Pierre-François Grond est membre de la direction nationale et porte-parole du NPA.
ContreTemps: Quel bilan tirez-vous des régionales ?
Pierre-François Grond: Le principal enseignement des régionales est que s'est exprimé un rejet profond du sarkozysme. C'est d'ailleurs le principal point positif d'une élection marquée par un climat abstentionniste si lourd qu'il en constitue un des éléments principaux du bilan à tirer. Une abstention multiforme certes. Mais avec une dominante: elle est populaire, jeune,forte dans les banlieues. Ce qui semble indiquer que l'exclusion sociale continue de produire de l'exclusion politique, un désenchantement global qui touche les partis politiques gestionnaires du système capitaliste, mais qui questionne également les formations en rupture avec celui-ci. C'est une moitié du pays qui s'est déplacée et qui exprime des rapports de force forcément décalés. Il semble que les électeurs et électrices qui se sont mobilisés à gauche ont voulu envoyer un message essentiel: sanctionner le pouvoir UMP. Avec un certain succès, mais au détriment du surgissement d'autres questions essentielles. Ainsi le rejet du pouvoir n'a pas permis qu'apparaisse un vrai débat régional sur les bilans des majorités sortantes comme sur les politiques de rupture à mener.
Dans le même sens, la crise économique, pourtant si présente dans la vie quotidienne dégradée d'une majorité de la population, a été désinvitée de cette échéance électorale, alors même que le reflux des luttes observé depuis le printemps dernier n'a pas permis de briser l'étau dépolitisant organisé par les principaux partis. Comment s'étonner dès lors d'un tel niveau d'abstention pour une collectivité locale dont les compétences sont peu lisibles par une majorité de la population ?
Plus inquiétant est le score réalisé par la Front national produit d'une crise du sarkozysme (les déçus de l'insécurité) et de la crise économique (l'expression xénophobe d'un rejet de la mondialisation).
Le Parti socialiste sort alors gagnant de cette élection. Les formations de gauche qui se sont situées peu ou prou en alliance institutionnelle avec lui ont réalisé de meilleurs scores que les listes qui se sont situées en indépendance vis-à-vis du «social-libéralisme régional ».
C'est le cas des listes du N PA dont les résultats sont décevants. Cela dit, il faut noter des situations intermédiaires qui montrent qu'une dynamique nationale sur d'autres bases
politiques aurait pu s'enclencher. Le Parti de gauche a annoncé nationalement qu'il ne participerait pas aux exécutifs régionaux, les communistes du Nord/Pas-de-Calais également, tandis que c'est l'ensemble des composantes de la liste Front de gauche-NPA qui se trouvent dans la même situation dans la région Limousin. De là à penser qu'indépendance ne rime pas avec marginalité …
C. T.: Au lendemain des élections régionales et alors que nous sommes à mi-mandat de ce pouvoir, quelle est votre analyse du sarkozysme ?
P.-F. G. : La situation est en fait extrêmement contradictoire. Le rejet est incontestable: il s'exprime par le vote de gauche, par le retour du Front national et il a alimenté l'abstention. Mais en même temps la politique continue!
Faite d'attaques grossières contre les droits sociaux et démocratiques conquis au XXème· siècle. Que l'on se penche sur l'école, les hôpitaux, le droit à la retraite à 60 ans, le développement d'inégalités multiformes ... La tentative de «formatage» de la société française aux exigences d'un capitalisme désormais mondialisé poursuit sa feuille de route. Et au-delà des discours sur le retour de l'Etat, les mêmes recettes libérales s'appliquent. La facture même de la crise payée par la population accentue, en Grèce comme ici, ces politiques.
Dès lors le discours volontariste de Sarkozy se brise sur trois échecs qui traduisent, pour lui comme pour d'autres dirigeants du monde capitaliste, l'impuissance à traduire en actes les discours électoraux.
Impuissance sur le terrain de la crise, tant apparaît criant le retour aux mêmes phénomènes de spéculation et d'enrichissement scandaleux. Impuissance climatique, marquée par l'échec du sommet de Copenhague et les renoncements progressifs des maigres engagements du Grenelle de l'environnement. Auquel il faut ajouter une dimension propre au sarkozysme de 2007: la tentative d'éteindre la flamme du Front national par un discours de matamore et une multiplication de lois liberticides concernant
l'immigration et l'insécurité. L'échec du débat sur l'identité nationale est patent: l'initiative est revenue sur l'Elysée comme un boomerang par le vote pour la famille Le Pen.Sarkozy a bénéficié pendant presque trois ans d'une gauche anesthésiée, voire complice. Nous en concluions d'ailleurs que la principale force de Sarkozy, c'était bien la faiblesse de la gauche ... Mais la gauche est-elle de retour ? Et quelle gauche ?
