Publié le Lundi 11 décembre 2023 à 08h00.

Du partage de la Palestine historique à la deuxième Intifada

Brochures des JCR-RED de 2001 et 2002 revues par Maya Lavault

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde découvre l’ampleur du génocide juif. À cette époque, la Grande-Bretagne, le Canada et les États-Unis ferment, sous toutes formes de prétextes, leurs portes à l’immigration juive. Sous la pression des grandes organisations sionistes confrontées à la montée du nationalisme palestinien sous l’effet de l’accélération de l’immigration juive et de l’accroissement rapide des colonies, la Grande-Bretagne, qui a reçu en 1919 de la SDN un mandat sur la Palestine, fait appel à l’ONU pour trancher la question. Une commission de l’ONU émet l’idée d’un partage tandis que les pays arabes prônent un État binational dans lequel coexisteraient Juifs et Arabes.

Du partage de 1947 à la création de l’État d’Israël (1948)

Les sionistes utilisent plusieurs arguments pour encourager la proposition d’un partage : les intérêts électoraux des représentants de l’ONU qui pourraient être menacés par le poids électoral juif ; l’histoire des Hébreux et de la Bible ; les persécutions dont les Juifs ont été victimes ; la responsabilité des pays occidentaux dans le génocide juif ; l’apport économique qu’apporteraient les colons juifs aux Arabes, jugés pauvres et peu instruits.

Pour les grandes puissances impérialistes, même si leurs intérêts divergent sensiblement sur cette question, l’essentiel est d’avoir un pied au Moyen-Orient, dans le but de contrôler les ressources pétrolières potentielles et de faire barrage à l’influence soviétique. La création d’un État juif dans cette zone leur permet non seulement de « régler » le « problème » juif, mais surtout d’avoir un point d’appui sans avoir recours à la colonisation directe. Il faut par ailleurs rappeler que c’est l’URSS qui, la première, accepte l’idée du partage, y voyant un moyen de renforcer son « camp » dans un monde polarisé par les deux grandes puissances.

L’ONU décide de soumettre au vote l’idée du partage de la Palestine : 57 % du territoire total serait attribué à l’État sioniste ainsi que 80 % des terres céréalières et 40 % de l’industrie. En 1947, les Juifs ne représentent pourtant qu’un tiers de la population totale de Palestine. Le partage équivaut donc pour les PalestinienNEs à céder à une communauté minoritaire, composée de très récentEs immigréEs, plus de la moitié d’un territoire qui leur revient de droit. L’idée d’un « État refuge » pour les rescapéEs de l’Holocauste apparaît clairement comme une façon pour l’Europe et les États-Unis de se décharger sur la Palestine de leur propre culpabilité. Le partage sera finalement approuvé par l’assemblée de l’ONU le 29 novembre 1947. L’ONU, jouet du rapport de force impérialiste, a donc failli à l’un de ses prétendus principes fondamentaux : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Dès le début de l’année 1948, les organisations sionistes armées s’attaquent à la population palestinienne. Elles commencent à mener une véritable guerre civile. Leur objectif : chasser les PalestinienNEs et « purifier » les territoires alloués à Israël de toute présence non juive. Cette logique de purification passe par une politique de terreur, avec une série de massacres dont le plus connu est celui de Deir Yassine (9 avril 1948). Les Britanniques quittent la Palestine le 15 mai 1948. Le même jour, Ben Gourion proclame la création de l’État d’Israël sans en préciser les frontières. Dès lors, des pays arabes envoient des soldats pour empêcher la création de l’État sioniste. Au terme de cette guerre, que les IsraélienNEs considèrent comme leur guerre d’indépendance, Israël agrandit son territoire d’un tiers, occupant 78 % de la Palestine historique.

Notons que la « guerre » de 1948 n’opposait pas le David juif au Goliath arabe. Non seulement le déséquilibre militaire n’allait pas dans ce sens, mais il faut noter que les États arabes, et notamment la Jordanie, ne voulaient pas d’un État palestinien. Des rencontres entre le roi de Jordanie et Golda Meir, dirigeante israélienne, ont eu lieu avant la déclaration d’indépendance israélienne de mai 1948 : un partage tacite de la Palestine historique avait été conclu. Ceci ne relève pas de l’anecdote, car c’est ce qui va déterminer par la suite la politique des États arabes vis-à-vis de la question palestinienne : une hostilité affichée à l’État d’Israël et un soutien de façade aux PalestinienNEs afin de satisfaire leurs populations qui se solidarisent avec le peuple palestinien, mais aucune volonté de se mettre à dos les puissances occidentales en mettant en pratique les beaux discours.

