Publié le Samedi 27 décembre 2008 à 15h38.

Kanaky (Nouvelle Calédonie) : anticapitalisme et indépendance

Un an après sa fondation par l’USTKE, le Parti travailliste de Kanaky (PT) a tenu son premier congrès, en novembre 2008, à Nouméa.

 

Le bilan de cette première année d’existence du Parti travailliste (PT) en Kanaky est largement positif. Sur le plan électoral, aux élections municipales, en mars (quatre mois après sa création), le PT a été présent dans 14 des 33 communes du territoire, et il a obtenu 30 élus. Cela montre une réelle implantation. Plus globalement, le PT a su bousculer la léthargie des autres partis se réclamant de la lutte indépendantiste. Leur intégration dans les institutions de gestion coloniale, mises en place depuis Paris à partir des accords Matignon-Oudinot de 1988 et développés après les accords de Nouméa en 1998, les a conduits à privilégier la défense de ces institutions et les postes individuels à la mise en place de structures pour un pays indépendant. Depuis quelques mois, on assiste au retour d’un discours qui ne repousse plus l’indépendance aux calendes grecques.

Cela explique aussi la radicalisation de la droite coloniale qui, selon Pierre Frogier (UMP), veut « purger cette question d’indépendance, qu’on n’en parle plus et qu’on passe à autre chose ». Et de proposer d’en finir avec le problème kanak, lors du référendum de 2014. C’est également le discours du Parti socialiste, pour lequel « le concept d’indépendance n’a plus de sens dans un univers multipolaire et une économie mondialisée ». Tous ces gens s’assoient sur la Charte de l’ONU, l’inscription depuis 1986 de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires à décoloniser et la déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones.

Le congrès du PT a été l’occasion de tirer le bilan de vingt ans de « transfert de compétences », qui devaient placer la population kanake au centre du dispositif. Les promesses de l’État colonial n’ont, pour l’essentiel, pas été tenues. La formation, qui devait permettre l’accession des Kanaks à tous les postes de la société, a abouti au fait qu’aucun n’est avocat, juge ou procureur, et qu’un seul est médecin ! Des dizaines de jeunes Kanaks ont suivi des formations en métropole. À leur retour sur le territoire, ils n’ont généralement pas accès aux postes correspondant à leurs compétences. Ils s’exilent alors dans les pays voisins ou en France.

Écologie

Du côté de l’enseignement secondaire et supérieur, le transfert des compétences est toujours promis, « pour bientôt ». En attendant, les jeunes continuent à tout apprendre de la géographie alpine et des rouages de l’Union européenne. Que se passait-il en Kanaky avant que la France ne « découvre » ce territoire, en 1853 ? Qui était le chef Attaï2 ? Qu’est-ce que le code de l’indigénat, qui régissait la vie de leurs parents jusqu’en 1946 ? Autant de questions auxquelles les Kanaks doivent trouver les réponses en dehors de l’école. Les langues kanakes n’ont toujours aucune place dans l’enseignement, le Sénat français ayant même voté, le 18 juin 2008, qu’elles n’avaient aucune place dans la Constitution. Le PT propose un système scolaire qui parte des jeunes Kanaks et soit adapté à leur culture et à leur environnement.

Sur le plan économique, le développement d’usines de transformation du nickel par des multinationales se fait en excluant largement les populations locales3. Des Métropolitains, venus profiter de l’aubaine, sont embauchés massivement. Dans le Sud, la construction de l’usine de Goro a entraîné des années de lutte contre le massacre de l’environnement provoqué par le nouveau procédé industriel mis en œuvre4. Quelques millions d’euros distribués à des responsables soigneusement choisis ont eu raison de la lutte écologiste. Au centre de ce combat, le PT n’a pas baissé les bras : il place les exigences de respect de l’avenir écologique du territoire au centre de ses revendications.

Pour les multinationales, les perspectives d’exploitation du minerai dépendent de l’évolution des cours du nickel sur le marché mondial, passé de 50 000 dollars la tonne en juillet 2007 à moins de 10 000 aujourd’hui. Elles sont donc très loin d’une réflexion sur l’après-nickel. La ressource locale est évaluée à une centaine d’années seulement. Que deviendra le territoire, une fois son sous-sol ruiné au profit des multinationales, si les bénéfices ne sont pas investis dans le développement durable du pays ? Le PT pose ces questions, et il revendique, pour l’avenir de Kanaky, la mise en place d’un schéma directeur des mines et une autre répartition des richesses produites.

