Publié le Jeudi 11 janvier 2024 à 08h00.

Cuba, le rêve révolutionnaire

« ...où est-il passé ce Don Quichotte communiste ? /qu’est-ce qu’il était gros le moulin où sa lance s’est brisée, / ou l’hallucination qui a troublé son espoir ? / Hélas pour la génération /qui paiera les désastres de ce cyclone ! » Métamorphose, de Santiago Feliú.

Le 1er janvier 1959, au moment de l’effondrement de la dictature militaire soutenue par les États-Unis, les « barbudos » (barbus), partisans du Mouvement du 26 juillet, et les masses populaires de Cuba ont réussi le pari de la révolution, la première en Amérique latine. Sa puissance change radicalement le visage du continent et son avenir.

Ce 1er janvier, nous avons célébré le 65e anniversaire de la victoire de la Révolution cubaine, point de bascule dans la vague des luttes de libération nationale (anticoloniales et anti-impérialistes) de la seconde moitié du 20e siècle. La compréhension de son passé et de son présent est incontournable pour tous les révolutionnaires.

Vague anti-impérialiste

Les premières décennies ont été marquées par l’idéalisme d’une révolution triomphante, avec l’élan enthousiaste d’un peuple engagé dans la construction d’un pays qui se voulait « démocratique, populaire et anti-impérialiste », puis résolument socialiste lorsque la pression des États-Unis s’est intensifiée.

Les transformations survenues durant ces premières années sont profondes et variées, incluant la réforme agraire, la nationalisation des banques et des entreprises stratégiques, l’universalisation de l’éducation et la gratuité des services publics. Parmi ces transformations, la campagne d’alphabétisation a été certainement celle qui a eu l’impact le plus profond dans l’île. Elle a constitué un moment fondateur non seulement parce qu’elle a permis d’éliminer ­l’analphabétisme, qui touchait 57 % de la population au moment de l’insurrection, mais aussi parce qu’elle a formé toute une génération de jeunes censéEs bâtir une société socialiste. Ces jeunes ont été confrontéEs, parfois pour la première fois, à l’extrême misère de la population et à la nécessité vitale d’une transformation sociale.

La révolution a attiré à Cuba des milliers d’intellectuelEs, des militantEs ou des simples spectateurEs du monde entier, qui sont souvent retournéEs chez elles et eux pour lutter à leur tour afin de diffuser les idées révolutionnaires. Avec Che Guevara comme symbole suprême de cet internationalisme, la vague révolutionnaire s’est propagée partout, surtout en Amérique latine, où une génération entière a donné vie (et parfois sacrifié sa vie) à des luttes révolutionnaires, notamment la révolution nicaraguayenne de 1979 et, une décennie plus tard, le ­soulèvement zapatiste de 1994. 

Après la chute du mur de Berlin

Longtemps harcelée et traquée par les États-Unis, victime de nombreuses attaques terroristes et soumise au blocus le plus long de l’histoire, Cuba a traversé une crise qui semblait sans fin. Dénommée « la période spéciale de guerre en temps de paix », celle-ci a été avant tout causée par la chute du mur de Berlin ayant effacé d’un coup 80 % de ses échanges économiques. Face à un mécontentement grandissant, le gouvernement a dû changer ses priorités : de la « construction du socialisme » à la « défense du socialisme », puis à la « défense des acquis du socialisme ». À chaque changement de slogan, une nouvelle renonciation aux principes révolutionnaires s’imposait. L’auto-organisation des masses a été hélas la première à être sacrifiée.

Aujourd’hui, la société issue de la révolution peine à survivre car elle doit faire face aux pénuries d’une économie mixte impliquant des inégalités sociales profondes et un vide démocratique dont les manifestations du 11-J (11 juillet 2021) révèlent la profondeur. 

Si la résignation et la passivité ont remplacé l’enthousiasme, il reste sur l’île une large base résistante qui, voyant les ravages causés par l’abandon du projet socialiste et l’affirmation de la démocratie libérale dans de nombreux pays du monde, refuse, encore aujourd’hui, de céder aux pressions ­impérialistes. 

Dans ce contexte, le futur de Cuba sera déterminé par la capacité de cette base, qui reflète encore les aspirations des classes populaires du monde, à relancer un projet révolutionnaire, populaire et émancipateur.