Publié le Mardi 18 décembre 2018 à 14h49.

Pas de trêve pour les luttes, pas de cadeaux pour Macron

Le bilan du week-end témoigne, à l’échelle nationale, d’un reflux du mouvement des Gilets jaunes. Mais cela n’efface pas la profondeur de la colère, l’ancrage de la contestation et la nécessité d’intervenir, de militer pour construire la mobilisation contre le gouvernement.

 

Les manifestations du 15 décembre ont été, dans la majorité des endroits, réduites par rapport aux week-ends précédents, même si on ne peut faire aucune confiance aux chiffrages donnés par l’État. Dimanche et lundi, les blocages étaient également moins nombreux que les semaines précédentes. Mais on aurait tort d’enterrer la mobilisation, qui a montré sa capacité à rebondir et à innover. 

En effet, la colère n’a pas été réduite par les annonces de Macron et de Philippe. La répression a certes découragé certainEs manifestantEs, mais de nombreux blocages sont maintenus, modifiés, relancés. Le gouvernement, par la voix de Castaner, a annoncé sa volonté de les casser cette semaine, afin d’en finir avec le mouvement, mais la répression pourrait également produire l’effet inverse, puisqu’elle prouvera que le gouvernement agit, en réalité, à l’opposé de sa volonté revendiquée de « dialogue ».

 

Le mouvement face à des problèmes politiques

Le bilan des dix derniers jours est notamment celui de l’échec, que l’on espère temporaire, du lien entre le mouvement des Gilets jaunes et le mouvement ouvrier organisé. Les appels syndicaux aux 8, 14 et 15 ont été très limités, sans parler de la plaisanterie de l’appel de la CGT à faire grève le 18 décembre, absolument pas relayé ni réellement organisable dans les lieux de travail.

Même s’il y a des exceptions plutôt réussies, à Avignon, Nîmes ou Bordeaux par exemple, on a ainsi pu observer les limites d’une mobilisation où, d’un côté, le mouvement ouvrier traditionnel ne mobilise pas fortement, en particulier sur la question des salaires, et où de l’autre les blocages ne basculent pas dans les lieux de travail. Ce sont souvent les couches les plus précarisées de la classe ouvrière qui se mobilisent, et qui ne parviennent pas à cette étape à entraîner les grosses structures et à basculer elles-mêmes dans la grève.

Sur les lycées, le constat est similaire, puisque ce sont les établissements les plus populaires qui bougent, mais ne parviennent pas à se structurer fortement ni à entraîner ceux qui rassemblent les couches habituées à s’organiser. Les mobilisations étudiantes ont été très fortes mais peinent à se solidifier et s’étendre.

 

De l’aspiration démocratique au détournement institutionnel

Une offensive a été menée cette semaine pour entraîner la mobilisation du terrain de la lutte vers celui de la délégation de pouvoir. Depuis le début du mouvement, une grande aspiration démocratique s’est exprimée, pour que celles et ceux d’en bas puissent décider. Des forces politiques variées se sont appuyées sur cette préoccupation pour proposer le référendum d’initiative citoyenne (RIC) comme issue au mouvement, dans le contexte des difficultés de sa construction. Sur les barrages, il est bien souvent présenté comme une façon de débattre et de décider à partir du niveau local… alors que pour les partis institutionnels, ce sera quasiment l’inverse, une nouvelle forme de référendum pour faire croire à la population qu’elle décide. 

Pour décider, pour agir, il faut nécessairement connaître les données permettant de faire des choix : en ouvrant les livres de compte des entreprises, en levant le secret bancaire et commercial, en ayant la possibilité de contrôler l’activité des élus et de les révoquer, en ayant véritablement le temps et les moyens d’organiser des discussions et des prises de décision démocratiques, y compris en mettant en cause le pouvoir patronal dans les entreprises.

Alors que le mouvement était axé sur le pouvoir d’achat et la démission de Macron, la place prise par le RIC, si elle traduit de manière déformée l’importance des questions démocratiques, est le signe d’une mobilisation qui, dans le cadre de son reflux et de la pression institutionnelle, cherche une nouvelle perspective plus accessible. Comme toute mobilisation, il n’échappe pas aux flux et aux reflux de la conscience, et en l’absence de perspectives d’ensemble, la situation actuelle est même, comme on l’a vu dans certains endroits, propice au retour des préjugés nationalistes dans le mouvement.

 

Construire, proposer des perspectives

Ces éléments ne doivent pas nous faire oublier que le mouvement auquel nous assistons depuis plus d’un mois est sans précédent par son caractère politique, car il correspond à un point de rupture, à l’explosion d’une crise latente qui touche, au-delà des Gilets jaunes, tout le prolétariat.

Il est donc capital de soutenir et construire encore la mobilisation comme une révolte de notre classe sociale, qui va se prolonger dès samedi, et qui se poursuivra en 2019. Ne pas céder le terrain au courants d’extrême droite ou à ceux qui proposent des solutions institutionnelles, maintenir les blocages et les manifestations, construire les mobilisations spécifiques sur les salaires, contre la réforme du lycée et la sélection, etc.

Enfin, nous devons faire tirer des bilans d’étape de cette lutte contre Macron et son monde : pour obtenir de réelles victoires et en finir avec Macron et le gouvernement, si l’on peut envisager des combinaisons entre différentes modalités d’action, il n’y aura pas de raccourci à la construction de l’unité d’action la plus large et à la grève générale. Les prochains jours nous donnent encore l’occasion d’aller dans ce sens : les mobilisations du 22 décembre, voire dès début janvier, seront l’occasion de continuer à proposer l’unité du monde du travail, l’unité entre les Gilets jaunes et le mouvement ouvrier organisé, la liberté de manifester et le refus de la répression intense qui s’est abattue sur le mouvement, avec la revendication de l’arrêt des poursuites contre l’ensemble des manifestantEs.

 

Antoine Larrache