Publié le Mardi 13 novembre 2018 à 10h33.

Lettre à Lutte ouvrière à propos des prochaines élections européennes

À la suite de plusieurs rencontres avec LO à propos des prochaines élections européennes, nous avons convenu d'écrire aux camarades sur comment nous voyions la campagne qui pourrait être commune.

 

Cher·e·s camarades,

Nous avons décidé lors de notre CPN de juin dernier de vous proposer d’ouvrir des discussions en vue d’une liste communes de nos deux organisations pour les élections européennes de mai prochain (comme cela s’est déjà fait entre LO et la LCR à plusieurs reprises). Si l'on compte notre débat commun à l'université d'été du NPA, nous en sommes à quatre rencontres, et une prochaine est prévue le jeudi 8 novembre.

Ce choix, de notre part, repose sur une analyse des rapports de forces politiques actuels. La poussée réactionnaire donne à nos deux organisations des responsabilités pour oeuvrer de concert à contrer les idées xénophobes et racistes qu’elle véhicule.D’autre part ces élections seront le premier test politique après deux ans de pouvoir de Macron, deux années d’offensive généralisée contre les droits du monde du travail et de la jeunesse auxquelles nos organisations ont chacune de leurs côtés essayer de contribuer à faire face.

Dans ce contexte une liste commune pour faire entendre une voix anticapitaliste et internationaliste des révolutionnaires nous paraît un signal important d’une volonté d’unir les forces plutôt que de les éparpiller. Nous sommes convaincus qu’une telle liste pourrait constituer un point d’appui pour les équipes militantes avec lesquelles nous nous retrouvons dans la rue pour résister aux attaques de ce gouvernement.

Nous nous réjouissons de la réponse positive que vous avez donnée à notre proposition d’ouvrir des discussions. Nous avons fait, au cours des rencontres précédentes, le tour de la plupart des questions qui se posent à nous, points d’accords, points de divergences, de fond ou de formulation. Il est temps d’en faire le bilan et d’aller plus avant dans la discussion de ce que nous pourrions défendre ensemble dans ces élections européennes. Et comment. 

Car si  des désaccords subsistent, nous considérons que, dans le cadre d’une campagne électorale, il est possible de les dépasser.

 

Bilan de nos désaccords et débats

Le premier désaccord concerne le positionnement par rapport aux institutions européennes. En particulier dans le cadre d’élections européennes, nous insistons sur les éléments de rupture avec celles-ci. Cela parce que dans le cadre de la crise, les revendications sociales se confrontent au cadre d’exploitation capitaliste dont les traités et les institutions européennes sont garants, et qu’aucune politique émancipatrice ne pourrait être menée dans un tel carcan.Sans être d’accord avec ce point de vue, vous avez exprimé un accord sur le fait de dénoncer l’Union européenne comme un outil pour les bourgeoisies et les puissances impérialistes. 

Le second désaccord concerne l’expression de notre solidarité par rapport aux migrantEs. C’est à notre avis une question aujourd’hui centrale dans le débat européen. Il s’agit là, nous semble-t-il, surtout d’un désaccord sur l’importance à donner à cette question dans notre campagne électorale. Au nom des intérêts politiques de notre classe, il nous semble important de mettre en bonne place l’ouverture des frontières, contre tous les protectionnismes et chauvinismes de tous bords. Au-delà, nous pensons que la question de l’Europe forteresse, de la politique des classes dirigeantes de l’Union européenne, cristallise dans la période la critique radicale que nous devons porter de la construction capitaliste de l’Europe.

Nous avons également une discussion concernant les revendications démocratiques contre tous les rapports d’oppression (droits des femmes, défense de la liberté d’orientation sexuelle, antiracisme, antifascisme, oppressions nationales…), ainsi que celles répondant à la crise écologique.

Le dernier désaccord concerne l’opposition que vous faites entre la nécessité de construire et d’appuyer les mobilisations contre le gouvernement et celle de mener une campagne « pour le communisme ». De notre côté, nous pensons qu’une campagne électorale peut et doit surtout, face aux problèmes du moment, se faire le porte-voix des luttes et contribuer à les renforcer.

Ces points sont évidemment importants, mais il nous semble qu’ils n’empêchent pas une campagne politique de nos deux organisations sur des points essentiels, et qui nous sont d’ailleurs communs,  pour la défense des intérêts du monde du travail. Points sur lesquels nous pourrions trouver des formules communes.  Chacune de nos deux organisations gardant néanmoins la liberté de développer ses arguments à sa manière, sans toutefois donner l’impression que nous défendrions des éléments contradictoires.