C. T.: Quelle est votre analyse de l'état de Ja gauche et du mouvement ouvrier, et quelles réponses voyez-vous devoir y apporter ?
P.-F. G. : Le mouvement ouvrier tel que nous l'avons connu est en fin de cycle. Le pari social-démocrate d'une transformation graduelle, démocratique, du capitalisme en socialisme s'est évanoui dans la gestion du système.
Le cycle de la révolution d'Octobre est également clos et les dernières expériences révolutionnaires se sont déroulées il y a plus de trente ans. Il nous faut donc reconstruire un nouveau mouvement émancipateur.
La fondation du NPA répond fondamentalement à un projet de reconstruction, un nouvel alliage entre le meilleur des traditions critiques de l'ancien mouvement ouvrier et les nouvelles générations porteuses de questions qui prennent une ampleur nouvelle, comme l'écologie. Un projet de longue haleine que nous ne mènerons pas seuls.
La gauche est aujourd'hui davantage une solution électorale contre la droite, efficace dans les scrutins locaux, que porteuse d'une alternative et de réponses à la crise globale du capitalisme qui est devant nous.
Une chose est d'être porté par un rejet électoral de la droite, tout autre chose est d'incarner une alternative aux politiques «de droite» qui sont souvent menées, en France comme dans d'autres pays européens, par la gauche social-démocrate.
La gestion du pouvoir a profondément modifié les partis de gauche traditionnels et le rapport de ceux-ci aux classes populaires. Ici, en France, on peut donc connaître une situation de victoire électorale et en même temps une abstention populaire massive. Beaucoup de partis dits de gauche ne sont plus des partis pour le socialisme mais des partis de gestion plus «humaine» du système, critère par ailleurs discutable lorsqu'on examine la politique menée par le «socialiste» grec Papandréou, ou les politiques dictées par le FMI ou l'OMC des« socialistes» français Dominique Strauss-Kahn ou Pascal Lamy.
C. T.: La crise que connaît le capitalisme vous paraît-elle induire une possible et nécessaire réaffirmation d'un projet alternatif? Et sur quoi devraient dans ce cadre porter les ruptures ?
P.-F. G.: La crise économique et la crise écologique frappent à la porte en même temps. Des milliers de milliards d'euros et de dollars ont été mobilisés en quelques jours pour sauver le coeur du système: les banques. Alors même que le capitalisme est incapable de résoudre les problèmes fondamentaux de l'humanité: l'alimentation, l'accès à une eau propre, la préservation du climat, l'accès à l'éducation et à culture, le droit à la santé ...
Les deux faces de la crise impliquent donc la recherche de réponses globales (pas encore toutes trouvées, loin s'en faut) concernant les modes de production comme de consommation, et son caractère planétaire nécessite la définition d'un nouvel internationalisme portant un projet solidaire entre les populations du « Nord» et du « Sud ».
Pour ne prendre qu'une question: la crise climatique conduit, si on la prend sérieux, à une réhabilitation de solutions programmées et planifiées. Après trente ans de politiques et d'idéologies du tout-marché, voilà l'occasion de battre en brèche des logiques marchandes destructrices de notre environnement. Mais il s'agit également de montrer l'incapacité du marché, et a fortiori du capitalisme, à définir des objectifs de longue durée. Le «plan vert» contre «le capitalisme vert» en quelque sorte.
Loin d'une simple alternance électorale, cette crise implique de définir en lien avec les mouvements sociaux une logique de rupture, un plan de sortie de crise. Qui tourne le dos à la logique du profit et se fixe comme perspective une réorganisation complète du champ économique et social, une nouvelle répartition des richesses et du temps du travail.
De nouvelles perspectives démocratiques - dont la logique devrait selon nous davantage s'appuyer sur le contrôle social, l'autogestion, que par une transformation étatique par le haut -, seront nécessaires. Il ne peut exister de perspectives de rupture avec le système sans de nouvelles conquêtes démocratiques dans la Cité, les lieux de travail ou de formation, afin que la population maîtrise par ses choix les évolutions de la société.
C. T.: Au regard d'une pensée stratégique qui paraît en panne à gauche, quels chantiers vous semblent devoir être prioritairement ouverts ?
P.-F. G. : La priorité est de construire un projet mobilisateur de rupture avec le capitalisme et le productivisme, programme qui soit tout ô la fois un programme pour les luttes et pour les élections.
