Une campagne internationale de solidarité est en cours en défense de Baba Jan et de ses camarades, victimes de tribunaux spéciaux.
Baba Jan a passé l’essentiel des six dernières années en détention, dans l’État himalayen du Gilgit-Baltistan sous contrôle pakistanais. Son premier « crime » est d’avoir soutenu la population d’Attabad dans la vallée de Hunza, sinistrée après un éboulement de terrain ayant provoqué la formation d’un lac artificiel en 2010. La population exigeait que les dédommagements promis par le gouvernement soient effectivement versés – et versés aux victimes réelles, pas à la clientèle du parti au pouvoir... La police a fait feu durant une manifestation, tuant un fils puis son père. Très en colère, la population a occupé des bâtiments publics. Le rapport d’enquête sur ces événements est resté secret et l’une des exigences de la campagne de solidarité est qu’il soit rendu public.
Son deuxième crime est d’avoir organisé en prison une grève « sur le tas » des détenus pour que soit appliqué le règlement officiel concernant la nourriture, les soins, les visites médicales. Ce mouvement a réuni chiites et sunnites, chose rare dans le pays.
Des jugements iniques et politiques
Pour chacun de ces « crimes », Baba Jan a été condamné à des peines équivalant à une perpétuité : des peines infligées par un tribunal spécial dit « anti-terroristes »... En fait, ce type de tribunaux s’acharne bien plus sur les cadres syndicaux ou paysans que sur les véritables terroristes. La classe politique pakistanaise ménage ou soutient le fondamentalisme religieux, mais n’a de cesse de briser les mouvements sociaux et d’étouffer les revendications nationales (comme au Gilgit-Baltistan).
Le premier jugement contre Baba Jan était particulièrement inique : il n’était même pas présent lors des événements ! D’ailleurs, la Cour suprême du Gilgit-Baltistan l’a tout d’abord annulé, mais l’État pakistanais a malheureusement fait casser cette décision.
L’affaire est entièrement politique. Le prestige de Baba Jan est très grand et, bien qu’en détention, il allait emporter dans sa circonscription les élections à l’assemblée du territoire. De plus, le Gilgit-Baltistan occupe une place stratégique, étant le point d’entrée physique de la Chine au Pakistan où elle construit un axe majeur de communication lui permettant d’accéder aux facilités portuaires du sud du pays.
J’ai eu l’occasion de rencontrer Baba Jan lors d’un séjour au Pakistan, à l’occasion d’un congrès du Parti pakistanais du Travail (LPP), qui a depuis contribué à la création du Parti awami des Travailleurs (AWP). Membre de la direction de ces organisations, il manifeste un grand courage. Grâce déjà à une importante campagne menée au Pakistan et relayée sur le plan international, il avait obtenu une libération sous caution. Cependant, plutôt que de partir en exil, il a préféré le moment venu retourner en prison pour ne pas abandonner ses camarades : ils sont en effet treize autres condamnés sur les mêmes chefs d’accusation que lui.
Amplifier la solidarité internationale
Tous les appels sur le fond ont été rejetés. Le 25 mai dernier, la Cour suprême du Gilgit-Baltistan devait se réunir pour statuer une dernière fois, sur la forme. Nous en avons été informés très tardivement. Dans l’urgence, une campagne internationale a été engagée et a connu un succès remarquable. En 48 heures, plus de 400 signatures provenant de près de 50 pays ont été réunies. L’appel est signé de parlementaires, d’intellectuelEs et universitaires de renom, de cadres syndicalistes et associatifs, de défenseurEs des droits humains et de féministes, de militantEs de tous ordres…
Cette pétition a connu un écho considérable au Pakistan, présentée dans la presse (par le quotidien Dawn), diffusée sur les réseaux sociaux, remise au gouvernement. Elle a probablement pesé dans la décision de la Cour suprême de reporter l’audience et de suspendre la sentence de deux des quatorze condamnés. Le report de l’audience était le premier objectif de la défense. Celle-ci n’avait pas eu le temps se préparer convenablement, et plusieurs avocats de premier plan ne pouvaient être présents.
La Cour suprême ne se réunira donc qu’après le ramadan, ce qui nous laisse plusieurs semaines pour étendre encore la campagne de solidarité internationale.
Pierre Rousset