L’implantation de l’État sioniste (1949-1967)

En 1949, Israël entre à l’ONU. La résolution 273 lui enjoint de mettre en œuvre les précédentes résolutions sur la Palestine qui ordonnent de rapatrier les réfugiéEs qui le désirent ou d’indemniser celles et ceux qui renonceraient au retour. Cependant, Israël refuse de prendre en compte le retour des réfugiéEs palestinienNEs. Il s’approprie par une série de lois les possessions palestiniennes, soit 300 000 hectares et plus de 70 000 habitations non détruites. Pour les sionistes, l’occupation des maisons palestiniennes résout le problème de l’absorption des immigrantEs juifs. Tout est fait pour, d’une part, occuper la place « laissée vide » en occupant les maisons ou en créant de nouvelles colonies, et d’autre part empêcher tout retour des réfugiéEs dans leur village d’origine. À côté de cela, la « loi du retour », instaurée en 1950, crée un droit d’immigration en Israël pour toute personne de confession juive à travers le monde.

150 000 PalestinienNEs sont restéEs en Israël malgré la guerre. La loi martiale leur est imposée : beaucoup seront placéEs en détention sans charge et emprisonnéEs sans procès, parfois pendant plusieurs années. En 1950, Israël leur « accorde » la nationalité israélienne et le statut de citoyenNEs à part entière. Mais dans la réalité, la loi israélienne ne leur accorde que des droits « partiels », institutionnalisant ainsi une véritable discrimination. En effet, la loi leur interdit d’habiter certaines villes, d’acheter des terres à des Juifs, d’accéder au regroupement familial lors de mariages avec des non IsraélienNEs. Une loi d’urgence permet même à l’État de confisquer leurs terres, tandis qu’une autre, sur l’éducation, fixe comme objectif pédagogique la promotion de la culture juive et de l’idéologie sioniste. De nombreux villages palestiniens ne sont pas reconnus par l’État, qui leur refuse l’accès à l’eau courante, au chauffage et à l’électricité. C’est une véritable logique d’apartheid qui se met en place.

La Cisjordanie et Gaza sont annexées respectivement par la Jordanie et l’Égypte. En 1956, le chef d’État égyptien Nasser demande aux États-Unis et à la Grande-Bretagne une aide financière pour réaliser le barrage d’Assouan sur le Nil. Ils la refusent. En réaction, Nasser nationalise la Compagnie britannique du canal de Suez le 25 juillet 1956. Le 28 juillet, la France et la Grande-Bretagne, qui y voient une menace pour leurs intérêts économiques, envisagent une riposte militaire. Ils signent donc un accord secret avec Israël pour attaquer l’Égypte. Le 29 octobre, les blindés israéliens envahissent le Sinaï égyptien. Le 6 novembre, les forces franco-britanniques débarquent en Égypte. Mais devant les menaces des États-Unis et de l’URSS qui entendent diriger seuls la politique internationale, la coalition fait marche arrière. Israël prouve ainsi son engagement et son efficacité au côté des puissances impérialistes, espérant en contrepartie obtenir des appuis diplomatiques et des aides financières. Jusqu’en 1967, la France sera le principal allié de l’État sioniste (livraison d’avions Mirage, aide à la recherche nucléaire…)

