Marion Montaigne, présidente du jury du 47e festival d’Angoulême, avait annoncé la couleur dès le 17 janvier : pas d’opération « BD2020 » sans revalorisation de la situation sociale des auteurEs. Les dessinateurEs, scénaristes, coloristes et l’ensemble du secteur organiseraient une grève et une manifestation pendant le festival, le vendredi 31 janvier.
Personne ne pouvait alors prévoir que Macron lui-même allait donner un sacré coup de pouce à la mobilisation des auteurEs et à la convergence des luttes.
Acte 1, mercredi 29 janvier, ça commence fort !
Traditionnellement, le mercredi est réservé à la profession et à la presse, ainsi qu’à la proclamation du Grand Prix de l’année en soirée, cérémonie qui ouvre officiellement le festival d’Angoulême1. Tout le déroulement de la journée est plus ou moins calé sur les heures d’arrivée des TGV et autres trains. Petit problème cette année car il y avait grève interprofessionnelle contre le projet de réforme des retraites et que, contrairement à la propagande gouvernementale et des médias, les travailleurEs sont toujours mobilisés, les cheminotEs en particulier. Perturbations dans le trafic ferroviaire et grosse manifestation devant la gare d’Angoulême allaient donner le ton à la journée et permettre à quelques auteurEs d’être solidaires du mouvement entamé le 5 décembre tout en réfléchissant à la visite de Macron annoncée pour le lendemain.
Acte 2, jeudi 30, Macron et Riester se font piéger plusieurs fois !
Dès mercredi soir, les horizons charentais bleuissaient avec l’installation de plus de 2 000 CRS et autres gendarmes mobiles. Jeudi matin, l’ambiance était électrique et Angoulême divisée en deux par le dispositif policier qui visait à interdire le « plateau » (la vieille ville) aux manifestantEs venues de l’extérieur d’Angoulême, et à sécuriser les rives de la Charente où se situent le CNBDI, le vaisseau Moebius, le Musée du papier ainsi que le lieu où Jupiter comptait déjeuner en compagnie de quelques auteurEs et -responsables du festival.
À midi, les auteurEs invités par Macron lui préparaient une petite surprise en lui offrant un tee-shirt « BD2020 » devenu « LBD2020 » avec le symbole graphique (un chat) éborgné. Un peu pâle et le sourire contraint, Macron ne put jeter l’œuvre de Jul et la montra devant les caméras. Depuis, la photo fait le buzz et tous les syndicats de policiers hurlent au scandale pour notre plus grand plaisir.
Un peu avant 13 heures, des milliers de manifestantEs, dont des auteurEs, se tassaient sur le parvis de l’hôtel de ville et empêchaient l’intervention de Franck Riester, ministre de la Culture, puis la déambulation en centre-ville prévue par Macron. En milieu d’après-midi les manifestantEs se retiraient. Certains (CGT, FSU, Gilets jaunes) étaient venus de Poitiers, Niort, La Rochelle, Marennes. Une belle réussite !
Macron ne put franchir les remparts pour se rendre au théâtre qu’après 18 heures. Le dispositif policier aura quand même empêché des milliers de visiteurEs de parcourir les bulles et expositions. Merci Macron pour les recettes du festival !
Acte 3, vendredi 31, grève et manifestation historique des auteurEs
Débarrassé de la horde à Macron, le festival faisait le plein de visiteurEs vendredi. Quelques jours auparavant et dans le cadre de BD2020, le ministère avait enfin sorti son rapport (dit rapport Racine) sur la situation des auteurEs, toujours plus précaires alors que le secteur connaît une croissance annuelle à deux chiffres. Le rapport est accablant sur la situation des auteurEs qui, avec humour, l’ont parodié sous le nom de « 2020 année de la bande décimée ». Les autorités publiques reconnaissent qu’il y a urgence à intervenir pour améliorer la situation des créateurEs : reste à prendre des mesures ! Mais dans la BD comme ailleurs, rien ne se fait sans rapport de forces, et les auteurEs l’ont magnifiquement fait savoir en organisant une grève et une manifestation qui fera date.
« Donnez nous des BD, pas des LBD » : à 16 h 30, une écrasante majorité des auteurEs ont posé leurs crayons et quitté leur stand sous les différentes bulles pour converger vers la place Hergé, se regrouper, diffuser du matériel, tandis qu’un groupe de théâtre improvisé par des enseignantEs en grève d’Angoulême donnait une représentation de convergence des luttes très applaudie. Rejointe par des centaines de sympathisantEs, c’est une manifestation de 1 500 personnes (dont le NPA 16) qui se sont dirigés vers l’hôtel de ville où les auteurEs ont tenu une assemblée avec promesse de continuer -collectivement leur mouvement.
La BD a donc montré tout son potentiel de contestation et de mobilisation dans le cadre du plus grand festival du monde, dont l’équipe d’animation a su faire ce qu’il fallait pour que tout se passe bien et que les auteurEs puissent espérer voir leurs revendications avancées et satisfaites.
Mais et le festival, les expositions, les prix dans tout ça ? Eh bien, ce fut également grandiose (voir notre article p. 10).
- 1. Emmanuel Guibert a reçu le Grand Prix 2020, voir notre article page 10.