Publié le Mercredi 2 juin 2021 à 18h00.

Piraterie aérienne et politique en Biélorussie

Le détournement sur Minsk le 23 mai, par un Mig-29 biélorusse, de l’avion Ryanair qui reliait Athènes à Vilnius en Lituanie, pour arrêter et incarcérer un jeune journaliste et sa compagne, en dit long sur l’acharnement de l’autocrate Loukachenko contre ses opposants. Sur sa trouille aussi, face une mobilisation populaire née l’été dernier – que la féroce répression étouffe mais n’éteint pas.

Les grandes puissances ont dénoncé l’acte prétendu inédit de piraterie aérienne, le socialiste Le Drian (ministre des Affaires étrangères de Macron) oubliant l’exploit de son ancêtre Guy Mollet, socialiste au pouvoir en 19561. En guise de sanction tangible, l’Union européenne a fermé son espace aérien aux avions biélorusses, aidant ainsi Loukachenko à encaserner son propre peuple.

Enfermement dans des frontières et des prisons

Des ONG surtout fournissent des informations sur la situation faite à celles et ceux qui, à l’occasion de la présidentielle frauduleuse du 9 août dernier, ont engagé un spectaculaire bras de fer contre un dictateur en place depuis un quart de siècle, aux cris de Yxodi ! (« Dégage »). Ces manifestations monstres et répétées de centaines de milliers de personnes (sur 9,5 millions d’habitantEs), dans les centres-villes mais aussi les quartiers, sous des formes variées dont des « chaînes de solidarité » à forte participation de femmes et des grèves dans des usines emblématiques, n’ont pas arraché le départ de Loukachenko et ont subi le contrecoup d’une répression qui s’est faite de plus en plus dure. Après les matraques, balles en caoutchouc, grenades lacrymogènes et assourdissantes, les manifestantEs et opposantEs ont connu les arrestations et incarcérations par milliers, et la torture. Une nouvelle législation vise de prétendues « activités terroristes de masse » : ce dont est accusé Roman Protassevitch, la proie des pirates de l’air, pour avoir été l’animateur de Nexta (« Quelqu’un »), média influent pour la mobilisation. Une grande partie des opposants – qui en avaient les moyens – ont choisi l’exil, surtout en Pologne ou en Lituanie voisines.

Une opposition politique libérale, une mobilisation ouvrière inédite

La mobilisation biélorusse s’est faite contre la répression et l’absence de droits démocratiques, dont des élections libres. Les figures féminines qui se sont mises à sa tête, dont Svetlana Tsikhanovskaïa, ont pu masquer derrière cet affichage démocratique consensuel un programme nationaliste d’austérité accrue contre les classes populaires, en particulier de privatisations dans la ligne du FMI. Loukachenko lui-même s’était engagé dans cette voie, à partir de 2004, en remplaçant des conventions collectives par des contrats individuels, en amputant les allocations chômage et les retraites, en gelant les salaires. Balançant depuis son arrivée au pouvoir en 1994 entre liens avec la Russie et/ou avec l’Union européenne, entre « cadeaux » avec contreparties de l’une et/ou de l’autre, il misait alors plutôt sur un rapprochement avec l’UE.

La classe ouvrière de grandes entreprises d’État, dont l’usine MZKT (véhicules lourds) ou les mines de potasse Belaruskali (pour ne citer que ces fleurons), est arrivée en août 2020 sur la scène politique. Sa mobilisation a pris la forme de grèves, de meetings spontanés, de collectifs de travail voire de syndicats indépendants… Elle aussi s’est surtout dressée contre la violence de l’État. Les aspirations à une démocratie sociale faisant des incursions dans les prérogatives des possédants, sont restées latentes, seuls des courants de gauche radicale ou d’extrême gauche peu audibles ont posé ce problème politique. Qui demeure.

Poutine et Loukachenko viennent de se rencontrer à Sotchi. Bains de mer entre amis retrouvés. Tous deux pourtant sont sur des volcans : confrontés à des oppositions nationalistes libérales mais aussi à des classes ouvrières dont ils ont vu le spectre.

  • 1. Le 22 octobre 1956, un avion de transport civil emmenant cinq dirigeants du FLN a été intercepté par l’armée française dans l’espace aérien international. Les chefs du FLN resteront en prison en France jusqu’à l’indépendance.