Le gouvernement utilise les déserts médicaux, les difficultés grandissantes à trouver un médecin, pour faire émerger une nouvelle organisation pour les médecins de ville : une médecine industrielle. Cela en rupture avec la politique traditionnelle qui se résumait à : « Augmentez vos revenus en faisant des dépassements d’honoraires (qui sont passés de 900 millions à 2,5 milliards d’euros), mais limitez vos prescriptions remboursées par la Sécu (arrêts de travail, médicaments) ».
La médecine libérale est à bout de souffle, notamment la médecine générale. À cause des politiques libérales, d’abord. Au nom du déficit de la Sécu, les gouvernements ont réduit le numérus clausus de 8 500 places en 1971 à 3 500 places en 1993, et préparé les déserts médicaux. Mais, plus fondamentalement, à cause de la nature même de la médecine libérale, isolée, solitaire, sourde aux déterminants sociaux de santé, peu portée vers la coordination des soins et la démocratie sanitaire qu’imposent une société plus éduquée, où les polypathologies chroniques imposent de mettre les patientEs, leur intelligence, leur pouvoir sur leur vie au centre des stratégies de soin. Avec sa liberté d’installation qui multiplie les effets de fuite devant la politique de métropolisation du capital, synonyme de fuite des services publics depuis les campagnes et les banlieues populaires. Avec son paiement à l’acte et ses dépassements d’honoraires.
La médecine comme centre de tri ?
Bien loin des discours sur l’accès aux soins de qualité pour touTEs que permettraient les maisons de santé pluridisciplinaire, la dernière séance de négociation conventionnelle (Caisse de sécu - syndicats médicaux) illustre bien les intentions du pouvoir. La Caisse nationale d’assurance maladie y développait la nécessité que les médecins, flanqués d’assistantEs médicaux (dont le nombre devrait en 3 ans monter à 4 000), voient en moyenne 6 patientEs par heure (10 minutes par patientE, contre actuellement, en moyenne, 15 minutes), et 12 patientEs par heure (5 minutes) pour les assistantEs médicaux… La médecine de ville, devenue ainsi centre de tri, suppose aussi nouveaux locaux, nouvelle organisation spatiale du travail, regroupements, investissements immobiliers. La naissance d’un secteur capitalistique, avec pharmacie en bas, location, par des sociétés immobilières de locaux aux médecins, qui pourraient encaisser à la chaine les honoraires. À l’image des centres « Plus belle ma vue », où une batterie d’orthoptistes examine les yeux des patientEs, reliés par internet à un ophtalmologiste en Espagne, en faisant des dépassements d’honoraires et en refusant la CMU !
Bien sur, les malades auront la « liberté » de payer plus, pour se payer un « vrai » médecin qui ne soit pas avare en temps d’écoute, d’examen. Mais seuls les « premiers de cordée » y auront accès. À la campagne, au bas des tours, une médecine capitalistique, à la chaîne, sans médecin, voilà l’avenir. La destruction du secteur psychiatrique l’illustre bien. La fin d’un service public de proximité de la psychiatrie, gratuit, c’est la fuite de ceux qui peuvent payer vers des psychiatres de ville déjà débordés, et l’abandon pour la majorité des patientEs.
À nous de défendre un autre horizon, un service public de santé de proximité, pluridisciplinaire, maillant tout le territoire, financé par la Sécu et géré par la démocratie sanitaire et pas l’austérité, prenant en charge les soins gratuits, la prévention, la permanence des soins, avec une formation indépendante des labos, où les différentEs intervenantEs médicaux auront autant de temps à consacrer aux patientEs qu’il en faut.
Frank Cantaloup