Publié le Mercredi 10 janvier 2018 à 17h30.

Contre le campisme, avec la contestation en Iran

Les récentes mobilisations en Iran ont été l’occasion, dans une certaine gauche, de la réactualisation des thèses campistes, selon lesquelles tout ce qui semble aller contre les intérêts immédiats des États-Unis doit être soutenu, tandis que tout ce qui semble aller dans le sens de ces intérêts immédiats doit être combattu. Quitte à flirter, parfois, avec le conspirationnisme.

Le 30 décembre 2017, une traduction d’un article sur l’Iran, publié la veille sur le site Moon of Alabama, est mise en ligne sur le site Arrêt sur info (qu’il ne faut pas confondre avec Arrêt sur images). Dès les premières lignes, le ton est donné : « Hier et aujourd’hui, il y a eu des petites manifestations en Iran. Elles constituent probablement la première étape d’une vaste opération de "changement de régime" menée par les États-Unis et Israël avec l’aide d’un groupe terroriste iranien. » L’article est repris sur divers sites, entre autres le Grand Soir, et circule sur les réseaux sociaux, au côté d’autres textes défendant la même thèse : les mobilisations en Iran résulteraient d’une entreprise de déstabilisation venue de l’extérieur, menée par les États-Unis et Israël. 

La main de l’étranger

Ce type de théorie n’est pas nouveau, a fortiori lorsque l’on s’intéresse à l’ensemble régional Moyen-Orient Afrique du Nord. Le cas de la Syrie est à cet égard emblématique, qui a généré moult « analyses » expliquant que le soulèvement syrien de 2011 avait été fomenté de l’extérieur par des forces hostiles à Bachar al-Assad. Certains sont allés jusqu’à affirmer que l’ensemble du phénomène des « printemps arabes » n’était qu’une vaste opération de déstabilisation venue de l’étranger, principalement organisée par les gouvernements israélien et US. 

Les « preuves » à l’appui de ces thèses sont toujours indirectes et ne s’encombrent guère de la chronologie. Dans le cas de l’Iran, le raisonnement est le suivant : Donald Trump et Benyamin Netanyahou sont notoirement hostiles au régime iranien ; or ils se sont tous les deux félicités des mobilisations en Iran ; ils sont donc à la manœuvre et « derrière » ces mobilisations. 

Mais à moins de verser dans une vision complotiste de l’histoire, tout ce qui semble aller dans le sens des intérêts immédiats d’une grande puissance n’est pas nécessairement organisé par elle, quand bien même elle ferait preuve d’opportunisme. Certains, à gauche, semblent avoir oublié les accusations portées par la réaction russe contre Lénine, accusé d’être un agent à la solde du Reich dont la mission était la démobilisation des soldats russes. La preuve ? L’Allemagne a facilité son retour en Russie en 1917 !

Confusion entre opportunisme et manipulation

Nous sommes ici face à une confusion entre opportunisme et manipulation, qui découle d’une vision « par en haut » de l’histoire. Il ne s’agit évidemment pas de nier l’actualité du phénomène des ingérences extérieures, notamment en ce qui concerne les États-Unis, ni d’avoir la mémoire courte en oubliant l’Iran de 1953 ou le Chili de 1973. Mais les explications « par en haut », en réduisant les rapports sociaux à ce que l’on pense être les intérêts des grandes puissances, participent d’une négation de la complexité, si ce n’est de l’existence, de la lutte des classes.

Comme dans le cas syrien, la réalité des mobilisations populaires sur le terrain en Iran est reléguée au second plan, et la prééminence est donnée aux objectifs et aux déclarations de dirigeants étrangers. Corollaire de cette relégation : les motivations et les revendications des manifestantEs sont évacuées, et l’on se concentre sur des enjeux « géopolitiques ». On en arrive ainsi, même si tel n’est peut-être pas l’objectif de départ, à refuser de se solidariser, au nom d’intérêts supérieurs, avec des mobilisations authentiquement progressistes, et à minorer, implicitement ou explicitement, la nature oppressive et -réactionnaire de certains régimes. 

Le campisme n’est donc pas seulement une négation de la lutte des classes : il traduit aussi une vision du monde empreinte de colonialisme qui postule que certains peuples, tellement stupides pour ne pas se rendre compte qu’ils seraient manipulés, ne méritent pas notre solidarité.

Julien Salingue