Publié le Dimanche 10 octobre 2010 à 10h52.

Normicides

Certaines expressions dans le langage courant empoisonnent vraiment l’existence. Par exemple, qui n’a jamais dit « pas la peine de crier, je suis pas sourd » ? Et du coup, quand ils parlent à une personne qui entend mal, la plupart des gens se sentent obligés de brailler. Pourtant, quoi de plus énervant que quelqu’un qui se déforme le visage en articulant exagérément et en hurlant ? Le mouvement des lèvres étant déformé, on n’y comprend plus rien. En revanche, rien ne nous échappe au cours de cette visite buccale imposée qui ne présente que l’intérêt de se rendre compte si la glotte vibre. Car dans ce cas, on peut en conclure que la personne parle trop fort et qu’on va sérieusement se faire remarquer d’une minute à l’autre. Autre cliché qu’on ne manque jamais de nous envoyer à la figure : « Ah ! T’es sourde ? T’es muette aussi, alors ? » Eh non, encore raté ! Non seulement je ne suis pas muette mais je parle plusieurs langues dont celle des signes. La déficience auditive est propre à chacunE. On peut être néE ainsi ou la voir s’installer au cours de notre vie. Tout comme il existe des châtain clair ou chatain foncé, avec des reflets roux, auburn ou aucun, les niveaux de surdité sont variables. Et comme la plupart des personnes qui souffrent de surdité, je ne suis pas complètement sourde, j’entends à ma façon. Donc, pas la peine de crier. Non seulement vous vous abîmez les cordes vocales pour rien, mais vous allez réussir en plus à me filer mal au crâne. Si je n’entends pas l’avion qui passe tout près, j’entends la chasse d’eau qui fuit. Je n’entends pas qu’on m’appelle mais j’entends les ricanements. La musique me fait vibrer mais pas les paroles – sauf si j’ai le texte sous les yeux. Eh oui, car en plus, je sais lire ! Alors merci de ne pas casser le décodeur en faisant des grimaces ridicules.Et ce n’est pas la peine de crier : je suis sourde.CherE lecteur-lectrice, si toi aussi tu en as marre qu’on voie ton nez au milieu de ta figure, si tu ne veux plus culpabiliser quand tu ouvres ton frigo ou que tu oublies la fête des mères, bref si tu as repéré une norme qui te pourrit l’existence, ton témoignage est le bienvenu. Si en plus tu as adapté le piège à ours à cette nouvelle chasse ou inventé un nouveau miroir aux alouettes, contacte la rédaction de Tout est à nous ! qui se chargera de sa (re)production à grande échelle. Toi aussi devient unE serial norm killer-euse.