Si l’écologie occupe une place importante dans le programme du PT, c’est parce qu’elle constitue le prolongement naturel de la culture kanake, pour laquelle l’Homme tire sa force de la terre et des éléments naturels. C’est aussi une impérieuse nécessité dans les colonies françaises où, de convention expresse, le protocole de Kyoto n’est pas applicable, une vingtaine de pesticides interdits en France pour leur dangerosité sont autorisés et utilisés, la protection du littoral n’a pas de base juridique… Le PT est le seul parti à avoir inscrit dans ses statuts que « la protection de l’environnement fait partie intégrante de son combat ».

Justice coloniale

Les élections provinciales, en mai prochain, seront les dernières avant le référendum d’autodétermination prévu par l’accord de Nouméa. Ratifié par référendum en 1999, l’accord prévoit la consultation en 2014. Les prochaines élections sont donc très importantes pour définir l’avenir du pays. Le discours du PT est clair : les Kanaks sont prêts pour l’indépendance. S’ils attendent du pouvoir colonial qu’il la leur accorde, il leur expliquera éternellement, et paternellement dans le meilleur des cas, qu’il faut encore attendre quelques décennies, se former et profiter des bienfaits de la colonisation. Le ministre français de l’Éducation, Xavier Darcos, a encore expliqué, en octobre 2008, qu’il était toujours « favorable à titre personnel » à ce que « les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française en Outre-Mer ». Il ne précise pas jusqu’à quand la colonisation doit durer.

Le PT se prononce donc clairement pour l’accession entière à l’indépendance en 2014. Les colonies françaises qui ont conquis à l’indépendance depuis la Deuxième Guerre mondiale n’étaient pas plus prêtes et recelaient souvent moins de ressources naturelles.

L’affirmation indépendantiste du PT inquiète d’abord la droite coloniale. Cela explique en partie la répression accrue dont sont l’objet les syndicalistes de l’USTKE. Le harcèlement policier et judiciaire des responsables syndicaux, les perquisitions et les interpellations au petit matin à leur domicile, les attaques contre les piquets de grève et les condamnations par la justice coloniale à des mois de prison ferme et à des centaines de milliers d’euros d’amende sont le signe du raidissement de l’État colonial.

Autodétermination

Malheureusement, dans ce contexte, les partis du FLNKS n’expriment aucune solidarité, préférant continuer à tirer les bénéfices des prébendes que leur accorde l’État. Les fondamentaux de la lutte indépendantiste, que réaffirme le PT, ont longuement été occultés par le FLNKS, malgré son statut, à l’ONU, de représentant légitime du peuple kanak pour le droit à l’indépendance. L’apparition du PT dans le paysage électoral pousse l’Union calédonienne (UC) et le Parti de libération kanak (Palika), principales composantes du FLNKS, à remettre dans leurs discours une pincée d’indépendantisme, mais sans remettre en cause un système fondé sur une répartition inéquitable des richesses.

Pour le PT, la remise en cause d’un système économique et social qui continue à enrichir les plus riches et à appauvrir les pauvres, au premier rang desquels la population autochtone kanake, est la base d’un pays indépendant viable. Le problème n’est pas de se couper du monde ou de jeter tous les non-Kanaks à la mer, il est bien de permettre à la population de décider avec qui elle veut vivre, sur quelles bases économiques et dans quel cadre de relations internationales. Le congrès du PT a décidé qu’il retenait Kanaky comme nom pour le pays indépendant, et que le drapeau du pays serait celui qui fut popularisé par le FLNKS depuis 1984.

Le congrès du PT a également adopté plusieurs motions dessinant le programme qui sera décliné dans les provinces lors des élections à venir : protection de l’emploi local et maîtrise de l’immigration (la colonisation de peuplement a augmenté de 20% ces dix dernières années) ; remise à plat de la politique du logement, qui entraîne le développement des bidonvilles autour de Nouméa ; développement des communes qui ne sont pas concernées par l’exploitation du nickel ; avenir de la ressource et de la commercialisation du poisson…

En métropole, le Parti socialiste, aujourd’hui comme lorsqu’il était au pouvoir, ne propose pas l’indépendance de la Kanaky. Il n’élève la voix que pour le maintien des majorations des retraites des fonctionnaires d’État, dans une contrée où le salaire minimum est inférieur au Smic métropolitain. Le NPA, comme la LCR par le passé, soutient le droit à l’autodétermination du peuple kanak et son droit à vivre dignement sur sa terre. Il apportera son soutien aux listes présentées par le PT aux élections provinciales du printemps prochain.