La mise en place de la colonisation totale de la Palestine

La guerre de 1967, dite des « Six-Jours », qui oppose une nouvelle fois Israël à ses voisins arabes, est en réalité préparée par l’État sioniste cinq ans auparavant. Israël traverse alors une grave crise économique. Dans le contexte des provocations verbales du chef d’État égyptien, qui n’avait en fait ni les moyens ni l’intention de se lancer dans une guerre (comme l’ont reconnu plus tard des généraux israéliens), l’incertitude gagne les populations israéliennes et arabes. Alors que la Syrie craint une intervention d’Israël sur son sol, Nasser réaffirme la force et l’unité arabes : il mobilise ses forces armées et décide de faire le blocus du détroit de Tiran, seul débouché maritime d’Israël vers l’Asie. Le gouvernement israélien utilise ce prétexte pour réagir le 5 juin 1967 : l’aviation israélienne détruit la plupart des bases aériennes égyptiennes ainsi que les blindés présents dans le désert du Sinaï. En une journée, l’Égypte est à terre. La Jordanie considère qu’elle doit se joindre à la guerre, la moitié de ses citoyenNEs étant des PalestinienNEs réfugiéEs de 1948. Israël profite de cette occasion pour pouvoir s’emparer de la vieille ville de Jérusalem, occuper la totalité de la Cisjordanie et prendre d’assaut les hauteurs du Golan syrien. L’URSS, alliée de la Syrie, fait pression sur les États-Unis pour faire voter la résolution 242 enjoignant Israël à quitter immédiatement les territoires conquis. Cette demande restera lettre morte. En seulement six jours, l’État sioniste a quadruplé son territoire. Plusieurs dizaines de milliers de PalestinienNEs reprennent à nouveau le chemin de l’exode, et c’est désormais toute la Palestine historique qui se retrouve sous occupation israélienne.

Le gouvernement israélien met alors en place sa politique de colonisation de la Cisjordanie et de Gaza. Suivant un plan destiné à contrôler la population palestinienne, il commence la construction de colonies dans des lieux stratégiques : le long de la frontière avec l’Égypte ou de la Jordanie, autour des grandes villes palestiniennes, et principalement autour de la partie palestinienne, à l’est de Jérusalem. Pour permettre la construction de ces colonies, Israël confisque des terres palestiniennes et va jusqu’à détruire des milliers de maisons. Enfin, il prend le contrôle des réserves aquifères pour les destiner majoritairement aux colons qui viennent s’installer.

La répression de la résistance palestinienne (1967-1987)

Six semaines après la guerre, un petit groupe de combattants palestiniens de l’OLP (parmi lesquels Yasser Arafat) quittent leur refuge de Syrie et traversent le Jourdain pour la première fois. À l’origine, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), créée en 1964, était une tentative des dirigeants des régimes arabes du Moyen-Orient de contrôler les aspirations nationalistes palestiniennes. De petits mouvements s’opposaient déjà : le Fatah, fondé par Yasser Arafat en 1959, voulait maintenir la lutte en Palestine alors que le mouvement nationaliste de Georges Habbache avait en théorie l’objectif de renverser les régimes arabes. Mais en favorisant avant tout l’action terroriste spectaculaire comme moyen d’action principal, les groupes nationalistes palestiniens ne se donnent pas les moyens de développer un mouvement autonome des masses, qui constitue pourtant le seul moyen de faire reculer l’état sioniste. Les combattants du Fatah commencent à recruter et à entraîner des petites cellules de résistance pour frapper Israël. Ils posent des pièges contre l’armée d’occupation. Mais quand l’État sioniste exerce des « représailles », c’est le royaume de Jordanie qui encaisse les coups. Le FPLP d’Habbache se lance quant à lui dans de spectaculaires attaques terroristes. La présence des combattants palestiniens sur le sol jordanien, l’hostilité avouée de certains d’entre eux, comme le FPLP, à l’autoritarisme du régime jordanien ainsi que le soutien qu’ils recueillent des réfugiéEs, amènent le roi Hussein de Jordanie à précipiter les choses. En septembre 1970, les soldats et blindés jordaniens encerclent les camps de réfugiéEs palestinienNEs et tuent plus de 3 500 PalestinienNEs. Les résistantEs palestinienNEs sont expulséEs de Jordanie vers la Syrie et le Liban. En octobre 1973, une autre guerre (la guerre du Kippour) est déclenchée par l’Égypte et la Syrie dans le but de récupérer les territoires conquis par Israël en 1967. C’est un nouvel échec.