Nous résumons ci-dessous les principaux points que nous pourrions défendre ensemble, qui ne sont donc pas nos positions strictes, mais qui pourraient permettrede dépasser nos désaccords.

 

Quelle campagne européenne anticapitaliste et révolutionnaire ?

Puisqu’il s’agit d’une élection européenne, le thème général est notre opposition à cette Europe du capital qu’est l’Union européenne : une alliance des bourgeoisies et du grand patronat européens pour faire fructifier leurs affaires et coordonner leurs politiques anti-sociales. Nous lui opposerons la perspective d’une Europe des travailleurEs et des peuples.

L’Union européenne et ses institutions (constituées sous la houlette des gouvernements nationaux et dominées par ceux des plus grandes puissances européennes, à commencer par ceux de la France et de l'Allemagne), sert de machine de guerre des classes dominantes des différents pays contre les classes populaires, pour mettre en concurrence les travailleurEs et tirer les droits vers le bas, pour imposer l’austérité en particulier par les politiques financières comme elles l’ont fait en Grèce par exemple. L’exemple grec le montre : pour défendre les intérêts du monde du travail, des classes populaires, une confrontation est nécessaire avec les capitalistes nationaux ainsi qu’avec l’UE, ses institutions représentant les intérêts des banquiers et grandes firmes européennes.. 

Nous nous opposons aussi au faux choix entre Europe libérale et repli national. Celui-ci, prôné par l’extrême droite et par tous les nationalistes, y compris ceux qui se réclament de la gauche, n’est en rien une solution, car les classes populaires ont davantage d’intérêts communs entre elles, par-delà les frontières, qu’avec les bourgeoisies de leurs propres pays qui les exploitent.

Mais ces élections seront l’occasion pour les travailleurs, les jeunes, les retraités, d’exprimer, ne serait-ce que par un bulletin de vote, leur colère contre la politique menée par le gouvernement Macron. Il faut qu’ils puissent le faire sur leur propre terrain , celui de la défense des intérêts du monde du travail. Il faut dans cette campagne une opposition sur un terrain de classe.

Nous combattons Macron et son gouvernement, mandataires du patronat français qui nous exploite au quotidien. Nous mettrons en avant un programme de défense des intérêts des salariéEs, un programme pour ses luttes, en cours et à venir.

Notre campagne défendraégalement l’urgence d’en finir avec un système en crise profonde, sur le plan social, écologique, économique et politique. Àl’offensive contre l’ensemble des acquis du monde du travail, leur nivellement par le bas ou leur liquidation, s’ajoute le dérèglement climatique, l’assassinat des migrantEs, la montée de l’extrême droite qui devient véritablement inquiétante - l’accession au pouvoir de Jair Bolsonaro au Brésil en est le dernier avatar.

Il est urgent que le monde du travail, par ses mobilisations, ôte le pouvoir aux capitalistes pour renverser le système et construire une société solidaire, autogérée, égalitaire avec une planification écologique fondée sur les besoins sociaux, et pas sur les profits. Pour une Europe socialiste.

 

Des mesures d’urgence pour combattre la régression sociale et le système capitaliste

Dans cette campagne, nous mettons en avant un plan d’urgence pour le monde du travail, qui articule des revendications immédiates et des revendications transitoires, qui pose le problème de la propriété privée et de l’État, en un mot qui remette en cause le pouvoir des capitalistes et défende la perspective d’une Europe des travailleurEs et des peuples :

- Des mesures d’urgence sociale pour résister à la mise en concurrence des salariéEs d’un pays à l’autre : salaires (SMIC européen à 1700 euros nets), temps de travail (32 heures sans perte de salaire), retraites à taux plein à 60 ans (55 pour les métiers pénibles), développement des services publics, interdiction des licenciements, annulation des dettes des États aux banques, réquisition des banques pour un monopole public bancaire, etc.

- Des mesures d’urgence antiraciste contre l’Europe forteresse, pour une solidarité internationaliste : la fin de Frontex et l’ouverture des frontières, pour la liberté de circulation et d’installation sans limite ni quota et une citoyenneté de résidence pleinement égalitaire ; contre les interventions militaires françaises, notamment en Afrique, contre les visées impérialistes de l’UE et les aventures guerrières ; pour l’unité de ceux d’en bas, du monde du travail et des peuples par-delà les frontières, seule garantie contre la division, la mise en concurrence, l’accroissement de l’exploitation...

