Publié le Mardi 3 mai 2011 à 11h12.

F-haine : national et social ?

Le 8 avril, Marine Le Pen présentait les « Grandes orientations économiques » de son parti. L’objectif est de doter celui-ci d’un programme économique crédible, dont ses détracteurs ont souvent pointé l’absence. Ces orientations sont données dans la foulée d’une véritable offensive de la fille Le Pen vis-à-vis du monde du travail : son discours s’est teinté, dans le contexte actuel de crise, d’un vernis « social ». Il s’agit de gagner un électorat de gauche, de se réapproprier des thèmes du mouvement social, dans le cadre d’une stratégie d’investigation de « nouveaux territoires ». Et notamment les syndicats, comme l’a illustrée l’affaire Engelmann. Est-ce un « tournant social » d’inspiration mariniste ? Quelle est la nature du programme du FN et quelles seraient les conséquences de son application pour les salariés ? Le « tournant social » mis en avant par les médias et pleinement assumé par Marine Le Pen n’est que la reprise d’une stratégie mise en œuvre dès le début des années 19901, sous la houlette de… Bruno Mégret. En 2002, malgré un appareil et une surface militante affaiblis à la suite de la scission autour de ce dernier, le FN accède au second tour de la présidentielles dominée par le thème de l’insécurité, traditionnellement porteur pour celui-ci. Aidés en cela par une gauche sociale-libérale paralysée sur les questions sociales, le FN obtient entre 20 et 30 % des voix chez les ouvriers et employés, et à peu près autant chez les chômeurs et les jeunes. Le trou est creusé. « Faire fabriquer par des esclaves pour vendre à des chômeurs »2Dès 2004, Marine Le Pen, qui s’est choisi pour fief le Nord-Pas-de-Calais, terre de gauche frappée de plein fouet par les crises économiques successives, choisit comme cheval de bataille « l’insécurité sociale ». Elle va faire de cette région et notamment de la municipalité d’Hénin-Beaumont (dont son lieutenant Steeve Briois, promu secrétaire général du FN lors du congrès de Tours de janvier 2011, faillit remporter la mairie à deux reprises) un véritable laboratoire de sa stratégie sociale, y dénonçant la mondialisation, le capitalisme financier, le chômage, les délocalisations… Elle propose ainsi d’interdire les licenciements aux entreprises subventionnées par la région et n’hésite pas à dénoncer le PCF comme ne jouant plus son rôle de défenseur des travailleurs, tout en calquant sur lui ses méthodes d’intervention : porte-à-porte, réseaux d’entraide3… « Nous faisons ce que le PCF ne fait plus »Lors de la campagne des régionales de 2008, elle et son équipe revendiquent d’être intervenus devant les portes d’une trentaine d’usines de la région. Sans jamais se voir opposer de résistance de la part des équipes syndicales. Cet épisode est symptomatique à la fois de la banalisation du FN, de l’affaiblissement des organisations du monde du travail (de telles interventions auraient été impensables dans les années 1990), et de l’audience que le FN parvient à se construire sur ces thématiques. Vessies et lanternesLe 9 décembre 2010 sur le plateau d’à vous de juger sur France 2, alors que le mouvement contre la réforme des retraites s’est achevé sur une défaite, Marine le Pen affirme être pour le rétablissement de l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans. Et peu importe qu’au moment où elle fait ses déclarations, le programme du FN préconise encore de… repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans4. Elle entend ainsi aller dans le sens d’un mouvement auquel ni elle ni son parti n’ont participé, renvoyant dos à dos gouvernement et syndicats (Gollnisch appelant lui tout simplement à des poursuites pénales contre la CGT pour « sabotage »). Car la principale caractéristique du FN est précisément d’avoir toujours dénoncé la « gréviculture » (sans jamais se prononcer ouvertement contre le droit de grève en tant que tel). Il a aussi toujours dénoncé le caractère « politique » (qu’il conteste) de l’action syndicale, cette dernière étant considérée comme allant