Israël s’engage à nouveau dans une guerre qui va changer la donne dans la région. Après avoir envahi en 1978 le sud Liban pour y créer un front dit de « sécurité », Israël envisage de chasser définitivement les résistantEs palestinienNEs qui agissent depuis le pays. À la source de cette guerre : Ariel Sharon, ministre de la Défense du gouvernement Likoud. Avec l’appui de son premier ministre Begin, il lance l’offensive contre la population libanaise qu’il va tenir en otage en bombardant toutes les villes du sud du pays ainsi que sa capitale Beyrouth. Ariel Sharon passe également un accord avec les phalangistes libanais chrétiens hostiles à la présence de l’OLP. Les LibanaisES, qui payent cher le prix de cette présence – entre 25 000 à 30 000 personnes meurent sous les bombardements –, somment les résistantEs palestinienNEs de l’OLP de quitter le pays. Contraints et forcés, l’OLP et Arafat quittent le pays, sous la protection d’un contingent international (États-Unis, France, Grande-Bretagne) pour aller se réfugier en Tunisie. Pour l’État sioniste, ce n’est qu’un demi-succès, car l’autre but inavoué de cette campagne de terreur était de placer à la tête de l’État libanais son allié Béchir Gemayel, le chef des phalangistes chrétiens, qui meurt dans un attentat à Beyrouth juste après le départ de l’OLP. En réaction, les forces israéliennes reçoivent l’ordre d’entrer dans le quartier musulman de Beyrouth afin d’y « maintenir l’ordre ». Les troupes phalangistes participent aux combats et, le 15 septembre, ils décident d’un commun accord avec Sharon de « nettoyer » les camps de réfugiéEs palestinienNEs de Sabra et Chatila. L’armée israélienne encercle les camps, tandis que les phalangistes s’y livrent à un véritable massacre. On dénombre plus de 2 000 mortEs, en majorité des enfants, des femmes et des vieillards. Une commission d’enquête israélienne attribua par la suite une responsabilité « indirecte » de Sharon dans le massacre, qui le contraint à démissionner. Avec ces massacres, devant lesquels la « communauté internationale » se tait, Israël pense en avoir fini avec les aspirations nationales et la résistance du peuple palestinien.

Des pierres contre les chars : la première Intifada (1987-1993)

Après l’expulsion des mouvements de la résistance palestinienne de Jordanie (1970) et du Liban (1982), le gouvernement israélien pensait ne plus trouver d’obstacle à sa mainmise sur la Cisjordanie et Gaza. Sur le terrain, la colonisation, les destructions de maisons et la répression se poursuivent de plus belle. Sur le plan politique, le gouvernement israélien échoue dans la mise en place d’une élite palestinienne qui serait capable de maintenir l’ordre efficacement et sur la durée. En effet, l’immense majorité de la population des territoires rejette radicalement l’occupation et réclame le retour des réfugiéEs et des directions politiques en exil.

Le 9 décembre 1987, un accident mortel provoqué par un véhicule israélien dans le camp de Jabalya, au nord de Gaza, déclenche le soulèvement généralisé des camps de réfugiéEs et des villes palestiniennes. Pour la première fois, l’armée israélienne doit faire face à un mouvement de masse luttant sans armes à feu, mais simplement avec des pierres pour empêcher l’avancée des chars israéliens. L’image d’un Israël en danger, cerné d’armées arabes prêtes à le détruire ne tient plus. Le déséquilibre des forces devient une évidence, et les PalestinienNEs apparaissent enfin pour ce qu’ils et elles sont : des résistantEs contre une occupation qui dure depuis vingt ans, pas des terroristes ! Plus habituée à mener des guerres, l’armée israélienne tente de maintenir l’ordre par la terreur et la répression. Ainsi, le futur prix Nobel de la Paix Yitzhak Rabin, alors ministre de la Défense, ordonne de casser les membres des jeunes palestinienNEs pour les dissuader de jeter des pierres. Au total, la répression fera plus d’un millier de mortEs en cinq ans, auxquels il faut ajouter des dizaines de milliers de blesséEs et de prisonnierEs, les tortures, les destructions de maisons et de champs…

Devant l’ampleur de la répression, le doute commence à s’installer chez de nombreux soldats israéliens, jusque dans l’état-major. Il apparaît de plus en plus clairement qu’il est impossible de mater définitivement un mouvement de masse mené par une population à qui l’État israélien ne reconnaît par ailleurs aucun droit d’expression politique. La violence démesurée de la répression va même pousser des centaines de jeunes appelés israéliens à refuser de servir dans les territoires occupés, malgré les condamnations à des peines de prison. Pour la première fois, le gouvernement israélien va être amené à se poser la question d’une issue politique à la révolte des PalestinienNEs, ce qui implique d’ouvrir un dialogue avec les PalestinienNEs elles et eux-mêmes, sans passer par les dirigeants des pays arabes voisins.