Que ferait un gouvernement anticapitaliste, en termes de mesures prioritaires, afin d'inverser le cours des choses ?
L'exercice peut paraître aujourd'hui abstrait, mais il permet à la fois de commencer à dégager des pistes alternatives aux politiques d'adaptation.
Quelques propositions.
Répartir les richesses en revenant ô la répartition capital/travail avant qu'elle ne soit dégradée par les politiques libérales. On sait que cela permettrait d'augmenter revenus et salaires de 300 euros et de fixer le Smic à 1500 euros nets.
Diminuer le temps de travail et créer des emplois dans les services publics pour permettre aux cinq millions de chômeurs réels d'obtenir un emploi stable. Ce qui permettrait également et quasi mécaniquement de résoudre le financement des retraites avec l'arrivée de nouveaux cotisants.
Financer la dette par un prélèvement exceptionnel sur les fortunes et les profits, car ce sont les cadeaux fiscaux aux plus riches et les exonérations de charges qui ont creusé les déficits et construit cette fameuse dette.
Ces trois propositions, pourtant simples et très insuffisantes, induisent néanmoins une rupture globale avec les politiques menées. Elles sont contraires au traité de Lisbonne, entrent en contradiction avec les politiques menées par les institutions internationales, avec le patronat, la droite, mais aussi la gauche acquise ô l'adaptation ô la nouvelle donne capitaliste.
C. T.: Comment vous apparaît se poser aujourd'hui la question de l'articulation entre les trois éléments que sont les institutions, les mobilisations sociales, l'intervention des partis ?
P.-F. G. : Les perspectives politiques et les mobilisations sociales s'alimentent. La présence dans les institutions doit être la conséquence de rapports de force construits et donc utiles dans le combat émancipateur. Pas l'inverse, c'est-à-dire la présence institutionnelle comme condition sine qua non de l'existence politique. Car dans un tel schéma, les clés de la représentation dans les assemblées sont détenues à gauche par le Parti socialiste. Ce qui implique de renoncer à une indépendance politique. Mais au-delà, rien de neuf, aucune dynamique de rupture avec le système ne se construira sans le surgissement de mobilisations sociales sans commune mesure avec la situation existante. C'est un problème posé à l'ensemble des militants anticapitalistes, militants de partis, de syndicats ou de mouvements sociaux. Sans la mise en mouvement de millions d'hommes et de femmes, il ne peut s'imposer que des solutions dites réalistes, c'est-à-dire ne remettant pas en cause les fondements mêmes du système. Un front social et politique s'alimentant des luttes, des grèves, des manifestations, et offrant des perspectives politiques de conquête du pouvoir doit se penser en rupture avec les schémas classiques d'union de la gauche se cantonnant à des victoires électorales sans remettre en cause le pouvoir de la classe dominante capitaliste. La présidence de la République est soumise à la loi du suffrage universel (dans un cadre très antidémocratique au demeurant) ; le pouvoir du Medef des conseils d'administration des grandes banques et entreprises du CAC 40 obéissent à une autre loi, celle de la propriété privée. Ne pas s'affronter à ce pouvoir, c'est renoncer par avance à toute perspective radicale de transformation de la société.
On est loin de la «gauche solidaire» héritière de la gauche plurielle de 1997! Une alliance Parti socialiste, Europe Ecologie, Front de gauche pour gouverner ensemble a toute sa fonctionnalité électorale et beaucoup feront pression plus on se rapprochera de 2012 pour en souligner l'absolue nécessité pour battre la droite. Mais pour quelle politique ?
Pourtant beaucoup, y compris dans la gauche radicale, dans le mouvement social et syndical, et également au sein du Front de gauche, pourraient appréhender complètement différemment la situation actuelle. Vouloir la défaite de la droite sans être dupe du type de politique que mènerait une coalition dirigée par le Parti socialiste. Vouloir la défaite de la droite, mais aussi défendre une politique alternative aux politiques de droite.
Dit autrement: défaire la droite, c'est dès maintenant, par l'unité dans les mobilisations et sans doute par des consignes de vote de second tour.
Mais faire apparaître un bloc anticapitaliste, pour une politique de rupture, c'est une nécessité pour aujourd'hui, pour 2012, et sans doute plus encore pour l'après 2012. Car nous avons connu tellement d'expériences de gauche désespérantes pour les classes populaires que nous ne sommes pas obligés de reproduire à chaque fois un schéma perdant et qui ramène au pouvoir une droite encore plus réactionnaire.
Propos recueillis par Francis Sitel