à l’encontre de « l’intérêt national ». Les syndicats, que le FN a beau jeu de juger minoritaires et non représentatifs, sont accusés de prendre en otages tantôt les travailleurs, tantôt les usagers de services publics lorsque les « ponctionnaires » se mettent en grève pour défendre leurs prétendus privilèges… Il s’agit pour le FN de réformer la représentativité syndicale5 pour briser les confédérations et favoriser l’émergence de « syndicats » de branches, éclater les cadres de la négociation collective. L’objectif étant d’instaurer des corporations (comme sous Vichy…) cherchant à concilier des intérêts contradictoires, dans le cadre d’une économie repliée sur le cadre national. Et donc à défendre les intérêts du patronat (dont il exige l’allègement des cotisations sociales), auquel il ferait le cadeau ultime de « simplifier » le code du travail, notamment en instaurant un « Contrat professionnel d’activité » qui rendrait les travailleurs définitivement corvéables à merci. Le tout en instaurant la préférence nationale, qui passerait par une surcotisation sociale de 35 % des travailleurs non nationaux et leur exclusion des prestations sociales. Marine plus fréquentable que Jean-Marie… pour le patronat  !Cette stratégie qui était celle de Marine Le Pen et de ses proches est depuis le congrès de Tours celle du FN lui-même, comme en atteste son discours d’investiture au cours duquel elle s’autoproclame seule défenseure de la République, cite Jaurès, dénonçant les injustices sociales et « l’argent-roi » aussi bien que la « gauche du FMI », et en appelant à l’état (cité 46 fois) pour les combattre. Elle se fend même peu après d’une « lettre aux fonctionnaires », dénonçant la RGPP et défendant un état-protecteur, parlant de l’école comme « saignée à blanc » et de l’hôpital public comme « exsangue ». Si certains aspects de son discours marquent une véritable rupture avec celui de son père, le tournant « social » de Marine Le Pen jusque-là en porte-à-faux avec ce que proposait vraiment son parti va-t-il être résolu par le « nouveau » programme destiné à rendre le FN crédible en tant que candidat au pouvoir ? Rien n’est moins sûr. Pour ce que l’on en connait à l’heure actuelle6, le programme économique du FN est axé autour de la sortie de l’euro, dont le socle s’intitule « se réarmer face à la mondialisation » et d’une politique protectionniste menée par un « état-stratège », qui vise essentiellement à la défense des classes moyennes (que l’on ne saurait lui confier). Ne défendant en rien les travailleurs, cherchant à préserver le capitalisme en crise et non à le renverser, notamment en « divisant ceux qui devraient être unis et en unissant ceux qui devraient être divisés », il s’agit là d’un véritable programme de combat que le FN propose à la bourgeoisie et à elle seule. Alexandre Timbaud 1. Sur l’opportunisme du FN et ses différents tournants, voir l’article : http://www.npa2009.org/content/front-national-histoire-chaotique-d%E2%80%99un-%C2%AB%E2%80%89cam%C3%A9l%C3%A9on%E2%80%89%C2%BB-politique 2. Formule souvent employée par Marine Le Pen à propos de la mondialisation. 3. Voir à ce sujet le documentaire Au pays des gueules noires, la fabrique du Front national, édouard Mills Affif, 2004. 4. Ce passage a depuis été modifié : le FN préconise désormais le maintien de 40 annuités de cotisations « sans considération d’âge légal de la retraite et la liberté donnée aux Français de travailler au-delà s’ils le désirent »… tout en défendant la possibilité de recourir aux retraites par capitalisation, soit exactement ce que souhaitent le gouvernement et le Medef. 5. Ce sur quoi le gouvernement UMP a déjà bien avancé avec la réforme du 20 août 2008… 6. Le FN ayant choisi de préciser progressivement son programme lors de conférences de presse régulières, et de rendre un chiffrage public à l’automne 2011. Quant à la partie « Acteurs économiques et emploi », autrement dit concernant les relations de travail elles-mêmes, elle a disparu du site internet du FN, et devrait être réactualisée bientôt.