Si l’Intifada a popularisé l’image du chebab jetant des pierres, elle n’en a pas moins impliqué l’ensemble de la société palestinienne. La direction politique du soulèvement est assurée par la coordination des différents comités populaires constitués dans les camps de réfugiéEs, les quartiers, les villages et les fabriques. Syndicalistes et militantes d’organisations féministes bousculent un peu plus les structures traditionnelles de la société palestinienne. Les comités prennent en charge tous les aspects de la révolte : grèves, aide aux blesséEs, aux démuniEs, approvisionnement des jeunes qui affrontent l’armée, éducation, formation politique…

Mais dès 1988, la direction en exil de l’OLP reprend les affaires en main. Les déclarations officielles du mouvement n’émanent plus de la coordination des comités populaires mais directement de l’OLP, ce qui alimente les frustrations et grossit les rangs du jeune mouvement islamiste radical Hamas, installé à Gaza avec la complicité des dirigeants israéliens, qui voient d’un mauvais œil le développement d’un mouvement de masse populaire, radicalement laïc et démocratique. Diviser pour mieux régner !

En cinq ans d’Intifada, l’État israélien aura appris à ses dépens qu’il ne peut contrôler une population occupée comme il contrôle ses frontières. Dès lors, son gouvernement cherche à maintenir le contrôle de la terre et de l’eau, sans avoir à gérer la population arabe. Or la monarchie jordanienne a renoncé en 1988 au contrôle administratif qu’elle exerçait partiellement en Cisjordanie et ne se pose plus en représentante des PalestinienNEs. Cela a pour effet d’ouvrir enfin la perspective d’un État palestinien que l’OLP n’a cessé de réclamer. L’OLP devient donc incontournable, même si le gouvernement israélien n’est pas immédiatement disposé à négocier avec elle.

La mise en place du processus d’Oslo (1993-2000) : un processus de paix… pas très équitable !

Outre le nouveau rapport de force imposé par l’Intifada et l’enlisement de l’armée israélienne dans les territoires, plusieurs éléments poussent Israël à accepter l’ouverture de négociations.

La chute progressive du bloc de l’Est permet aux États-Unis de revoir à la hausse leur stratégie offensive au Moyen-Orient ; les États arabes, et en premier lieu la Syrie (ennemi principal d’Israël) qui ne peut plus compter sur le soutien soviétique, sont poussés à rejoindre la coalition qui mène l’attaque contre l’Irak pendant la guerre du Golfe (1991). Parallèlement, le régime de Saddam Hussein fait apparaître le « deux poids deux mesures » de la politique des Nations unies, qui exigent militairement le retrait irakien du Koweït sans en imposer autant à Israël pour les territoires occupés. L’OLP soutiendra d’ailleurs l’Irak, mettant les USA dans l’embarras car le mouvement de résistance palestinienne bénéficie d’une forte popularité dans l’ensemble du Monde arabe. Cette situation contraint donc les États-Unis et Israël à donner quelques gages à l’OLP, d’autant plus qu’elle a officiellement renoncé aux actes terroristes et à ses revendications sur l’ensemble de la Palestine mandataire (correspondant aux frontières de 1916), se contentant de la revendication d’un État palestinien sur les 22 % de la Palestine que constituent les territoires occupés. D’ailleurs, ni la gauche pacifiste israélienne ni un certain nombre de gouvernements européens ne cachent plus longtemps leurs contacts avec l’OLP.

