Publié le Mercredi 29 mai 2019 à 14h53.

Un Rassemblement national plus que jamais menaçant

Comme en 2014, c’est le Front national, devenu Rassemblement national, qui est arrivé en tête du scrutin européen. Le signe qu’un certain nombre de leçons n’ont pas été tirées et que ceux qui se posent comme « rempart » face à l’extrême droite ne font en réalité qu’alimenter le développement des courants ultra-­réactionnaires, ultra-autoritaires et racistes. Et si le FN/RN n’a pas « explosé » les compteurs, il serait particulièrement dangereux de penser que les européennes de 2019 n’ont été qu’une répétition des européennes de 2014. 

Des tendances lourdes

Si l’on s’en tient aux chiffres, la baisse relative du score du FN/RN (23,31 % en 2019, contre 24,86 % en 2014) ne doit pas occulter le fait que, dans la mesure où la participation globale a augmenté (50,12 % contre 42,43 %), leur score en nombre de voix a lui aussi augmenté : 5 281 745 contre 4 712 461, soit plus de 500 000 voix gagnées. Et l’on n’oubliera pas en outre la multiplication des « petites listes » à l’extrême droite qui, de Dupont-Aignan à Renaud Camus en passant par Philippot ou l’Alliance royale (sic), font monter le score global des extrêmes droites à près de 30 %. Ce qui, au vu du caractère outrancier (assumé) de certaines d’entre elles, est une forme de révélateur d’une dynamique d’ensemble particulièrement inquiétante. 

Une augmentation en voix donc et, deuxième indice guère rassurant, la confirmation de la consolidation d’un électorat pour Le Pen et ses sbires : selon toutes les enquêtes, c’est en effet l’électorat du FN/RN qui est le moins volatil, avec un taux de fidélité supérieur à 80 % et un degré de conviction (qui s’exprime notamment dans le moment de la prise de décision du vote) particulièrement élevé. Qui plus est, les caractéristiques sociales de cet électorat demeurent, ainsi que le rappelle Roger Martelli : « Le vote du 26 mai a confirmé ce que l’on sait depuis quelques années et que les sondages annonçaient. Parmi ceux qui votent, un quart des employés, 40 % des ouvriers, un tiers de ceux dont la formation est inférieure au bac, près d’un tiers des revenus les plus bas auraient choisi de voter pour la liste patronnée par Marine Le Pen. »1

Une extrême droite « responsable » ?

Des tendances inquiétantes qui se confirment et s’accélèrent dans un contexte où l’extrême droite version Le Pen poursuit sa mue dans une quête de respectabilité et de crédibilité. Il est fini le temps du vieux Le Pen qui répétait qu’il ne prétendait pas au pouvoir. À de nombreuses reprises durant la campagne, comme cela avait déjà été le cas lors de la présidentielle, Le Pen et son poulain Jordan Bardella se sont ainsi posés en majorité d’alternance à Macron, quitte à moduler considérablement leur discours concernant l’Union euro­péenne. La sortie de l’UE et de l’euro, qui étaient deux mesures phares du programme européen du FN en 2014, ont en effet disparu des écrans radars. Invitée de « l’Émission politique » de France 2 en mars dernier, Marine Le Pen justifiait ce changement par le fait que, avec l’accession au pouvoir de l’extrême droite dans un certain nombre de pays européens, au premier rang desquels l’Autriche et l’Italie, la question se posait différemment : « Pendant longtemps, nous n’avions pas le choix : il fallait s’y soumettre ou en sortir. Nous étions trop isolés pour peser véritablement. » Face à la « dictature de Bruxelles », la solution ne résiderait plus dans une sortie unilatérale mais dans une « alliance européenne des nations »

Ce faisant, et même s’il n’a pas renoncé à ses fondamentaux concernant l’immigration, avec une surenchère raciste qui satisfait un électorat dont la première motivation demeure, selon toutes les enquêtes, le rejet des étrangerEs, le RN a continué de vouloir se poser toujours davantage en majorité d’alternance crédible, grandement aidé en cela par Macron et LREM qui ont désigné l’extrême droite comme seul adversaire digne de ce nom. Un cadeau offert à Le Pen et Bardella qui, vantant les mérites et les « succès » de Salvini en Italie, se sont taillé un costume de dirigeants politiques de plus en plus « crédibles », apparaissant au total, sans nécessairement susciter une pleine adhésion à leur projet réactionnaire, comme étant le meilleur « rempart » face à Emmanuel Macron et à ses politiques. Au petit jeu du « référendum anti-Macron », c’est donc – sans surprise – l’extrême droite qui s’est imposée, certainEs se revendiquant même d’un « vote utile » pour la liste conduite par Jordan Bardella… 

Ce scrutin européen est une nouvelle démonstration que les extrêmes droites se nourrissent des politiques menées par les prétendus « progressistes » et de leur incapacité à juguler les effets économiques et sociaux d’une crise du capitalisme qui dure depuis 10 ans et qui accroît chaque jour un peu plus les inégalités, la misère et le désespoir. Un véritable carburant pour les courants d’extrême droite et de droite extrême, qui bénéficient en outre de la reprise de leurs propositions autoritaires et racistes par les partis « traditionnels », formidable rampe de lancement pour des mouvements qui prônent un nationalisme chauvin et xénophobe, un « retour à l’ordre » et des mesures économiques libérales, voire ultralibérales qui, quand bien mêmes elles seraient mâtinées de protectionnisme, ne remettent nullement en cause le fonctionnement du système capitaliste et peuvent donc leur attirer la sympathie de certaines franges du capital. Pour le dire sans détour, et sans verser dans le catastrophisme : la menace est bien là.

Julien Salingue

  • 1. Roger Martelli, « Après les européennes, la crise s’épaissit », regards.fr, 27 mai 2019.