Dès le 26 mai, le pouvoir a cherché à imposer une chape de plomb sur le Rif, rendant impossible toute manifestation massive et action centralisée sur des temps forts...
Leur but était d’empêcher une activité de masse quotidienne et de pouvoir continuer les arrestations des animateurs de la mobilisation (plus d’une centaine). Mais dans le même temps, les actions de solidarité se sont multipliées dans tout le pays, souvent réprimées. C’est dans ce contexte que l’appel à une initiative centralisée à Rabat a vu le jour avec pour slogan fédérateur « Nous sommes un seul pays, un seul peuple. Tous contre la hogra ! »
Unifier et étendre le mouvement
Cette initiative a été soutenue par des secteurs militants du mouvement social, des secteurs de la gauche démocratique et radicale, l’opposition islamiste indépendante, les associations des droits de l’homme, les coordinations locales de soutien au Rif, des courants amazighs. Son objectif était de contrer la propagande contre le prétendu séparatisme, de situer le terrain du conflit sur le refus de la hogra et les questions sociales, d’exiger la libération des détenus et l’arrêt de la répression. Mais il s’agissait aussi de vérifier les possibilités de la construction d’un mouvement au niveau national.
Malgré le contexte du ramadan, la manifestation de dimanche dernier, ouverte par le comité des détenus des familles du Rif, fut un véritable succès, avec une participation de 100 000 à 150 000 manifestants. D’autres villes ont manifesté au même moment. Comme lors du M20F, les organisations n’apparaissent pas en tant que telles, même si AWI, la principale opposition islamiste, a fait une démonstration de force.
Cette initiative a pu unifier les slogans sur des bases progressistes de revendication des droits pour touTEs et annoncé la constitution d’un front pour la défense des libertés, de la dignité et la justice sociale, s’engageant dans tout le pays à construire les mobilisations. Le pouvoir est maintenant confronté à deux processus qui tendent à se combiner : le maintien de la résistance populaire dans le Rif, et le réveil social et démocratique dans les autres régions.
Pour et par en bas
La construction d’un véritable rapport de forces nécessitera de maintenir un cap unitaire, de l’élargir sans céder sur le contenu : la lutte pour la satisfaction des droits sociaux et démocratiques élémentaires, la fin du règne de l’austérité et de la matraque. La construction de fronts enracinés localement, au plus près des urgences concrètes des populations, peuvent asseoir une légitimité populaire, si, comme dans le Rif, ils appuient des processus participatifs, des comités d’action portées par les habitantEs eux-mêmes ou reliés étroitement à eux.
Il s’agit d’avancer vers un mouvement populaire structuré par en bas qui ne dépende pas de l’agenda des organisations, mais qui développe ses propres forces et directions de luttes. C’est ce processus qui permettra de massifier, radicaliser la mobilisation et maintenir l’unité des forces qui luttent réellement pour le changement. Cette dynamique nécessite de chercher les voies de véritables actions de masse et d’un enracinement quotidien de la contestation et des formes de lutte, qui vont au-delà des manifestations et journées d’action, aussi nécessaires soient-elles.
Le pouvoir en difficulté
Le pouvoir cherche à combiner répression et canalisation. Avant ce dimanche 11 juin se sont multipliés les appels de médiation, y compris par des personnalités de gauche, qui visent à focaliser les critiques sur le gouvernement en occultant la monarchie, tout en suggérant des concessions sur le terrain démocratique, laissant la résolution des questions sociales à un agenda ultérieur une fois les « tensions » retombées... D’autres ne veulent retenir que l’aspect « solidarité », la libération des détenuEs et non une résistance globale intégrant des revendications sociales et une lutte plus générale.
La construction d’un large mouvement sur les urgences sociales et démocratiques immédiates permet également, pour le moment, d’éviter les divergences sur les solutions politiques, mais en cas d’extension, se posera la question des mots d’ordre politiques donnant une perspective à la confrontation. Reste que le pouvoir est réellement mis en difficulté et la répression n’empêche pas la contestation.
La tache immédiate est bien de construire le mouvement populaire à l’échelle du pays. La rencontre de Macron et de Mohamed VI dans les jours qui viennent devrait être l’occasion d’exprimer la solidarité internationale avec les combats du peuple marocain et les populations du Rif contre sa dictature.
Chawqui Lotfi (militant de Tahadi / Émancipation démocratique)