Le feu vert intéressé des États-Unis permet donc en 1991 l’ouverture de la conférence de Madrid… en l’absence des PalestinienNEs ! C’est cependant la première fois qu’un gouvernement israélien accepte de discuter du conflit dans le cadre d’une conférence internationale. Celle-ci ouvre la voie à des négociations secrètes entre le parti travailliste israélien et l’OLP à Oslo. Les accords issus de ces négociations seront signés à Washington sur la pelouse de la Maison Blanche le 13 septembre 1993, entre le premier ministre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat : alors que l’OLP reconnaît officiellement l’existence d’Israël, le gouvernement israélien se contente de reconnaître l’OLP comme « représentant légitime du peuple palestinien » et de lui accorder l’installation partielle d’une autorité souveraine dans les territoires. La question de l’État palestinien est repoussée à plus tard : c’est l’option « Gaza et Jéricho d’abord ».

Outre la reconnaissance « mutuelle », les accords de Washington prévoient cinq années de négociations devant régler point par point tous les désaccords en vue d’établir un statut permanent pour les territoires occupés. Mais au fur et à mesure que se succèdent les accords intérimaires, la volonté israélienne de conserver le contrôle effectif des territoires apparaît de plus en plus claire. On peut citer pour exemples :

• Le protocole de Paris (1994) : l’économie palestinienne est légalement placée sous le contrôle effectif d’Israël, qui obtient de façon officielle d’importants moyens de pression financiers sur l’Autorité Palestinienne.

• Oslo II (1995) : sous prétexte de redéploiement des forces armées israéliennes hors de six villes palestiniennes, la Cisjordanie est découpée en trois types de zones. Les zones A sont placées sous contrôle effectif de l’Autorité Palestinienne ; les zones B sont sous administration civile palestinienne mais dépendent d’Israël sur le plan sécuritaire ; quant à la zone C, la seule qui soit géographiquement continue, elle reste sous contrôle total israélien. Au fur et à mesure des nombreux accords intérimaires, l’armée israélienne est censée se redéployer pour laisser davantage de zones autonomes aux PalestinienNEs. Mais les calendriers ne seront jamais respectés par Israël et, au maximum du retrait de ses forces (février 2000), les zones A autonomes ne représentent que 18 % de la Cisjordanie (en huit zones disjointes), contre 60 % pour la zone C.

• Le protocole sur Hébron (1997) : l’armée israélienne maintient son occupation dans la vieille ville d’Hébron pour « protéger » 400 colons juifs extrémistes et armés. On peut l’interpréter comme un message politique adressé aux PalestinienNEs signifiant qu’Israël refuse de démanteler ses colonies dans les territoires occupés.

Tout au long du processus, l’argument sécuritaire est systématiquement employé par les différents gouvernements israéliens pour retarder le calendrier des négociations et des redéploiements. En mai 1999, au terme de la période intérimaire prévue par les accords d’Oslo, l’Autorité Palestinienne accepte de reporter la déclaration d’indépendance de l’État palestinien pour ne pas compromettre les négociations à venir. En effet, trois thèmes majeurs n’ont pas encore été abordés : le statut de Jérusalem-Est, annexée par Israël et revendiquée comme capitale par les PalestinienNEs, le sort des colonies juives, et celui des réfugiéEs palestinienNEs de 1948.

Un processus « de paix » qui conduit au renforcement des bouclages, de la colonisation et de la chasse aux opposants politiques

La mise en œuvre des accords d’Oslo s’accompagne de nouvelles restrictions à la circulation des PalestinienNEs, en particulier de celles et ceux qui doivent travailler en Israël. Le processus dit « de paix » renforce de fait l’apartheid subi par les PalestinienNEs. Les nouvelles mesures restrictives sont régulièrement aggravées par des bouclages internes autour des zones autonomes. Ceux-ci sont déclenchés à la suite de troubles, qu’ils soient provoqués par des attentats-suicides ou des tirs contre les positions israéliennes, ou bien par des provocations israéliennes ou des attaques de colons. Ces bouclages, souvent très longs, asphyxient d’une part toute l’économie palestinienne, et renforcent d’autre part le morcellement de la société palestinienne. L’argument sécuritaire dissimule en fait de véritables punitions collectives qui ne font que renforcer le camp islamiste opposé au processus d’Oslo.

