Publié le Vendredi 28 septembre 2012 à 10h27.

Stop ou encore Charlie ?

L’hebdomadaire «Charlie Hebdo », gâté par le succès de vente de son numéro surtout consacré aux caricatures du prophète de l’islam, paru la semaine dernière (le troisième depuis 2006), veut « remettre ça ».Pour cette semaine, il annonce la sortie de deux numéros proposés alternativement au consommateur. Le premier, intitulé « numéro responsable », est doté d'une couverture entièrement blanche, censée représenter l’autocensure.

Le second numéro montre en Une un homme des cavernes tenant une torche en feu dans une main et un bol d’huile dans l’autre, illustrant l’idée de « jeter de l’huile sur le feu ».Le journal, à tendance libertaire et gauchiste dans les années 1970 mais beaucoup affadi depuis, répond ainsi aux critiques qui lui en voulaient d’intervenir dans la polémique déclenchée par le film nord-américain The innocence of muslims. Un film que les dirigeants de l’hebdomadaire satirique qualifient d’ailleurs eux-mêmes de « con » (dessin de Charlie Hebdo du 19 septembre), voire de « facho » (Charb, son rédacteur en chef, cité par Direct Matin).L’affaire soulève quelques questions de fond, et il faut se méfier des approches trop générales, fondés sur des grands principes abstraits. La défense abstraite de la « liberté d’expression » en toute circonstance, dans une version quasi-intégriste telle qu’elle existe officiellement aux États-Unis, n’est pas un point de vue que nous pourrions faire nôtre. De l’autre côté, il serait tout aussi faux de soumettre la liberté d’expression à une exigence absolue de « respect » devant les pensées religieuses, au nom d’un respect dû à toutes les cultures.Accepter cela reviendrait à réintroduire de fait le délit de « blasphème », constitué par l’« injure faite à Dieu », un délit qui a été supprimé en France – pour de très bonnes raisons – en 1791 sous la Révolution française. D’ailleurs, le fait que la catholique réactionnaire Christine Boutin se trouve parmi les premiers plaignantEs contre Charlie Hebdo n’est, à cet égard, pas un bon signe.De l’autre côté, les motifs de ceux qui saluaient - parfois bruyamment - la publication des caricatures n’étaient pas toujours très positifs, non plus. Selon un sondage de l’institut CSA, alors que la société française serait divisée sur la publication des caricatures, la plus forte approbation existerait dans les électorats respectifs du Front national (76 %) puis du Front de Gauche (64 %). Les motivations sont, bien entendu, parfaitement contradictoires : anticléricalisme dans le second cas, envie de « faire ch… les musulmans » au maximum, dans le premier. Cela montre, cependant, sur quel terrain miné est placé ce débat.Ainsi, la décision du journal Charlie Hebdo est critiquable sur le fond, sans qu’elle justifie aucune demande de censure, voire d’interdiction du « blasphème ». La liberté d’expression doit cependant appartenir à tous et à toutes. Cela est vrai aussi pour les musulmanEs qui souhaiteraient exprimer pacifiquement leur désapprobation des caricatures. L’interdiction générale de manifester à ce sujet, proclamée par le chef de gouvernement Jean-Marc Ayrault lui-même dans la presse, lundi 17 septembre, est ainsi inacceptable.À Marseille, samedi 22 septembre, on comptait soixante CRS pour… un manifestant unique. À Paris, place du Trocadéro, le même jour, des personnes furent interpellées pour leur seule « apparence musulmane », alors que se trouvaient parmi elles des touristes marocaines qui n’avaient aucun projet de manifester. Un tel délit de faciès est parfaitement insupportable.Bertold du Ryon