En 2020, l’épidémie de covid avait mis en pleine lumière les difficultés des hôpitaux et des personnels soignant·es. Masques en tissu, surblouses en sacs poubelles, services de réanimation surchargés… Le manque de moyens et de personnels sautait aux yeux et avait contraint le gouvernement à organiser en urgence le Ségur de la santé. Mais depuis, rien.
Il est loin le temps des applaudissements aux fenêtres ! Depuis, c’est le retour à l’anormal. Entre 2022 et 2024, le déficit des hôpitaux passait de 1,3 milliard d’euros (pire niveau depuis 2007) à 3,5 milliards. L’AP-HP (Assistance publique-hôpitaux de Paris), le plus gros groupe hospitalier d’Europe, était particulièrement touchée avec un déficit record de 460 millions d’euros, et un taux d’endettement de plus de 40%.
La situation des hôpitaux s’aggrave
Le budget ne s’est pas adapté à l’inflation et n’a pas compensé les augmentations du Ségur de la santé en 2021. La tarification à l’activité, en place depuis 2004, condamnait les hôpitaux à s’enfoncer dans le déficit et à courir après la rentabilité. Chaque année, les tarifs attribués à chaque acte tendent à diminuer alors même que leur coût réel augmente. Cela pousse les hôpitaux à faire toujours plus, à augmenter leur nombre d’activités pour conserver un budget équivalent. Il existe par ailleurs une disparité des tarifications entre les actes. Les hôpitaux se retrouvent le plus souvent à prendre en charge les actes qui « valent moins » là où les cliniques privées sont plus favorisées. En 2014, le rapport de la cour des comptes exposait les effets de cette politique sur les maternités et parlait de « sous-financement structurel des maternités qui ne peuvent trouver un équilibre qu’à partir de 1 100 à 1 200 accouchements par an en raison d’une déconnexion ancienne des tarifs et des coûts réels ». De fait, les plus petites structures ferment les unes après les autres, 33% des maternités ont fermé entre 2001 et 2021. En 50 ans, entre 1972 et 2022, 75% des maternités ont disparu, alors que dans le même temps le nombre de naissances en France n’a baissé que de 20%.
Et la situation n’est pas près de s’arranger puisque le budget de la sécurité sociale se voit amputer de 83 milliards par les exonérations fiscales. Ainsi, il ne couvre jamais les besoins réels. Pour 2025, l’ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie) devrait augmenter de 3,3% là où les directions des hôpitaux disent avoir besoin au minimum d’une augmentation de 6% pour sauvegarder l’existant.
Les conséquences sur les structures de santé
Ce manque de moyens structurel se répercute sur les patients, les soignant·es, le matériel… Car la seule façon pour un hôpital de se maintenir à moyens constants est d’augmenter le nombre d’actes de soin tout en diminuant les dépenses, par exemple, en raccourcissant les séjours d’hospitalisation au profit des hospitalisations à domicile (HAD) ou en fermant les services jugés moins rentables, en bloquant les embauches, en supprimant des postes et en fermant des lits…
En 10 ans, presque 44 000 lits ont ainsi été fermés, dont 17 000 rien que sur la période post-covid. Pour les lits restants, le taux d’occupation augmente, pas question d’avoir un lit vide pendant une journée ! Cela conduit à la surcharge des services d’urgences. En effet, lorsqu’un patient se présente aux urgences et doit être hospitalisé, il doit attendre qu’un lit se libère, cela peut durer plusieurs heures voire des jours entiers. Or les urgences ne sont pas adaptées pour garder des patients sur de longues durées, elles ont un rôle d’orientation et de prise en charge aiguë. Cela a des conséquences dramatiques à la fois de surcharge des urgences avec du personnel qui doit donc prendre en charge des patients qui devraient être hospitalisés tout en continuant le travail d’accueil des urgences, et à la fois des patients qui subissent une énorme perte de chances. La psychiatrie est particulièrement concernée : en février 2024 à Toulouse, un patient s’est suicidé après avoir passé 10 jours sur un brancard aux urgences. Pour les personnes âgées, une nuit passée sur un brancard augmente de près de 40% le risque de mortalité. C’est aussi dans ce contexte que se produisent parfois des drames, comme ce jeune de 25 ans qui est décédé d’une septicémie à l’hôpital d’Hyères en décembre 2024.
Les hôpitaux n’ont plus la souplesse nécessaire à la prise en charge d’afflux de patients. Cela signifie que dès qu’il y a une variation de prise en charge, les urgences sont surchargées — et les conséquences sont désastreuses. C’est comme cela qu’une grippe saisonnière un peu plus forte que d’habitude a entraîné plus de 97 hôpitaux à déclencher des plans blancs afin de rappeler du personnel et de reporter les interventions les moins « urgentes ». Si la situation continue de se dégrader, chaque saison verra bientôt son lot de plans blancs : plans blancs pour les jambes cassées des vacances d’hiver, plans blancs pour les insolations d’été… L’exceptionnel deviendra régulier.
