Le 18 juillet dernier, au petit matin, la résidence d’Alpha Condé à Conakry est, selon la version officielle, attaquée par un groupe puissamment armé… Sa chambre à coucher particulièrement où il n’était pas! Le président dénoncera derechef dans une interview (dans une radio étrangère) une tentative d’assassinat sur sa personne. Depuis, des questions se posent: Qui a ou ont intérêt à assassiner Alpha Condé dans le contexte actuel? Renouerait-on au contraire avec les manipulations de complots ou d’attentats contre eux dont les autocrates qui se sont succédé à la tête de ce pays ont usé et abusé pour renforcer leur pouvoir et, éventuellement, réprimer leurs adversaires? Les spéculations vont bon train aussi bien dans les médias que parmi la classe politicienne… En tout cas, en moins d’une semaine, une quarantaine de militaires ont été arrêtés, dont la plupart sont des proches de l'ancien président de la transition qui a préparé les présidentielles, le général SekoubaKonaté.
Un avènement démocratique fragile
Toujours est-il que, sept mois après son investiture, le «premier président élu démocratiquement en Guinée» (toujours resté dans l’opposition sans jamais céder aux sirènes du pouvoir) voit s’effriter son capital «sympathie» de départ. L’«opposant historique» devenu président a promis «une ère nouvelle» et a annoncé son intention de devenir «le Mandela de la Guinée» en unifiant et développant son pays. Il a hérité d’un pays profondément divisé avec une armée qui continue de représenter un danger pour les libertés publiques, un pays gangrené par la corruption et le trafic de drogue au plus haut niveau de l’Etat. En dehors de la nécessaire et urgente relance de l'économie guinéenne, il était appelé à gérer à l'interne de profondes tensions politiques et sociales.
Les premières annonces d’Alpha Condé ne pouvaient pas inquiéter l’impérialisme et ne remettaient nullement en cause le rôle de la Guinée comme simple fournisseur de matières premières aux trusts multinationaux. Pour réformer l’armée, il comptait sur l’aide des Etats-Unis et de la France et pour les contrats d’exploitation minière, il était d’une grande prudence («Il y a des contrats scandaleux et certains sont en effet peut-être à revoir») et s’en remettait au représentant du capitalisme international pour gérer les mines («Il ne s’agit pas que de renégocier Il faut établir une véritable politique en ce domaine et la Banque mondiale peut nous y aider»).
Alpha Condé et son administration ont réussi à lever les barrages routiers, à supprimer l’impôt de capitation, à réaliser l’unicité des caisses de l’Etat afin de mieux contrôler et comprimer les dépenses et à interdire à la Banque centrale de faire des avances au Trésor public sans contrepartie de recettes… Autrement, ils ont annoncé leur détermination à lutter contre la corruption et les détournements de fonds, à maîtriser l’inflation, à appliquer la gratuité des soins infantiles et maternels, à réviser le code minier, à organiser des Etats généraux de la Justice, à réformer les forces de défense et de sécurité, à procéder aux réformes institutionnelles et à la modernisation de l’administration publique etc. Des chantiers ont été initiés pour réaliser ces objectifs annoncés.
Le gouvernement mis en place par Condé s’est fixé comme objectif d’atteindre en 2011 un taux de croissance du PIB de 4% en termes réels (contre 1,9% en 2010), de ramener le taux d’inflation à 15,7% en glissement annuel (contre 20,9% en 2010), et de porter les réserves brutes de change de la Banque centrale à plus de 2,5mois d’importation de biens et services (contre 1,9mois en 2010). Le budget2011 ayant prévu une baisse de 6,8% alors que le pays a besoin d’investir lourdement, notamment dans les infrastructures, pour relancer l’économie et assurer le développement humain, les dépenses ont été passées au crible.
Une situation sociale désastreuse
Pour le moment, on n’en sait pas plus sur l’évolution de cette situation financière de transition très tendue. La situation sociale, elle, reste désastreuse malgré quelques replâtrages entrepris. La plupart des quartiers populaires restent mal fournis (ou pas fournis) en électricité et eau courante, le système sanitaire et l’éducation délabrés et le chômage est endémique. L’inflation qui continue de galoper a des répercussions directes sur le coût des denrées de première nécessité et la population continue de déplorer la cherté de la vie. Les carences de l’Etat sont, en tout cas, telles que la misère sociale et économique pousse toujours les gens à se réfugier dans leur communauté d’origine. Les partis politiques, dans leur grande majorité, reflètent les différentes communautés qui composent la Guinée et le personnel politicien n’est pas irréprochable en matière de discours ethniciste.
