Publié le Mercredi 25 mars 2020 à 11h36.

Face à l’épidémie, nos anticorps sociaux sont aujourd’hui nos seules armes

Un monde s’arrête, un monde s’écroule. Pendant plus de deux mois, l’Europe capitaliste a assisté à l’émergence de la pandémie de Covid-19 en Asie. Sans rien faire.Les pays européens, rêvant d’État fort contre leurs classes dangereuses, se prenaient parfois même à s’interroger sur la supposée efficacité des États autoritaires dans la gestion de l’épidémie. Oubliant les médecins lanceurs d’alerte muselés, ce qui a permis au virus d’atteindre la masse critique qui lui permet aujourd’hui de faire le tour du monde, en suivant les voies de la mondialisation libérale. Il avait fallu six mois à la grippe de 1957, il faut deux mois au Covid-19 pour faire de l’Europe le centre de l’épidémie. Pourquoi cet aveuglement ? Pourquoi les leçons du SRAS de 2002, de la montée des épidémies (Zika, dengue hémorragique, Ebola…) n’ont pas pu être tirées, ni même pensées ?Les intérêts, l’horizon tout simplement des élites, politiques, bancaires, industrielles mais aussi médicales, leur interdisaient même de penser une riposte à la hauteur du défi. Et donc d’imaginer ce défi. Car cela aurait supposé un investissement massif dans les services publics et la santé, le blocage anticipé des secteurs non indispensables de l’économie, une socialisation anticipée de la production pour faire face à l’urgence médicale, un transfert massif de richesses vers les peuples dominés, une mise en commun de toutes les intelligences de la recherche mondiale en vaccination, une auto-organisation populaire pour réorganiser rapidement, démocratiquement et utilement la société. Un autre univers, quand le juge de paix de toute décision, c’est le cours de la bourse, la défense des brevets, la concurrence libre et non faussée.

Impréparation de classe

Il ne s’agit donc pas d’une impréparation au sens temporel du terme, mais d’une impréparation de classe face au virus. Les airs martiaux de nos bourgeoisies ne peuvent masquer cette réalité. Absence de masques, les stocks stratégiques ont été abandonnés en 2013 pour économiser 50 millions d’euros, absence de tests et de matériel de protection, absence de lits d’hôpitaux, 100 000 ont été supprimés en France, absence de candidats vaccins contre les coronavirus. Comme les candidats vaccins contre Ebola, ils avaient été oubliés dès la fin de l’épidémie : beaucoup d’investissements pour une rentabilité hypothétique. Le fond de leur horizon, c’est cela : la volonté de faire travailler les salariéEs des secteurs non indispensables, pour protéger les profits, mais de ne pas protéger la santé des salariéEs indispensables !Aujourd’hui la stratégie, c’est d’étaler le pic pandémique pour permettre aux cas les plus graves d’être accueillis dans les lits de réanimation. C’est évidemment, à court terme, un élément indispensable, central avec la distanciation sociale. Mais pour que cela soit socialement acceptable, il faut qu’elle s’accompagne d’un transfert massif de richesse vers celles et ceux qui supportent la crise, et d’une d’égalité des droits… À l’opposé des tentations de coup d’État sanitaire qui risquent d’être l’horizon de toutes les bourgeoises. Et cela à mesure que le confinement deviendra de plus en plus insupportable, et répété avec de nouvelles poussées épidémiques, et que les classes dominantes seront massivement discréditées pour leur impréparation. Sans parler des tentations chauvines sur les virus étrangers et les travailleurEs détachés !

Une réorganisation de la société est nécessaire

Mais la stratégie face au Covid-19 ne peut reposer uniquement sur l’étalement du pic épidémique pour éviter la saturation des hôpitaux. Si l’on attend que 60-80 % de la population mondiale fabrique des anticorps en rencontrant le virus pour que l’épidémie s’arrête, les morts se compteront en dizaines de millions selon les meilleurs spécialistes des pandémies. Ne nous faisons pas d’illusion, la Chine et l’Asie ont passé la première vague épidémique. Mais la grippe de 1918 nous apprend qu’il y a souvent une deuxième vague, plus mortelle encore. Atteindre un tel taux d’immunité se construit soit par le contact avec le virus, soit par un vaccin. En attendant, nos anticorps sociaux, droit de retrait, masques, tests, arrêt des productions inutiles, priorité à la santé, réquisition et réorganisation de la société autour des besoins de santé et de solidarité, sont nos seules armes. Quant au médicament miracle, il n’existe pas. Le professeur Raoult a bien raison d’exiger de tester au plus vite pour mieux isoler les malades et porteurs sains. Mais malheureusement son traitement n’est pas miraculeux. Selon la revue indépendante Prescrire, parmi les 26 patients qui ont reçu l’hydroxychloroquine + azithromycine, trois ont été transférés en réanimation, et un patient est mort. On vous parle du pire… pour mieux l’éviter. Aujourd’hui nos luttes sont les seuls anticorps sociaux dont nous disposons.