Mais le record de l’hypocrisie est atteint avec la politique de colonisation pratiquée par les différents gouvernements israéliens tout au long du processus. En 1992, le gouvernement Rabin annonce le gel de la construction de nouvelles colonies dans les territoires occupés, mais refuse de l’intégrer à la déclaration de principe issue d’Oslo. De fait, le nombre de colons va doubler pendant les sept années que va durer le processus, le nombre d’implantations augmentant notamment par extension des colonies existantes. C’est le gouvernement travailliste d’Ehud Barak (1999-2001) qui bat tous les records, en faisant notamment passer des implantations sauvages (donc illégales au regard de la loi israélienne) pour de simples extensions. Son prédécesseur Benyamin Netanyahou (1996-1999) était moins subtil lorsqu’il lançait la construction de nouvelles colonies.

En fait, les dirigeants israéliens s’engagent dans une véritable course de vitesse : ils cherchent à gagner le maximum de terrain avant l’ouverture des négociations pour un règlement final. Ils ont de fait réussi à miner tout le processus de paix en rendant impossible l’unité géographique d’un hypothétique État palestinien.

Avec les accords d’Oslo et la mise en place du gouvernement de l’Autorité Palestinienne (24 membres qui devaient être acceptés par les Etats-Unis et Israël), on assiste à la liquidation de l’OLP, mouvement de libération national bureaucratisé et à direction petite-bourgeoise, mais mouvement de libération national malgré tout, qui avait la tâche de représenter l’ensemble des PalestinienNEs, y compris les réfugiéEs habitant en dehors des territoires occupés, au profit d’une Autorité Palestinienne mise en place par l’impérialisme, et dont le président Arafat n’a été élu « légitimement » que par les PalestinienNEs des territoires occupés, soit moins de la moitié de la population palestinienne.

Force est de constater que dès 1995 et la mise en place de la police palestinienne dans les zones autonomes, celle-ci ne s’est pas contentée de chasser les « terroristes », mais a couramment arrêté et torturé les opposantEs politiques au processus d’Oslo. Cette police a pour rôle essentiel de sauvegarder la jeune bureaucratie palestinienne qui a besoin de donner un minimum de garanties sécuritaires à Israël pour conserver ses parcelles de pouvoir et détourner tranquillement des sommes censées impulser le développement de l’économie et des services publics palestiniens. Avec le processus de paix s’éloigne la perspective d’une véritable émancipation du peuple palestinien, puisque aux formes d’auto-organisation démocratiques de l’Intifada a succédé un pouvoir autocratique sans État, prêt à brader les aspirations légitimes de la population pour se maintenir, et qu’en outre la corruption de cette minorité ne cesse de creuser les inégalités sociales.

Dans le combat pour la libération du peuple palestinien, les intérêts du riche commerçant palestinien qui fait des affaires avec l’Europe, l’Irak et Israël n’est pas tout à fait le même que l’intérêt d’unE réfugiéE des camps. Ils ne sont pas menacéEs au même degré par la politique de l’État d’Israël. Les compromissions de l’OLP, puis de l’Autorité Palestinienne, reflètent cette volonté pour les palestinienNEs les plus riches de conserver leur privilège, y compris en remettant à bien plus tard toute libération effective du peuple palestinien.

Des accords de Camp David II à la deuxième Intifada (septembre 2000)

En juillet 2000, à quelques mois des élections présidentielles américaines, Bill Clinton convainc Ehud Barak d’ouvrir les négociations sur le statut final des territoires : c’est le deuxième sommet de Camp David. Israël propose alors de laisser 87 % de la Cisjordanie à l’Autorité Palestinienne en annexant le reste, lieux saints musulmans de Jérusalem-Est compris. En outre, le gouvernement Barak ne veut pas entendre parler de retour ou de dédommagement des réfugiéEs palestinienNEs. Très en-deçà des résolutions de l’ONU, les rares propositions nouvelles et sans garanties des IsraélienNEs sont inacceptables pour les PalestinienNEs, et le sommet échoue.