- Des mesures d’urgence démocratiques et pour l’égalité des droits :contre les lois liberticides et répressives ; droit de vote et d’éligibilité pour touTEs ; égalité femmes-hommes ; défense du droit des femmes à disposer de leur corps (avortement et contraception) ; développement des services publics du logement, de l’éducation et de la santé…  

- Des mesures d’urgence écologique pour lutter contre le réchauffement climatique et préserver les ressources : en finir avec une agriculture productiviste dans laquelle les grands trusts font la loi, imposant pour leurs profits les engrais, insecticides, ou semences les plus destructeurs (glyphosate ou autres), sortir au plus vite du nucléaire dont les dangers sont d’autant plus accrus par la course aux profits, exproprier les groupes industriels de l’énergie et des pollueurs, et mettre sous contrôle des salariéEs et des usagerEs, organisation de la population pour une planification des ressources énergétiques à l’échelle européenne.

- Enfin, dans l’Europe que nous voulons, chaque peuple doit être libre de ses choix démocratiques. 

Ce programme n’est pas essentiellement électoral, c’est un programme anticapitaliste de défense des intérêts des classes populaires, et un programme pour les luttes, car seule la construction de l’unité du monde du travail et d’un rapport de forces pourra imposer ces mesures à la bourgeoisie. Nous voulons contribuer à la construction des mobilisations, les encourager les unifier sur des objectifs communs à touTEs, mettre en avant l’idée d’ une riposte d’ensemble du monde du travail, d’une grève générale pour mettre un coup d’arrêt aux attaques du gouvernement de Macron et du patronat.

Les mesures d’urgence que nous voulons porter dans cette élection sont en contradiction immédiate avec l’Europe des capitalistes, avec les politiques des États nationaux et du grand patronat. L’issue à la crise ne viendra pas des solutions institutionnelles, que ce soit au niveau national ou européen.Il faut donc poser la question de qui dirige la société, d’un pouvoir des travailleurEs et des peuples pour imposer ces mesures aux capitalistes en France, et proposer la convergence avec les autres peuples, pour renverser le système et construire une société socialiste.

L’importance d’une campagne commune des anticapitalistes et révolutionnaires

Revenons enfin sur les enjeux qui motivent à notre avis la nécessité d’une campagne commune dans le contexte d’aujourd’hui : une situation toujours plus dure pour les classes populaires ; une extrême droite faiseuse d’illusions mais de plus en plus sûre d’elle-même, et encouragée par ses succès dans divers pays ; une gauche, dont même la fraction qui se prétend la plus radicale cède à la démagogie nationaliste et anti-migrantEs.

Nous sommes de petits groupes, notre rayonnement et notre crédit ont leurs limites, ils s’exercent dans des sphères qui ne se recoupent pas entièrement (ce qui est, somme toute, un atout supplémentaire) et nous ne prétendons pas avoir aujourd'hui les moyens de changer dans l’immédiat la face du monde. Mais nous pouvons en revanche tenter de faire bouger des lignes à notre échelle.

Comment utiliser au mieux nos faibles forces ? En nous présentant chacun de notre côté à ces élections dans un contexte où il s’impose de resserrer les rangs ? Ou en concentrant nos énergies pour offrir aux travailleurEs de ce pays, à la jeunesse et plus généralement à toutes celles et ceux que les dégâts économiques, sociaux indignent, un pôle révolutionnaire, anticapitaliste, internationaliste, proposant de tout autres perspectives à notre classe, dont des perspectives de lutte ?

Nous ne sommes pas sans atouts. Nous avons des porte-paroles nationaux connus et appréciés, bien d’autres camarades, qui se sont fait connaître au fil des ans, en tant que militantEs etsalariéEs combatifs et porteurs d’un idéal d’émancipation, qui ont participé à des luttes, et pour certainEs les ont dirigées.

Une campagne commune serait l'occasion de faire entendre notre voix plus fortement, en avançant une demi-douzaine d’axes généraux qui nous sont communs. Et l’argument parfois avancé, selon lequel les candidatures séparées permettraient de totaliser des minutes d’antenne, semble peu de circonstance.

Il va y avoir aussi des problèmes matériels à débattre entre nous : problèmes de financement, de choix de candidates et candidats, d’organisation de futurs meetings, de réflexion sur une profession de foi…

Mais c’est d’abord un choix politique qu’il s'agit d'effectuer. Et à nos yeux il s’impose, si nous voulons donner confiance à toutes celles et tous ceux qui, quand bien même ils auraient cédé à la tentation du « vote utile » pour Mélenchon, ont écouté ces dernières années nosidéesavec sympathie, notamment lors de la dernière présidentielle.

 

Le comité exécutif du NPA

Le 1er novembre 2018