Dimanche, la gauche réformiste n’a pas échappé au recul général, à la crise de la gauche institutionnelle exprimée par l’abstention ou le vote Front national. Au Front de gauche, la désillusion est à la mesure des espoirs qu’avaient suscités les scores de la présidentielle et des législatives et les meetings de Mélenchon, et cela malgré quelques déboires des municipales.
On se souvient des discours enflammés de Mélenchon prédisant la possibilité pour le Front de gauche de passer devant le PS aux européennes. Avec un score à peu près identique à celui de 2009, un peu plus de 6 %, le leader du PG déclare aujourd’hui qu’il « a mal à [sa] patrie » et que son « cœur saigne en voyant dans quel état est [son] beau pays »... En fin de compte, le Front de gauche s’en sort avec quatre élus, quatre sortants : Patrick Le Hyaric (PCF) en Île-de-France (6,4 %), Marie-Christine Vergiat (sans appartenance…) dans le Sud-Est avec 5,9 %, Jean-Luc Mélenchon (PG) dans le Sud-Ouest avec 8,5 % et Younous Omarjee (PC de la Réunion) avec 18,2 %. Mais avec 6,38 %, Jacky Hénin (PCF) perd son siège d’eurodéputé dans le Nord-Ouest. Les autres candidatEs retrouvent à peu près les scores des précédentes européennes, avec parfois une légère progression. C’est le cas de Myriam Martin (Ensemble) avec 5,1 % dans l’Ouest, de Gabriel Amard (PG) 5,2 % dans l’Est, et de Corinne Morel Darleux (PG) 7,4 % dans le Centre. Ces résultats vont contribuer à accélérer la crise interne du Front de gauche, aussi bien entre le PCF et le PG qu’au sein d’Ensemble. En effet, le Front de gauche n’apparaît pas comme une alternative crédible à la politique du gouvernement, et il va être confronté à une série de pressions, en premier lieu du PS, en tout cas de sa « gauche », qui va en appeler à une nouvelle « Union de la gauche » pour faire barrage au Front national.
Construire quoi et avec qui ?Le PG et Ensemble ont réagi en attaquant légitimement la politique du gouvernement. Mais si on ne peut qu’approuver la volonté de rassembler dans l’action toutes les forces opposées à la politique d’austérité ou à l’Europe capitaliste, comme le propose le PG à l’occasion de la résistance au TAFTA (le traité transatlantique en cours de discussion), on s’étonne de voir mettre sur le même plan EÉLV et les forces de gauche opposées à la politique du gouvernement, comme le NPA ou LO. En effet, si la majorité des Verts a été obligée par sa base de se retirer du gouvernement, elle continue néanmoins de le soutenir et se refuse à être dans l’opposition. Il en est de même pour le moment de « l’opposition interne » du PS dont on attend avec impatience le vote de ses députés lors du débat parlementaire sur le budget. Pour la direction du PCF, très critique vis-à-vis du PS, pas question de construire une opposition, mais la tâche de l’heure est, selon Pierre Laurent, de « reconstruire autre chose à gauche » et de lancer un appel « à l’ensemble des forces de gauche pour un processus de dialogue et de travail »... La crise et les réponses gouvernementales du PS expliquent en grande partie la percée du Front national, d’où la nécessité de s’opposer frontalement à lui aux élections, comme dans les mobilisations. Beaucoup partagent ce point de vue dans les rangs du Front de gauche. Voilà pourquoi nous sommes prêts, sur le plan politique, au débat et, chaque fois que cela sera possible, à l’action commune avec les composantes du Front de gauche qui y sont disposées, comme avec LO ou Alternative libertaire. La gauche anticapitaliste a montré sa force dans plusieurs pays d’Europe. Malgré le climat nauséabond que nous connaissons, elle est aussi à construire ici, sur des bases claires et unitaires.
Alain Krivine