Depuis la mort de Margaret Thatcher, il a été beaucoup question dans les médias de son rôle déterminant dans la transformation néolibérale du monde. Mais pourquoi et comment cette « révolution » a-t-elle eu lieu ?On mentionne souvent la formation intellectuelle de Thatcher, son admiration pour Friedrich Hayek et Milton Friedman. Ces deux penseurs prônaient un retour aux thèses libérales du « laissez faire » dominantes aux débuts du capitalisme où la « main invisible » du marché aurait permis la régulation du système. Ces thèses semblaient définitivement enterrées en 1929, incapables de prévoir l’énorme crise du capitalisme et encore moins de fournir une solution. Par la suite ce seront les thèses de l’économiste J.M. Keynes qui auront la faveur des capitalistes. Le long boom économique d’après-guerre des Trente glorieuses, avec une plus forte intervention de l’État dans l’économie dont de nombreuses nationalisations, semblera leur donner raison.Pourtant, le ralentissement de l’économie et la baisse des profits à la fin des années 1960 puis la crise « pétrolière » de 1974 ont montré que les politiques keynésiennes étaient incapables d’éviter la crise – en fait – structurelle du capitalisme. C’est alors qu’en Grande-Bretagne la classe dominante se trouva confrontée à deux « problèmes » qui sont le produit direct des années de boom. Pendant cette période de profits élevés et de plein emploi, les patrons d’entreprise ont souvent préféré céder aux revendications des salariés, qui du coup ont gagné énormément en confiance et en organisation. D’autre part, dans cette période d’expansion il y avait des profits à faire pour tout le monde, y compris pour les entreprises les moins performantes. Manque d’investissements, mouvement ouvrier fort, inflation galopante, la Grande-Bretagne devient pour les capitalistes « l’homme malade de l’Europe ».
Écraser les résistancesLes gouvernements travaillistes puis conservateurs ont cherché à rétablir les profits en s’attaquant aux conditions de travail et aux salaires. Mais à chaque fois ces tentatives ont été balayées par un mouvement ouvrier puissant, et en 1974 c’est le gouvernement conservateur lui-même qui fut balayé dans une confrontation directe avec les mineurs en grève nationale.C’est alors que la classe capitaliste britannique se tourne vers Thatcher et ses solutions bien plus radicales, restées jusqu’alors très marginales dans le Parti conservateur. Élue leader du parti (dans l’opposition) en 1975, elle devient Premier ministre en 1979 et commence sa longue bataille pour casser le mouvement ouvrier et appliquer sa médecine néolibérale. Les premières années sont faites d’avancées mesurées et de reculs tactiques quand nécessaires, mais le cap est fixé. Après avoir battu, l’un après l’autre, les secteurs plus faibles, elle s’attaque au bastion du mouvement ouvrier, les mineurs de charbon. En 1985, après un an de grève, les mineurs sont écrasés et cette défaite historique sera suivie d’une cascade de privatisations, de lois antisyndicales et de fermetures d’entreprises considérées comme autant de « canards boiteux ».Les dégâts en termes humains furent absolument énormes et, malgré la défaite des conservateurs en 1997, le mal était fait. Au lieu de revenir sur les immenses reculs des 18 années précédentes, les travaillistes avec Tony Blair, un converti au néolibéralisme, ont repris le flambeau et n’ont fait que continuer le sale boulot.Thatcher a peut-être été la première mais elle a fait beaucoup d’émules partout dans le monde : aux États-Unis avec Ronald Reagan mais aussi en France, d’abord avec la droite puis avec un PS qui se transformera de plus en plus en parti social-libéral.
Ross Harrold