Publié le Vendredi 27 mai 2011 à 14h59.

En Tunisie aussi : la force des travailleurs, c’est la grève !

Pour la bourgeoisie tunisienne et les tenants du gouvernement provisoire, l’heure serait au retour au calme et à la seule préparation des élections du 24 juillet. Mais la jeunesse et les travailleurs n’ont pas dit leur dernier mot. Un gréviste du Magasin général d’El Kantaoui résume ainsi le problème : « L’âne est parti mais la charrette reste la même », parlant de Ben Ali et du gouvernement actuel. C’est dans ce contexte que des travailleurs, peu disposés à écouter les promesses de ceux qui n’ont pas fait la révolution, partent à la conquête de leurs droits. Grève au Magasin général d’El Kantaoui (Sousse) Le Magasin général appartient à une chaîne de 47 supermarchés, privatisée en 2007 au profit d’un prête-nom du clan Ben Ali. La presque totalité des salariés (44) étaient en grève au mois d’avril, et ce depuis le 18 février. Près de la moitié sont des femmes et la moitié a un contrat précaire. Certains travaillent depuis plus de quinze ans sans être titularisés et aucune cotisation à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) n’a été versée. En plus de dénoncer cette situation, les grévistes demandent l’augmentation des salaires. Une milice patronale a tenté au départ et sans succès de déloger violemment les salariés qui occupaient le magasin. Le patron a ensuite trouvé un soutien auprès du tribunal : 70 policiers ont délogé les grévistes « en toute légalité ». Les grévistes ont alors occupé l’entrée du magasin avec le soutien de la population. Ils ont organisé plusieurs manifestations dans la ville pour populariser leur grève, ont tenté de s’adresser à d’autres travailleurs mais la milice patronale veille : « ils passent toute la journée ici, nous insultent, nous frappent » dit un gréviste. Des grèves offensives dans le textileFleuritex, à Ben Arous (banlieue industrielle de Tunis), est une entreprise allemande de 240 salariés fabriquant des chemises Paul & Shark pour son client italien. Les salariées touchent en moyenne 200 dinars par mois (100 euros), les apprenties (une cinquantaine) 90 dinars. Certaines travaillent depuis plus de dix-sept ans et ne sont toujours pas titularisées (CDI) alors que selon la loi, elles devraient l’être au bout de quatre ans. Après une première mobilisation, le patron a fait signer des CDD aux ouvrières ne sachant pas lire, début avril, en les faisant passer pour des titularisations. Quinze jours plus tard, la quasi-totalité des ouvrières se mettaient en grève. Les cotisations à la CNSS font encore partie des revendications : « Pour une fille qui a travaillé quatre ans, le patron n’a payé que deux ans de cotisations, pour dix ans, c’est cinq ans. Et après, à la retraite, y’a rien », dit une gréviste. Au troisième jour de rassemblement des grévistes devant l’usine, les gros bras du patron ont utilisé des gaz lacrymogènes et le patron a même foncé avec sa voiture sur les grévistes. Depuis, c’est au local UGTT qu’elles se rassemblent et sont encadrées par les syndicalistes. Le patron a annoncé qu’il licenciait sept déléguées syndicales au motif de « grève sauvage » et d’entrave au travail. Réponse des grévistes : « On reste en grève jusqu’à ce que le patron accepte, c’est pour notre dignité et la liberté. » À l’usine Union Gold près de Sousse, les revendications sont les mêmes, les pressions patronales aussi. Une centaine d’ouvrières sont employées dans cette usine ouverte en 2008 et dirigée par un patron roumain. La plupart ont des contrats de trois mois renouvelés. Le 15 février, sur conseil de l’UGTT, elles ont porté plainte pour non-versement des cotisations sociales. Le patron les a menacées de mise à pied de trois jours de manière répétée jusqu’à la fin de leur contrat. Au mois d’avril, il a bloqué l’accès des grévistes à l’usine. La femme du patron elle-même a cherché à les dissuader en menaçant de recourir à la corruption. En 2009, ce patron a embauché une femme dont le mari travaillant à la CNSS facilitait les infractions concernant les cotisations sociales. Une ouvrière dit : « En venant ici le patron a appris le vol, la corruption et quelques mots du langage parlé pour qu’on comprenne ses ordres. » Il y a tout à espérer qu’elles lui apprennent à augmenter les salaires et payer les cotisations dues ! Les revendications vont toutes dans le même sens. Mais les bureaucrates syndicaux n’ont pas une politique d’extension et d’unification des grèves en cours, qui garantirait aux travailleurs de ne pas être les dépossédés de la révolution.

Correspondante