Publié le Dimanche 24 novembre 2013 à 21h45.

Philippines : et maintenant la crise humanitaire

Les secours n’arrivent toujours que très lentement dans les zones dévastées par le super typhon Haiyan.

Une semaine après la catastrophe, le gouvernement philippin a fièrement annoncé que 7 200 bouteilles d’un litre d’eau avaient été distribuées dans les zones dévastées de Leyte… alors que la population de la seule ville de Tacloban se monte (se montait) à 220 000 habitants, qu’il fait une chaleur torride et que les malades déshydratés affluent dans des centres de soins sans moyens. En attendant des secours qui n’arrivent qu’au compte-goutte, des sinistrés percent des conduites pour trouver à boire, sans savoir si cette eau est potable ou contaminée par les cadavres qui se décomposent sous les décombres. Le salut doit-il venir de la pluie ?En fait, si l’aide commence à arriver, c’est que la flotte américaine s’est positionnée au large des côtes de Leyte et Samar — ce que la flotte philippine aurait pu faire dès le lendemain du désastre : l’archipel ne manque pas de navires militaires ou marchands ! Le gouvernement avait cependant d’autres priorités : régler des comptes et museler la presse. Le pouvoir est tenu aux Philippines par des grandes familles, alliées ou rivales. Le président est un Aquino ; Tacloban est territoire des Romualdez. Or il y a du sang entre les deux clans. Une bonne raison pour jeter le blâme sur les seules autorités locales, et la population se retrouve otage du jeu politique des élites.

Après la catastrophe, le scandale ?Si vous vous en remettez à la presse philippine, vous en saurez bien peu sur l’ampleur du désastre. Médias et réseaux sociaux ont été mobilisés pour dénigrer les reportages des journalistes étrangers. Ainsi, arguant de son professionnalisme, la chroniqueuse Korina Sanchez a lancé la curée contre Anderson Cooper de CNN. Mais des mauvaises langues ont rappelé qu’elle est l’épouse du ministre de l’Intérieur, ministre chargé de la distribution des secours. Quant au responsable provincial de la police qui avait déclaré craindre 10 000 morts à Tacloban, il s’est tout simplement vu retirer son poste… De nombreux cadavres doivent être enterrés dans des fosses communes sans avoir pu être identifiés : saura-t-on jamais le nombre réel des victimes ?Le président Benigno « Noynoy » Aquino III s’était fait élire en promettant d’éradiquer la corruption, cancer du régime. Un énorme scandale menace pourtant aujourd’hui les programmes chargés des infrastructures publiques et de la réduction de la pauvreté. L’aide internationale s’annonce considérable, mais dans quelle mesure profitera-t-elle aux plus démunis à l’heure où les secours servent à conforter des clientèles ?Même avec des moyens très limités, il est important d’appuyer l’action des mouvements populaires militants qui interviennent directement sur le terrain et se tiennent à l’écart des réseaux de clientèles. C’est ce que l’association ESSF (1) a commencé à faire en envoyant 4 000 euros à ses partenaires philippins. Un effort qu’il faut amplifier et poursuivre.

Pierre Rousset

1. Premier bilan de l’aide apportée par ESSF : http ://www.europe-solidaire.org/spip.php ?article30337