C’est donc un samedi après-midi, en catimini, après un Conseil des ministres extraordinaire consacré à l’épidémie de coronavirus, qu’Édouard Philippe a annoncé que le gouvernement aurait recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter, sans vote, son projet de loi sur les retraites. Une méthode à l’image d’un gouvernement qui ne recule devant rien pour faire passer, coûte que coûte, sa politique de casse sociale, quitte à verser toujours davantage dans l’autoritarisme.
Cela faisait plusieurs jours que le gouvernement préparait les esprits au recours au 49.3, avec la multiplication des déclarations contre « l’obstruction parlementaire » que pratiqueraient notamment les députéEs PCF et LFI, et avec les jérémiades permanentes des petits soldats de la Macronie faisant la tournée des plateaux TV pour expliquer que quelques dizaines d’heures de discussion sur l’avenir de dizaines de millions de salariéEs, c’était trop pour eux.
La réalité est que le 49.3 est toujours un moyen autoritaire, particulièrement antidémocratique, de faire passer en force une loi. Il s’agit de limiter les débats parlementaires, déjà en procédure « accélérée » dans le cas des retraites, ce qui n’avait aucun sens pour une telle réforme structurelle. Il s’agit aussi, en appuyant sur l’accélérateur, de limiter les possibilités des mobilisations sociales, en faisant le pari d’une moindre motivation à se mobiliser contre une réforme déjà adoptée.
Un gouvernement lié à sa contre-réforme
Le gouvernement, en engageant sa responsabilité devant un vote de confiance dans les jours suivants, a donc fait le choix de mettre tout son poids dans la balance, en liant son existence à sa contre-réforme des retraites. Un pari audacieux, tant l’opposition à son projet de loi est forte, et aussi dans la mesure où ce choix fait écho à la perception qu’ont des millions de salariéEs dudit projet de loi. Car ce n’est pas seulement pour nos retraites que nous nous battons mais aussi, comme cela est dit et répété dans les manifestations, « contre Macron et son monde ». Avec le recours au 49.3, le pouvoir s’enferme donc dans l’épreuve de force en nous disant : « Pour obtenir le retrait du projet de loi, il faudra faire tomber le gouvernement ».
Message reçu cinq sur cinq, avec des rassemblements dans tout le pays dès le samedi soir, parfois violemment réprimés. L’intersyndicale, qui avait fait le – mauvais – choix de suivre le calendrier institutionnel en appelant à une tardive journée de mobilisation le 31 mars, sans étape pour la construire, a été contrainte d’accélérer le rythme en annonçant des journées de manifestation cette semaine. Hasard du calendrier – ou pas, FO et la CGT ont ensuite claqué la porte de la conférence de financement, la CGT indiquant qu’elle « ne servira[it] pas d’alibi dans une conférence où tout est joué d’avance ». Mardi, alors que les motions de censure étaient déposées à l’Assemblée, ce sont de nouveau des dizaines de milliers de personnes qui manifestaient aux quatre coins du pays. Preuve, s’il en fallait une, que la partie est loin d’être gagnée pour le gouvernement et que la disponibilité et la combativité sont toujours là.
Un mois de mars de luttes
La manœuvre est d’autant plus détestable qu’elle a lieu au moment même où le pouvoir tente de jouer la partition de l’« union nationale » face à l’épidémie de coronavirus, en appelant tout le monde à la « responsabilité » et au « sens républicain ». L’épidémie inquiète, et on peut le comprendre au vu des nouvelles informations qui nous parviennent chaque jour, a fortiori lorsque l’on sait que l’hôpital public, délaissé et maltraité depuis tant d’années, n’est, de l’aveu même de nombreux médecins et personnels hospitaliers, pas en mesure de faire face (voir page 12). Et sur ce dossier comme sur tant d’autres, le gouvernement apparaît comme ce qu’il est réellement : une bande de technocrates, hors sol et autoritaires, en qui on ne peut avoir aucune confiance.
Le mois de mars va être chargé, avec de nombreuses dates de mobilisation et les incertitudes liées au développement de l’épidémie de coronavirus et à ses possibles conséquences. Une chose est toutefois certaine : les occasions de dire au pouvoir ce que nous pensons de lui et de ses politiques vont être nombreuses, et il s’agit de nous en saisir. À partir du 5 mars, avec les facs et les labos en lutte ; le 8 mars, à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes ; le 14 mars, avec un important rendez-vous des Gilets jaunes, les marches climat et les manifestations contre les violences policières ; le 21 mars, avec la marche des solidarités. Toutes ces dates sont autant de moments pour faire vivre et entendre la colère sociale, pour entretenir et amplifier le climat de contestation, pour construire le rapport de forces, sur fond d’élections municipales qui s’annoncent déjà comme une défaite en rase campagne pour la Macronie.
La perspective du 31 mars, nouvelle journée de grève interprofessionnelle, peut paraître lointaine. Mais avec le choix assumé de l’épreuve de force, la colère et la détermination toujours bien présentes, et les multiples occasions de se retrouver pour s’organiser, se lier, se faire entendre, le 31 mars peut être tout autre chose que le « baroud d’honneur des opposantEs à la réforme des retraites » dont certains rêvent. Et c’est dès maintenant, dans la rue, dans nos quartiers, sur nos lieux de travail et d’études, que cela se joue.