Publié le Lundi 9 juin 2025 à 19h30.

Au Yémen, le soulèvement des femmes

C’est par milliers que les femmes yéménites sont descendues dans les rues ces dernières semaines.

Elles ont exigé de l’eau, de l’électricité, un meilleur niveau de vie, le paiement des arriérés de salaires, l’amélioration des conditions d’enseignement, ou encore l’arrêt de la généralisation de l’armement et des poursuites contre les auteurs de corruption.

Une révolution des femmes

Ce mouvement n’est pas né de rien. Il y a des années que des groupes de femmes descendent dans la rue de façon sporadique pour exiger eau ou électricité, dans le cadre plus large de mouvements de protestation essentiellement masculins. Pour ne citer que ces dernières : les femmes d’Arrawa (gouvernorat de Abyan) pour l’eau en 2017, d’Aden pour l’eau et électricité, de Mukalla (gouvernorat de Hadramaout) pour l’électricité et des emplois en 2020, de Maareb pour de l’eau et des médicaments en 2021, de Qaataba (gouvernorat de Dali) pour l’eau en 2022, et de Seiyoun (gouvenorat de Hadramaout) pour l’électricité et des écoles en 2024. Mais l’exacerbation des problèmes économiques, les incessantes manifestations de leurs pairs pour les mêmes revendications – sans résultat sinon des affrontements et de la répression, avec arrestations parfois assorties de torture, avec des morts ou blessés par balles – ont poussé les femmes à s’affirmer comme une force pouvant diriger ce que d’aucunes ont déjà appelé la « révolution des femmes ».

Un mouvement politique mais pas partisan

Le vague de protestation a commencé à El Hawf (gouvernorat de Al Mahra) le 5 mai quand des femmes ont bloqué le poste frontière de Sarfit avec le Sultanat d’Oman, pour exiger de l’électricité. Puis le mouvement s’est étendu à El Houta et Zinjibar (gouvernorat de Lahij), Chakra (gouvernorat de Abyan), Taiz ou Aden. Les femmes parfois accompagnées de leurs enfants, où munies de bouteilles d’eau vides, de vieilles lanternes ou encore de bois de chauffage, ont manifesté, et ce, à plusieurs reprises à Taezz et Aden.

Les femmes ont tenu à se démarquer de toute politisation (partisane) afin d’unifier les femmes autour de leurs revendications, quelle que soit l’autorité en place, mais ont tenu à souligner le caractère politique de leur démarche. Les pancartes ou les slogans le révélaient : « il n’y a pas une crise de l’eau à Taiz, mais une crise de la conscience » ou ceux appelant à « poursuivre les corrompus » et le slogan historique « le peuple veut une vie digne » (El Houta).

Des miettes et de la répression

En face, il y a eu un double mouvement. À Aden et à El Houta les autorités ont alimenté davantage les centrales électriques en carburant, afin qu’elles fournissent des heures supplémentaires de courant. Mais lors de la manifestation du 24 mai à Aden, des miliciens ont bloqué les routes menant à la place du rassemblement et des milices féminines ont été déployées pour dissuader les manifestantes et les ont agressées violemment. Et au lendemain de la manifestation du 31 à Aden encore, des barrages filtrants étaient en place dans les rues et les chauffeurs de bus ne pouvaient plus embarquer de passagères. À l’exception de la région contrôlée par les Houthis où les Zaynabia, une milice féminine, ont été déployées à titre dissuasif, les femmes continuent malgré la répression. Ainsi, le 6 juin, elles s’étaient donné rendez-vous à l’issue de la prière de l’Aïd El Adha au stade Hubaishi à Aden pour une nouvelle manifestation pour exiger du courant électrique.

Luiza Toscane, le 6 juin 2025