Publié le Dimanche 16 octobre 2016 à 07h26.

« Touche pas aux Bluets »

La maternité des Bluets ? Avant on l’appelait la « clinique des métallos ». Ouverte en 1947, elle se situait dans le 11e arrondissement de Paris, non loin du 94 de la rue Jean-Pierre-Timbaud, le local de la fédération CGT des métallurgistes, intégrée dans l’association Ambroise-Croizat qui gère aussi trois centres de rééducation professionnelle accueillant « des stagiaires en reconversion contrainte pour raison de santé ».

La maternité « historique » des Bluets, établissement de santé à but non lucratif, a déménagé en 2007 pour s’accoler à la maternité de l’hôpital Trousseau (12e arrondissement) créant de fait un pôle santé d’environ 7 000 naissances, dont 3 150 pour les Bluets avec en plus un planning familial (1 200 IVG), un service de chirurgie ambulatoire et d’assistance à la procréation (1 200 ponctions) et un centre de santé.

Crise de direction, mobilisation du personnel

L’exception « Bluets », sa singularité, tient aussi au fait que l’hôpital, qui a été fondé et géré par les Métallos-CGT depuis l’origine, est issue d’une longue bataille pour la reconnaissance d’une naissance dite sans douleur initiée par l’équipe du Dr Lamaze. Cette singularité n’a pas été facile à défendre alors que les équipes devaient faire face à une augmentation continue d’activité qui découlait de la mise en place de la tarification à l’activité dès 2008, et obtenaient, malgré tout, par deux fois la labellisation « Initiative Hôpital Ami des Bébés » en 2013 (moins de 30 maternités labellisées en France).

Dans le même temps, le manque de professionnalisme historique d’une direction issue du syndicalisme, dans un contexte de rigueur comptable, ont fragilisé économiquement l’hôpital et déstabilisé les équipes de direction. Ainsi, en 2012, la maternité a frôlé la cessation de paiement et un accord de sauvegarde lui a permis de rebondir et d’être labellisée une nouvelle fois.

C’est ce combat pour le maintien d’une naissance et d’un accueil à visage humain qui motive encore les équipes de l’hôpital à se mobiliser.

Depuis, cette instabilité s’est aggravée au sein du siège de l’association, où les présidentEs, les directrices ou secrétaires générales, responsables financiers, qualités, ressources humaines, etc. se succèdent entraînant dans les établissements une crise de gouvernance. Cette crise s’est soldée en avril 2016 par le départ précipité du directeur, cela à la demande de la direction générale de l’association à la veille d’une certification, et avec lui la sage-femme coordinatrice des soins.

Le personnel s’est tout de suite mobilisé en organisant des assemblées générales et des débrayages hebdomadaires d’avril à juin et en sollicitant les usagerEs par une pétition « Touche pas aux Bluets ». Et une tentative de la direction générale CGT de déclarer illégale la grève votée par l’assemblée générale, malgré le préavis déposé à l’initiative du syndicat Sud, a accru l’exaspération du personnel...

La maternité doit vivre !

Face à cette désorganisation, l’Agence régionale de santé (ARS) a été saisie, et le ministère a diligenté une enquête à l’Inspection générale des affaires sanitaires et sociales (IGASS) depuis juillet.

Une directrice issue d’un cabinet de conseil en gestion, qui n’a jamais travaillé dans le monde de la santé, a été nommée en urgence fin avril par les hautes instances de la CGT et avalisée par l’association, mais elle n’a pu empêcher la Haute autorité de santé (HAS) de décider de la non-certification de la maternité. Son rapport du 26 septembre est extrêmement sévère : il pointe le manque de formalisation, de validation avec les parties prenantes, d’orientations stratégiques, et note l’existence d’initiatives ponctuelles et informelles... Bref des patientes satisfaites grâce à une équipe sur le terrain qui travaille, mais non valorisée par une équipe de direction en crise.

Au ministère de la Santé, vu la résonance médiatique du dossier et des liens de l’association avec la CGT, on ne veut pas trop de vagues, donc pas de décision dans l’immédiat. On attend entre autres les résultats de l’enquête de l’IGASS. Ils devaient être rendus publics ce mois-ci, mais on parle maintenant d’un rapport rendu en décembre...

Pendant ce temps, les départs continuent au siège de l’association : quatre départs contraints de responsables (deux DRH comptable et qualité) en deux mois ! Mais à l’hôpital, l’annonce le 5 octobre dernier du départ de la chef de service déstabilise encore un peu plus l’équipe médicale qui a voté une motion de défiance vis-à-vis de la direction à la quasi-unanimité le même jour.

Le personnel réuni en assemblée générale le 27 septembre a signé largement une pétition (130 signatures sur 200 salariéEs). Celle-ci demande à l’association et à l’Agence régionale de santé d’Île-de-France de prendre ses responsabilités vis-à-vis de la gouvernance de l’association pour que les tutelles n’aient pas à suspendre provisoirement l’activité, car même si les équipes sont lessivées, elles assurent la continuité des soins.

Le personnel et les usagerEs se mobilisent encore pour que la fédération CGT des métallurgistes et les tutelles ne soient pas les fossoyeurs de ce savoir-faire qui fait, aujourd’hui encore et en pleine adversité, la réputation de l’établissement.

Correspondante