Publié le Vendredi 9 novembre 2018 à 11h57.

17 novembre : l’instrumentalisation d’une colère légitime ?

Depuis plusieurs semaines, amplifiés la toute dernière, des appels se sont multipliés sur les réseaux sociaux pour bloquer routes et ronds-points le 17 novembre prochain. Contre l’augmentation vertigineuse du prix du diesel, de 23 % en un an et de 5 % en un mois, sans compter celle du prix de l’essence, de 15 % pour cette année. Qu’en penser ?

Dans les classes populaires, dont des millions de salariéEs qui ont besoin de leur voiture pour aller au travail, ou ont besoin de fuel pour chauffer leur logement, ces appels ont trouvé une grande résonance. Selon un sondage largement relayé par les médias, 80 % de la population partagerait l’indignation. Et la colère est bien compréhensible, et légitime : alors que tout augmente, carburants, loyers, prix de denrées de première nécessité, seuls les salaires et pensions stagnent, autant dire reculent par rapport à la hausse des prix. Et beaucoup ont la nette impression d’être soumis à un racket pur et simple de la part du gouvernement. Édouard Philippe n’est guère  convaincant lorsqu’il tente de justifier cette hausse par les nécessités de la « transition écologique ». En réalité, la « fiscalité verte » sert moins aux programmes de protection de l’environnement qu’à colmater un budget de l’État très amoindri par… les innombrables cadeaux fiscaux consentis aux entreprises.

Un ras-le-bol compréhensible, mais… 

Cette attaque brutale contre le pouvoir d’achat concerne toutes les catégories de travailleurEs, et en premier lieu les millions de salariéEs qui, en ville comme dans les zones rurales, sont dépendants de leur véhicule pour pouvoir travailler. Nombre d’entre elles et eux ont signé des pétitions en ligne, relayé les vidéos virales ou les pages Facebook appelant au blocage dans leur ville ou leur département. 

Ce qui jette quelque trouble, c’est que parmi les responsables de cette agitation en ligne se trouvent des professionnels du transport routier, petits mais aussi gros patrons qui, avant tout, défendent leurs intérêts. Des catégories habituées de longue date à se mobiliser sur ce genre de revendications, et qui pour certaines ont déjà pris l’initiative de bloquer les routes la semaine dernière, comme en Haute-Savoie ou dans le Jura. Et l’extrême droite et la droite s’engouffrent dans la brèche, s’affichant ostensiblement comme soutiens voire initiateurs du mouvement. Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Laurent Wauquiez : tous envoient des -messages d’appui. 

Ce milieu sait se défendre. Sur un problème similaire, il a déjà su, contre une « écotaxe » il y a trois ans, faire reculer un gouvernement. Leurs blocages pourraient à nouveau imposer un recul à Macron. Et s’ils ne l’emportaient pas, ils se débrouilleraient pour répercuter leur manque à gagner sur leurs salariéEs ou les consommateurEs... 

Aux travailleurEs de faire entendre leur voix

C’est pourquoi entre leur colère et celle de millions de travailleurEs, il y a quelque différence, à la fois de revendication et de moyens de lutte. Eux se bornent à réclamer la suppression de cette hausse, sans mettre en avant la hausse générale des salaires et des pensions ainsi que l’indexation des salaires sur les prix, dont ceux des carburants. Eux se borneront à bloquer et exhiber un gilet jaune, les travailleurEs de leur côté peuvent et doivent envisager une riposte par leur arme qui est la grève. Car oui la colère est légitime, oui nous devons réagir et l’envie ne manque pas, comme le montrent les discussions dans les milieux populaires. Et enfin oui, la perspective de cette journée de mobilisation – dont il est pour l’instant impossible de savoir quelle en sera la réalité – donne quelques sueurs froides au gouvernement. 

Au motif de l’influence de l’extrême droite, les organisations syndicales comme la CGT ou Solidaires expriment surtout la méfiance, dénoncent « l’instrumentalisation », mais se contentent de la politique de l’autruche sans rien proposer… quitte à laisser le champ libre aux démagogues d’extrême droite, et en laissant les travailleurEs sans perspectives de lutte pour leur niveau de vie.

Mais l’heure n’est pas à la passivité. Car la colère devient flagrante dans l’ensemble du monde du travail. Il serait donc urgent de prendre des initiatives de mobilisation autour de revendications pour les salariéEs, avec des mots d’ordre clairs, contre le gouvernement : l’augmentation générale des salaires contre la vie chère et leur indexation sur le carburant, la gratuité des transports en commun, une fiscalité écologique qui taxerait les grandes et richissimes entreprises polluantes plutôt que la grande masse des travailleurEs.

Étienne Bridel