En effet, l’Autorité Palestinienne a déjà trop concédé et a poussé par ses compromis la population qu’elle est censée représenter dans des conditions souvent pires qu’aux temps de l’occupation intégrale par les forces israéliennes. A l’été 2000, elle sait que son caractère corrompu et autoritaire, son rôle de police supplétive d’Israël, sont de plus en plus contestés par une part croissante de PalestinienNEs. Accepter un compromis sur le statut final des territoires signifie la délégitimation, voire le suicide de l’Autorité Palestinienne. Ses dirigeants ne peuvent dès lors qu’appuyer la colère montante de la population, qui n’attend qu’une étincelle pour exploser face à l’intransigeance des positions israéliennes. C’est ce que va provoquer le « boucher de Sabra et Chatila », Ariel Sharon, en visitant sous une imposante escorte policière offerte par le Premier ministre travailliste Ehud Barak, l’esplanade des mosquées, lieu saint de l’islam à Jérusalem. Ce 28 septembre 2000 marque la mort définitive du processus d’Oslo et le signal d’une nouvelle Intifada, désormais seule possibilité pour les PalestinienNEs de faire valoir leur aspiration à la justice et à l’autodétermination.

La visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées est donc l’élément qui fait éclater au grand jour une colère populaire jusqu’alors relativement contenue. On assiste, dans les jours et les semaines qui suivent, à des manifestations massives, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie. On compte rapidement des dizaines de mortEs, notamment dans la Bande de Gaza où la violence de l’armée israélienne est sans précédent puisqu’elle répond en tirant systématiquement à balles réelles sur les manifestantEs et sur les lanceurSEs de pierres. Phénomène notable : les PalestinienNEs d’Israël, que l’on nomme – d’une formule malheureuse – les « Arabes israélienNEs », se soulèvent et affrontent à leur tour une répression sauvage, puisque treize sont tuéEs dans les premiers jours d’octobre. Rappelons qu’à cette époque c’est toujours le « travailliste » Barak qui est au pouvoir, ce qui incite le journaliste du Haaretz (quotidien israélien) J. Alghazy à pousser ce cri : « Mon armée tire sur mon peuple ! »

La violence de la répression se conjugue avec la volonté de l’Autorité Palestinienne de contrôler le soulèvement. En effet, l’Autorité, qui trouve son intérêt à voir la colère de la population se tourner vers Israël plutôt que contre elle-même, ne souhaite pas se laisser dépasser par la base. Elle empêche qu’il y ait un semblant d’auto-organisation (comités de base) en s’autoproclamant, notamment par la voix de Marwan Bargouthi, numéro 1 du Fatah en Cisjordanie, direction légitime du soulèvement palestinien. Elle ne souhaite pas que le soulèvement soit trop massif et qu’il s’installe dans la durée, mais elle y voit surtout un moyen de se relégitimer aux yeux de la population et de revenir à la négociation avec un poids plus important. La violence israélienne est responsable de la rapide disparition des manifestations de masse au profit d’actions plus militaires et donc moins populaires. Mais l’Autorité, plus exactement le Fatah, qui va favoriser les groupes armés Tanzim (officiellement) et des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa (officieusement), y a également contribué. Le soulèvement populaire va donc très rapidement s’essouffler au profit d’une bataille uniquement militaire que les PalestinienNEs ne peuvent pas gagner face à la quatrième armée du monde.

Ainsi, l’éclatement de la deuxième Intifada en septembre 2000, provoqué par le criminel de guerre Sharon, a marqué la fin des illusions créées par le processus d’Oslo. En sept années, cette soi-disant « chance historique pour la paix » n’a jamais apporté la moindre amélioration des conditions de vie du peuple palestinien enfermé dans les bantoustans créés par l’occupation israélienne. Dans ces véritables prisons à ciel ouvert que sont la bande de Gaza et la Cisjordanie, les dernières illusions sont définitivement tombées. Il n’y a plus désormais qu’un seul objectif : « survivre ». Et tenir. Ne pas rejouer 1948 et 1967. Ne plus lâcher un seul pouce de terrain, quitte à en mourir. TrompéEs pendant des décennies par les dirigeants arabes et la communauté internationale, les PalestinienNEs savent aussi qu’ils et elles sont une épine dans le pied d’Israël et des pays arabes voisins, qui ne rêvent tous que d’une seule chose : la liquidation définitive de la question palestinienne.

Seule la lutte en commun de tous les oppriméEs et la solidarité internationale de tous les peuples permettra de mettre un terme à l’oppression du peuple palestinien !