Alors que les changements espérés par la population et promis par Alpha Condé tardent à se concrétiser, la perspective approchante des législatives de cette fin de l’année pour «finir la transition», fait ressortir les contradictions et faiblesses du pouvoir d’Alpha Condé et excite les enjeux de pouvoir sur plusieurs sujets:
Dès le premier trimestre passé, la bataille pour obtenir la concession du port de Conakry faisait rage. Alpha Condé a attribué par décret le 10mars cette concession au groupe Bolloré, en arguant d’une «défaillance» de Getma (filiale française de NCTNecotrans) qui avait obtenu ce marché en 2008 après appel d’offres, pour une durée de 25ans. Bolloré a récupéré cette concession de 2008, mais avec un périmètre plus large incluant la partie commerciale. Après plainte de NCT contre l’Etat guinéen suite à la résiliation de sa concession, la réquisition de son matériel et de ses salariés et l'envoi des forces armées pour l’exécution du décret de réquisition, retournement de situation fin juin: le gouvernement a décrété la levée de la réquisition des actifs de Getma qui gagnerait à terme la gestion du terminal commercial (pour des biens de grande consommation comme le riz, la farine, le sucre, le ciment etc.), la concession du terminal à conteneurs restant à Bolloré… Un vrai partage de gâteau!
Depuis juin, les réseaux de société civile montent au créneau pour dénoncer les «dérives autoritaires» du nouveau régime: le Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSCG) pointe des violations de droits de l’Homme et de droits civils et politiques et des répressions violentes (avec morts d’hommes) de manifestations pacifiques, des atteintes aux libertés individuelles et publiques (intimidations policières contre des responsables de la presse privée, condamnations pour faits de grève, suspension de publications proches de l’opposition ainsi que de journalistes incontrôlables de la radio d’Etat etc.). Il dénonce aussi des violations de la constitution dans la gestion d’institutions (dissolution de conseils locaux, mainmise gouvernementale sur la Commission électorale nationale indépendante en vue des législatives) mais aussi des propos ouvertement discriminatoires et stigmatisant envers une communauté tenus par le Médiateur de la république et portant gravement atteinte à l’unité nationale et à la préservation de la paix dans le pays.
En fait, la victoire en décembre dernier de Condé aux présidentielles était d’emblée fragile: en effet, au vu des résultats électoraux du premier tour où il ne comptait que 18,25% de vote face à son rival, l’ultralibéral Cellou Dalein Diallo (ancien premier ministre de l’autocrate Lansana Conté), qui en comptait plus du double 43,69%, sa victoire au second tour était une surprise. En fait, avec un total de plus de 52% des voix, ce retournement de situation était clairement dû à la constitution du large front électoral dénommé Arc en ciel où se trouvaient des candidats du premier tour, anciens ministres de LansanaConté et des partisans du capitaine putschiste DadisCamara impliqué dans le massacre de manifestants au stade de Conakry (le 28septembre 2009). Les règlements de compte politiciens de ces dernières semaines sont en grande partie inhérents à des insatisfactions et impatiences de ses alliés électoraux du deuxième tour des présidentielles. Des renversements d’alliances entre fractions du pouvoir et fractions de l’opposition politicienne se sont visiblement faits.
Quelle alternative de progrès?
Il y a fort à penser maintenant que les chancelleries occidentales, la France comme les Etats-Unis, ont laissé passer Condé en décembre car ce qui compte pour elles c’est la stabilité du pays et de la région. Au stade actuel, une redéfinition de la donne politique au seuil des législatives n’est pas pour déplaire à l’impérialisme et Condé (dont le parti, le RPG ou Rassemblement du peuple de Guinée est adhérent de l’Internationale socialiste), isolé désormais de ses alliés contre-nature, est dans les conditions de s’y plier.
L’enjeu pour les progressistes en Guinée est autrement et ailleurs. La structuration et la puissance du mouvement syndical guinéen – particulièrement puissant – sont un point d’appui essentiel dans la recherche d’une alternative sur le terrain
politique, autour de la construction d’une organisation qui se situe dans la lutte contre le capitalisme pour répondre aux besoins essentiels des Guinéens. Les élections présidentielles ont provoqué un attentisme dans le mouvement social, y compris pour les organisations syndicales: il peut maintenant exiger la fin de l’impunité des responsables des nombreuses répressions, la pleine transparence sur tous les contrats miniers et imposer que les bénéfices de l’exploitation des mines financent la satisfaction des besoins sociaux des populations. Rien ne lui sera octroyé, bien sûr!
Pierre Sidy