Publié le Dimanche 14 avril 2013 à 11h07.

Indonésie : après la grève générale d’octobre 2012

Entretien. En 1998, c’est la mobilisation des ouvriers et des étudiants qui a permis la chute de la dictature de Suharto. En 2012, la grève générale du 3 octobre a été suivie par plus de deux millions de travailleurs qui réclamaient l'abolition de la loi autorisant les entreprises à embaucher des travailleurs temporaires, sans avantages sociaux. Rencontre sur le mouvement ouvrier indonésien avec Anwar Maruf « Sastro », président du KPRI, Konfederasi Pergerakan Rakyat Indonesia, et du PRP, Perhimpunan Rakyat Pekerja, Association du peuple travailleur.Quelles étaient les revendications de la grève ?La grève générale était appelée par le Conseil du mouvement des travailleurs, une coalition de trois confédérations KSPSI, KSPI et KSBSI, syndicats « jaunes », qui font partie du conseil national tripartite sur les salaires. La majorité de ces syndicats a validé la loi du travail légalisant les contrats de travail temporaire (l’outsourcing). Alors que les travailleurs à la base se sont radicalisés, la direction de ces syndicats s’est rapprochée en coulisse des partis politiques bourgeois.La première revendication de cette coalition concernait la loi sur les prestations de sécurité sociale qui incluent la protection sociale pour l’ensemble de la société. Ce modèle d’assurance privée des programmes de sécurité sociale est soutenu par la Banque asiatique de développement et défendu par plusieurs partis bourgeois (PDIP et PKS), dont des leaders de ces confédérations syndicales sont aussi membres.La deuxième revendication importante était l’élimination des contrats temporaires, et la troisième, le rejet de la politique de bas salaires. C’est la deuxième qui a été le plus reprise parce qu’elle partait directement des revendications des travailleurs.Quelles sont les conséquences de cette grève ?Tout d’abord, pour la première fois depuis les massacres de masse de 1965, les travailleurs ont pris grandement confiance en leur force organisée. Leur grève oblige le gouvernement national comme local à prendre en compte sérieusement les mouvements des travailleurs. Par exemple, le gouvernement local de Jakarta a augmenté le salaire minimum pour 2013 de près de 25 %. Même si c’est loin du compte, l’augmentation peut être considérée comme une petite victoire. Les travailleurs commencent à penser que la lutte militante et organisée est le seul moyen de mettre en avant leurs problèmes. Quelque chose qu’il était très difficile de faire comprendre les années précédentes.Deuxièmement, il y a une dynamique de discussion et de débat dans les syndicats sur ce qu’est la classe ouvrière aujourd’hui à cause de la flexibilité du marché du travail. Les syndicats ont eu un succès, quand après le 3 octobre des actions de masse dans les régions industrielles ont été lancées pour obtenir des statuts permanents pour les travailleurs précaires. Des dizaines de milliers d’ouvriers temporaires ont vu leur contrat de travail transformé en contrat permanent.La troisième et la plus importante conséquence de la grève nationale d’octobre est le développement de la conscience politique parmi les travailleurs. Leur appel pour une grève nationale est le signe qu’ils ne se limitent plus à l’horizon de leur seule usine. Les travailleurs n'ont plus peur de parler politique pendant leurs luttes. Même s'il existe encore de grandes différences entre les travailleurs sur la stratégie et la tactique en ce qui concerne la conquête du pouvoir et de l’État. Néanmoins la grève nationale a permis d’atteindre une nouvelle étape, un point de non-retour.Quelle ont été les autres étapes à l’échelle nationale ?Dans les années 2000, quand le projet de législation du travail a été ratifié, il n’y a pas eu de grande réaction. Peut-être parce que les conséquences de la libéralisation du marché du travail ne se faisaient pas encore ressentir. La première phase a commencé lors la manifestation à l’échelle nationale du 1er mai 2006 initié par l’ABM, Alliance de Résistance ouvrière, et suivie par les masses organisées dans les syndicats jaunes. Cette action a permis de rejeter la révision de la loi sur le travail. Après cette petite victoire, les travailleurs indonésiens sont devenus familiers avec les actions de masse et pas seulement pour les ouvriers de l’industrie, mais également pour les travailleurs de l’administration comme ceux des entreprises d’État. Les alliances ou les coalitions ont pris plus d’importance. Comme de simples syndicats ne sont jamais capables de résister à une large échelle, ils fondent des alliances ou des coalitions. La grève des travailleurs du service aéroportuaire en 2007-2008 a été d’une grande importance dans l’histoire du mouvement des travailleurs car elle a réduit la distance et a renforcé la solidarité entre les ouvriers et les employés de bureaux. Elle a initié l’Alliance nationale de solidarité (KSN) qui a donné naissance à une confédération indépendante de fédérations de plusieurs secteurs, la Confédération nationale syndicale (KSN).Propos recueillis par Christine Schneider