 25 mai au 8 juin. Les examens qui devaient avoir lieu cet été ont déjà été décalés à l’automne (universités) et la plupart ont simplement été annulés (examens de fin d’étude). Il est donc peu probable que la réouverture ait lieu avant la date du 8 juin, le gouvernement ayant promis de prévenir au moins 2 semaines avant la reprise. Il faut noter que des protocoles d’hygiène et de sécurité sont en revanche déjà discutés par le ministère de l’Education Nationale depuis le mois d’avril.

Dans le cadre du CMCO, les mesures de sécurité restent néanmoins importantes. Si le port du masque n’est pas obligatoire, il est généralisé à 99% de la population. Le gouvernement en a d’ailleurs fixé le prix à 1,50Rm soit 0,32€ mais qui doit être rapporté au pouvoir d’achat en Malaisie. La prise de température déconseillée à l’entrée des entreprises en France est ici obligatoire. Sur les routes, des barrages de police arrêtent les automobilistes et les conducteurs de 2 roues pour prendre leur température. Si les magasins et les restaurants ont rouverts, il faut pour y entrer se laver les mains avec du gel hydroalcolique, inscrire ses nom et prénom, son numéro de passeport ou de carte d’identité, son heure d’entrée, sa température et son numéro de téléphone de façon à pouvoir retracer les interactions de chacun en cas de contamination. 

En conclusion, les mesures prises par le gouvernement malaisien ne sauraient être reprises intégralement, vu leur dimension liberticide. Néanmoins, le sérieux de ce protocole de déconfinement illustre, en comparaison, l’incompétence du gouvernement français dans les dispositions privilégiées et la catastrophe que cela pourrait annoncer.