Dans quelques jours (20 août), après plus de 8 années de gestion européenne directe du pays, on fêtera la fin officielle de la troïka. Et les déclarations enthousiastes des élites européennes (Commission européenne, Tsipras, Merkel et les autres) résonnent, malgré les terribles dégâts suscités par la troïka, comme des applaudissements !
Rappelons que l’invention de la troïka en Europe s’est faite au début de 2010, pour prétendument lutter contre l’endettement public énorme de la Grèce.
Triomphe de la bourgeoisie grecque
Mais celui-ci, estimé à 301 milliards d’euros en 2009 (126 % du PIB) a en réalité, avec la troïka, explosé encore un peu plus, pour atteindre 325 milliards (178 %) en 2018 (sans parler des dettes privées créées). Une réussite indéniable !
La fin de la troïka ne signifie pas l’arrêt de ses méfaits. D’une part, les « engagements » ont été pris jusqu’à 2060 (!) et les « réformes » produisent des effets, pas seulement « structurels » (par exemple, la nouvelle baisse des retraites programmée pour 2019 de 1 point du PIB, soit une baisse qui pourrait aller jusqu’à 18 % !). D’autre part, il y a la suite des « réformes » déjà programmées et « librement consenties », en matière de bradage de l’espace public, de concurrence, de flexibilisation du travail, etc.
Le petit jeu institutionnel, classique pour l’UE, entre les instances de Bruxelles et les instances nationales, a pris en Grèce un caractère très aigu et même dramatique en 2015, quand le chantage est apparu dans toute sa brutalité sur la scène politique. Le TINA européen a triomphé pour le plus grand enthousiasme de la bourgeoisie – en particulier grecque : les « réformes » n’étaient pas en danger, les travailleurEs pouvaient continuer à être non-payés, sous-payés, flexibles, sans droits et obéissants…
Cette victoire de la bourgeoisie grecque, avec l’aide de Bruxelles, a aussi porté un coup politique à la gauche. Pas seulement pour des raisons idéologiques – avec le fait que celui qui agit comme le plus fidèle exécutant de Bruxelles au gouvernement se proclame toujours de « gauche »… – mais aussi parce qu’au niveau stratégique la réflexion a pu très facilement dévier de l’enjeu social, de classe, vers des aspects techniques ou institutionnels, notamment l’euro. Ainsi, la rupture avec l’euro a pu devenir le nouveau gadget de ceux qui, précisément, s’illusionnaient jusqu’alors sur la démocratie ou la « rationalité » des bourgeoisies européennes ! La plus grosse partie des scissions de gauche de Syriza, surtout l’Unité populaire/LAE, s’est lancée dans cette direction, qui est en vérité une fuite en avant.
Dérive nationaliste à gauche
La nouvelle « Initiative 1-1-4 » de l’Unité populaire/LAE, qui se veut un axe pour une « libération nationale », est programmatiquement purifiée de toute référence à une politique ouvrière et même des mots gênants comme salaires, retraites, etc., au profit du « sauvetage de la patrie », de la bourgeoise compétitive, en alliance avec des forces proprement nationalistes et chrétiennes. Ce souverainisme abouti n’est plus un excès innocent de langage : il devient dangereux et même réactionnaire, surtout quand la bourgeoisie victorieuse exige toujours plus. Cela a été le cas avec le soupçon d’une reconnaissance de la République de Macédoine par la Grèce, qui a suffi pour mobiliser les masses, la gauche nationaliste protestant contre la « trahison » des gouvernants à la solde des Européens ou des Américains ! Ne pas contrer ou flirter, et même participer parfois, à cette résurgence d’un nationalisme hostile à ses voisins, c’est plus qu’une honte : il s’agit d’une désorientation politique complète, dans une conjoncture où la bourgeoisie grecque prend des initiatives offensives, surtout contre ses voisins de l’Est, avec même des risques guerriers.
Mais l’alignement sur la « nation » – refusé et dénoncé par quelques anti-capitalistes et anarchistes – contre les Macédoniens, les Turcs, les Européens ou les Américains – et plus rarement les Russes – propulsé par l’héritage stalinien dominant à gauche, ne répond aucunement aux besoins sociaux créés par le « réformisme » néolibéral. Au fond, c’est peut être la raison principale qui enlève toute crédibilité au souverainisme – sauf pour l’extrême droite, par ailleurs toujours menaçante. Car les couches prolétariennes du nouveau modèle créé par la troïka, les jeunes, les réfugiéEs et les immigréEs, mais aussi une partie des seniors jetés en dehors des lieux de travail, n’ont que faire d’une « nation » qui s’identifierait au far west européen : le chacun pour soi ! Leur problème est littéralement vital, dans un marché du travail cannibale où leur force devient plus qu’une marchandise, un capital, dont la réalisation (en salaire, en retraite ou en service) n’est même pas assurée par les règles sociales mais dépend uniquement du marché lui-même et de ses forces sauvages.
D’Athènes, Tassos Anastassiadis