Virage, accélération, tournant ? Le débat sur la politique de Hollande et du gouvernement Ayrault est clos : il s’agit d’une sortie de la route de gauche, une embardée sans retour dans les ornières fréquentées par la droite, les libéraux et le Medef.
La trajectoire était bien annoncée depuis le début du quinquennat avec le Pacte de compétitivité de Gallois : « Les circonstances de la Deuxième Guerre mondiale et de la Libération, avaient permis d’élaborer en 1946 un pacte qui a permis les "Trente glorieuses". Chacun sent aujourd’hui que ce pacte négocié il y a 60 ans est à bout de souffle, qu’il ne fonctionne plus et qu’il "fossilise" le dialogue social. Il faut en bâtir un nouveau. Trois concertations ou négociations majeures sont menées simultanément. La concertation sur le financement de la protection sociale, la négociation sur les Institutions représentatives des personnels (IRP), celle, enfin, sur la sécurisation de l’emploi. Ces trois processus constituent un ensemble d’où peut justement émerger ce nouveau pacte. »II s’agissait d’un cynique plagiat du credo affiché par le n°2 du Medef en 2004, Denis Kessler : « La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. (…) Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »La seule nouveauté réside dans le fait que la mise en œuvre de ces attaques est l’œuvre d’un gouvernement de « gauche ».
Un OVNI juridique inacceptableLa principale disposition du Pacte de responsabilité annoncé en janvier était la suppression complète des cotisations des entreprises à la branche famille de la Sécurité sociale, soit 30 milliards d’euros, avec l’ouverture d’une négociation sur « des contreparties claires, précises, mesurables, vérifiables (…) des emplois prioritairement pour les jeunes et les seniors ».La nouvelle journée de négociation du mercredi 5 mars fut une sinistre farce. Les directions des confédérations CFDT, CFTC, CGC ont signé avec le Medef un « relevé de conclusions » qui prévoit « d’ouvrir des discussions en vue d’aboutir à un relevé de conclusions signé, ou des négociations en vue d’aboutir à un accord, précisant des objectifs quantitatifs et qualitatifs en termes d’emploi »... Gattaz avait bien prévenu, il n’y a pas de contreparties !Les modalités seront présentées fin mars et le débat au Parlement aura lieu fin juin. Le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), premier cadeau de 20 milliards d’euros aux entreprises, serait maintenu. La baisse de 50 milliards en trois ans de la dépense publique est aussi maintenue. Les exonérations de la part patronale des cotisations sociales, pour un montant de 10 milliards d’euros, s’ajouteraient au CICE et concerneraient la quasi-totalité des cotisations de Sécurité sociale : étendues dès 2015 aux salaires entre 1,75 Smic (2 530 euros) et 2,1 Smic (3 030 euros), les employeurs n’auraient plus à verser la part patronale pour l’énorme majorité des salariéEs, jusqu’à 90 % d’entre eux, entraînant à terme un assèchement total des cotisations sociales.
Se mobiliser pour gagnerSi l’ampleur des attaques fixe le niveau de la riposte à construire, il faut aussi tirer les leçons des mobilisations sur les retraites, où les journées d’action successives et éclatées dans le temps n’ont pas été efficaces, et la bataille perdue. Le fait que les attaques soient portées par un gouvernement dit de gauche, avec le soutien d’une partie des directions syndicales, constitue une difficulté supplémentaire.Cette mobilisation devra s’appuyer sur l’ensemble du mouvement social, syndical, associatif, politique, sur celles et ceux qui refusent toute la logique du Pacte de responsabilité et sont décidéEs à s’engager dans cet affrontement avec le patronat et un gouvernement. Seul le blocage de l’activité économique pourra faire reculer le pouvoir et les possédants, et nous devons nous fixer comme objectif la grève générale.À l’appel de CGT, FO, FSU et Solidaires, la mobilisation du 18 mars constitue une première étape importante, même si l’appel maintient des ambiguïtés en n’appelant pas clairement au retrait du Pacte et au refus de toute négociation. La construction de la journée de « révolte du gauche » du 12 avril doit s’ancrer dans cette journée, et être la prochaine étape d’une confrontation avec ce gouvernement qui n’obéit qu’à la droite et au Medef tout en renforçant l’extrême droite.Il faut tout mettre en œuvre pour que, le 18 mars, les débrayages, les grèves, soient nombreux, les cortèges massifs et combatifs, pour que cette journée soit le point de départ d’un élargissement de la mobilisation.
Robert Pelletier