Les conséquences sur les soignant·es et les patient·es
Le manque de moyens a aussi des effets sur le personnel et la qualité des soins : glissements de tâches pour s’entraider entre collègues, brancardages de patients lourds par une seule personne, diminution des soins de nursing, retard de prise en charge, erreurs… Impossible dans ces conditions d’assurer des soins de qualité et les professionnels s’épuisent.
Difficile de continuer à travailler dans ces conditions. En 2023, une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) mettait en lumière que, dix ans après le début de carrière, une infirmière sur deux seulement exerce encore son métier dans un hôpital. En 2022 l’Ordre national infirmier notait que pour 88% des infirmières « les conditions d’exercice sont devenues plus difficiles que par le passé ». Chez les infirmières et les aides-soignantes, 1 personne sur 5 souffrira de burn-out dans les 5 ans après le début d’exercice. En tout, il manquerait en France 100 000 infirmières et aides-soignantes, mais c’est un cercle vicieux : les difficultés à embaucher des soignantes sont d’autant plus grandes que les conditions de travail ne sont pas satisfaisantes.
À ces conditions de travail difficiles se cumule le manque de reconnaissance tant par les directions des hôpitaux que par le gouvernement. L’hôpital d’Abbeville, par exemple, a trouvé une solution pour le moins brutale pour faire des économies : ne plus payer les heures supplémentaires réalisées par les soignant·es. Ainsi, les organisations syndicales parlent de 70 000 heures supplémentaires qui n’auraient pas été rémunérées. La proposition, aujourd’hui abandonnée, du gouvernement Barnier de passer à 3 jours de carence relevait carrément d’une forme de « fonctionnaire bashing » consistant à faire croire que les difficultés rencontrées seraient uniquement dues aux arrêts maladies des collègues ! La nouvelle version du PLFSS prévoit toujours de diminuer de 100% à 90% la prise en charge de ces arrêts maladie, mais à l’hôpital les soignant·es sont particulièrement exposé·es non seulement au risque contagieux mais aussi au risque d’accidents et de maladies professionnelles.
Malgré les difficultés, les luttes des soignant·es se multiplient
C’est dans ce contexte qu’un ras-le-bol légitime s’exprime de plus en plus, avec souvent la même revendication qui revient : des bras, des lits ! Ainsi, les soignant·es de l’hôpital d’Abbeville (80) se sont mis en grève le 6 janvier, notamment car certains services ne tournent qu’avec 3 soignant·es pour 45 patients. À Villeneuve-Saint-Georges (91), pour alerter contre le manque de personnels et suite au décès d’une patiente, le service des urgences s’était lui aussi mis en grève. Au bout de 11 jours, les collègues ont d’ailleurs obtenu la totalité de leur revendication : créations de postes d’infirmier, d’aide-soignant, d’agent d’accueil, d’une coordinatrice pour le parcours aux urgences et la fin des 48 heures de carence pour le remplacement en heures supplémentaires pour toutes les catégories professionnelles. Même chose à Longjumeau (91), en grève illimitée depuis ce mercredi 5 février, où les soignant·es des urgences réclament une infirmière et une aide-soignante supplémentaire. À l’hôpital gériatrique Émile-Roux (94) il manque des centaines de lits et de personnels et les soignant·es sont en grève depuis plusieurs jours pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. À Morlaix (29), les soignant·es dénoncent le manque de lits, alors que 21 patients dorment dans les couloirs des urgences. À Beaujon (92), dont le projet est de fusionner avec l’hôpital Bichat, les soignant·es ont fait grève plusieurs semaines afin d’obtenir des postes et du matériel supplémentaires. Parfois, ce sont les travailleuses de la société externe de l’hôpital qui se mettent en grève, comme à l’hôpital Tenon en décembre 2024, où les agentes assurant l’entretien se sont mises en grève pour demander à avoir deux jours de repos hebdomadaires au lieu d’un seul.
Les femmes assignées aux métiers du care et à leurs conditions épouvantables
En bref, les grèves se multiplient partout, mais sont toujours sectorielles, portées par un ou deux services (urgences, stérilisation, brancardage…) tout en peinant à se construire au-delà des équipes syndicales. Dans ce secteur très féminisé de la santé, où le travail est souvent organisé en 12 heures par jour, faire grève est souvent difficile. Dans la plupart des services de soin, la situation est telle que tout le monde est systématiquement assigné car le personnel prévu constitue déjà le service minimum. Cela joue un rôle d’autant plus important que les femmes, qui constituent 80% des soignant·es, sont particulièrement incitées à être dans le care et à s’investir d’autant plus auprès des malades. Dans ce cadre, les collègues culpabilisent de « laisser » les collègues et les patients, ce dont l’encadrement profite en invoquant la « responsabilité individuelle » de chaque soignante.
Il y a urgence à agir pour la défense de l’hôpital, pour la santé de tous et toutes, cela doit passer par le renforcement des équipes syndicales sur place, et la construction de collectifs de lutte localement ! Cela passera aussi par la reconstruction de liens à l’hôpital entre les travailleuses : agentes d’entretien et de nettoyage, aide-soignantes, infirmières, secrétaires médicales, techniciennes de labo, brancardières… c’est toutes ensemble qu’on va gagner !