L’AISPP vient de publier unlivre sur la condition des ex-prisonniers soumis à une peine complémentaire de contrôle administratif.340 pages, fouillées, circonstanciées et documentées. Ce rapport est concomitant de ceux d’Amnesty International et de Human Rights Watch sur le même sujet, à savoir la vie après la prison. Le rapport de l’AISPP se distingue des deux précédents par une mise en perspective historique du contrôle administratif, une approche juridique de cette peine prévue par le Code de Procédure pénale, une définition politique de cette mesure, et la langue de publication, l’arabe.
L’AISPP fait remonter l’origine de la peine complémentaire de contrôle administratif au protectorat. Prononcée comme une peine devant commencer dès la sortie de prison, le contrôle administratif vise à l’«éradication sociale et politique» de l’ex-prisonnier. En principe, il s’agit d’une mesurefixant la résidence de l’ex prisonnier politique dans un lieu donné pendant une période donnée. Le non respect de cette mesure est passible d’un an d’emprisonnement. Le code pénal ne détaille pas les mesures qui accompagnent l’application du décret de contrôle administratif, ce qui laisse le champ libre à la police chargée de le faire appliquer.
Le rapport passe en revue les dépassements policiers auxquels donne lieu cette peine sous le régime actuel : l’émargement au poste de police, non prévu par le juge mais appliqué dans les faits à un rythme défini par la police (parfois plusieurs fois par jour dans des postes différents, à des horaires pas forcément fixes, dans des postes éloignés du domicile dans lesquels il faut attendre ou revenir plus tard), violences, humiliations et provocations auxquelles donne lieu ce pointage. Autres dépassements :l’interdiction de travailler, la privation de la carte d’identité ou de celle du passeport et privation du droit à la santé et aux études. Autre abus signalé: la détention dans les postes de police lors des visites présidentielles dans les villes ou les régions habitées par les anciens prisonniers ou lors de visites de personnalités étrangères. Les procès pour contravention au contrôle administratif se multiplient, même si le contrôle administratif stricto sensu est respecté. Enfin le contrôle administratif, prononcé pour une durée déterminée, est bien souvent prolongé dans les faits. Les réclamations des victimes sont ignorées.
Un ex-prisonnier peut être victime de plusieurs dépassements. Un tableau portant sur un échantillonnage significatif illustre le déclassement social des ex prisonniers. Ces persécutions se pratiquent dans un grand climat de violences physiques et morales. Les descentes de police nocturnes au domicile, les intrusions de la police sur les lieux de travail, les arrestations ostentatoires dans les lieux publics visent à couper l’ex prisonnier de la société. L’AISPP estime que ce déferlement de violence a atteint son apogée entre 1991 et 2000 pour s’atténuer ensuite, mais se maintient. Les intéressés ont eu deux types de réactions: les grèves de la faim et la franchise illégale des frontières dans l’objectif de déposer des demandes d’asile.Cette violence a eu des conséquences dramatiques pouvant entraîner la mort, et le rapport cite plusieurs cas de décès.
Ce rapport concerne des pans entiers de la société tunisienne. Depuis les années 90 les prisonniers politiques se chiffrent par dizaines de milliers et ce sont des centaines de milliers de proches qui ont vécu par ricochet ces persécutions. Au point que les auteurs se demandent si de «peine complémentaire», le contrôle administratif n’est pas une peine «tout court».
Toutefois, ce document laisse une question entière. Il est conjugué au masculin. Tous les prisonniers cités, sans exception, dans les années 90 ou 2000, sont des hommes. Il ne se singularise guère sur ce plan du document d’Amnesty International. Les anciennes prisonnières n’auraient-elles pas été persécutées après leur libération? Une question posée avec une fausse naïveté qui aurait mérité une explication.
Luiza Toscane