Face au Covid-19, les trusts pharmaceutiques ont une stratégie : tester les anciens médicaments anti-viraux qu'ils ont déjà dans leur portefeuille ! Le temps et l'argent, voilà les deux raisons de ce choix.
Sortir un nouveau médicament coute près d’un milliard de dollars et prend beaucoup de temps, notamment en essais cliniques. Le temps, on aurait pu l'avoir si les alertes Sras (2002), Mers (2012), et Ebola 2013 avaient été entendues pour tester tous ces antiviraux. Mais elles n'ont pas été entendues. Marie-Paule Kieny, sous-directrice générale de l’OMS, en a avoué la raison pour la fièvre Ebola, qui est « typiquement une maladie de pauvres dans des pays pauvres, dans lesquels il n’y a pas de marché ». Seuls les militaires se sont intéressés à Ebola. Des crédits ont été débloqués dans le cadre de la lutte contre le bio-terrorisme par les USA. Mais aucun essai clinique n’a été effectué sur l’homme avec les molécules mises au point. Trop cher et pas rentable pour les trusts pharmaceutiques. Ce qui fait dire à Marie-Paule Kieny que « d’un point de vue technique, nous ne sommes pas en train de parler de choses extrêmement difficiles. C’est un échec de la société basée sur le marché, celui de la finance et des profits ».
Les manœuvres du laboratoire Gilead
Alors ce n'est qu’aujourd'hui, par exemple, que l'on teste le remdesivir, médicament apparemment le plus porteur d'espoir contre le Covid-19, un antiviral du groupe américain Gilead. Il fait aussi partie des essais Discovery (franço-européen) et Solidarity (OMS). Avant même de connaître son efficacité, la bataille financière est lancée. Pas étonnant pour qui connait le laboratoire Gilead, qui se permet de vendre 40 000 euros en France son traitement contre l'hépatite C, qui coûte seulement une centaine d'euros à produire ! Une téléconférence entre chercheurs fuite opportunément, vantant l'efficacité du remdesivir dans l'essai de Chicago. Le cours de l'action Gilead flambe de plus de 16%. Son PDG Daniel O'day affirme publiquement sa volonté de produire 500 000 traitement d'ici fin octobre, un million d'ici à la fin de l'année. Comme dans le même temps la firme demandait au gouvernement américain le statut de médicament orphelin, cela lui aurait permis une baisse des impôts et surtout l'exclusivité commerciale pour 7 ans pour son remdesivir. Un monopole légal qui faisait les délices de la Bourse. Et le malheur des malades du monde entier, privés de traitement par le prix ou le monopole américain de fait. Les associations de consommateurs et Bernie Sanders ont mené bataille contre ce privilège commercial, contradictoire avec l'urgence sanitaire, et Gilead a dû renoncer à demander ce statut de médicament orphelin.
Du côté de l’hydroxychloroquine
Les espoirs ont été douchés par la publication, dans The Lancet du 29 avril, des résultats complets d'un premier essai chinois sur 237 malades, en double aveugle contre placebo. Le remdesivir ne modifie pas la mortalité. Et la diminution du temps nécessaire à l'amélioration clinique des patientEs qui survivent nécessite une confirmation dans des études plus importantes. Pour faire face au plongeon de son action à la Bourse de New York de 4,3%, le PDG a expliqué qu'il fallait plus d'études pour pouvoir conclure. On attend la publication des autres essais, notamment du keletra, seul ou associé à l'interferon alpha, mais aussi de l'hydroxychloroquine, associée parfois avec l'azithromycine selon le protocole du professeur Raoult. Cependant la plupart des études internationales sur l'hydroxychloroquine, mais de bas niveau de preuve, sont au mieux non concluantes, au pire montrent un effet négatif sur les patientEs. La Suède, qui utilisait largement le traitement, et maintenant les responsables de santé étatsusiens, alors que Trump avait porté l'hydroxychloroquine aux nues mais n'en parle plus, déconseillent aujourd'hui explicitement l'utilisation de ce protocole, encore en cours d'étude dans l'essai Discovery.
Biens communs de l’humanité
Beaucoup de déception donc du côté des traitements. La leçon du retour des épidémies n'a pas été entendue par les trusts pharmaceutiques, qui ont refusé d'investir en recherche. Les crédits qu'ils y mettent aujourd'hui sont en fait le plus souvent des déplacements de crédits dans la lutte contre d'autres maladies virales, notamment le SIDA. Et les 45 millions d'euros fournis par la Banque européenne d’investissement (BEI) et l'Initiative pour les médicaments innovants (IMI) ne mentionne aucune garantie que des clauses d'accessibilité financière seront mises en place pour faciliter l'accès aux traitements, et n'empêche pas la délivrance de licences d'exploitation exclusives. Confier la production de médicaments au privé nous a déjà coûté un retard terrible face à l'émergence des nouveaux virus. Pas rentable. Demain, si un traitement se révèle efficace, contre la guerre des prix et la concurrence entre gouvernements pour se le réserver, il faudra exiger que ce traitement soit déclaré bien commun de l'humanité, sans droit de brevet, pour qu'il puisse être produit partout au coût le plus bas, et distribué gratuitement à tous ceux et toutes celles qui en auront besoin.