Publié le Mercredi 27 janvier 2021 à 10h17.

Le spectacle vivant, une « perte acceptable » ?

« Il y a une fragilisation depuis plusieurs années, et cette crise met en lumière, avec un projecteur de 1 000 volts, des problèmes qui existaient déjà », expliquait la directrice financière du festival des Transmusicales à France 3 en décembre dernier à propos des difficultés de l’industrie musicale à l’heure du coronavirus1. Avant même le début de la crise du coronavirus, ce sont ainsi 92 % des travailleurEs de l’industrie de la musique en France qui auraient été en situation de difficulté financière selon une étude du collectif CURA2. Dans la même étude, 94 % des individus interrogés sont parfois ou souvent inquiets quant à leur avenir professionnel. Des inquiétudes qui se sont démultipliées avec la crise sanitaire et économique, comme le déclare le Centre médical de la Bourse3 à propos des patientEs qui travaillent dans le spectacle vivant.

Emplois, revenus et avenir menacés

Récemment, le fondateur du Hellfest interpellait Roselyne Bachelot sur la situation de son festival qui risque une nouvelle fois de ne pas se tenir. Mais derrière ce festival au budget de 25 millions d’euros et des gros noms du spectacle qui multiplient les tribunes en « Une » des journaux, il y a non seulement les petites salles de spectacle qui paient le prix fort de la crise au même titre que les petits commerces, mais aussi et surtout une masse de travailleurEs permanentEs, intermittentEs, freelance, toutes les petites mains qui font tourner le spectacle vivant au quotidien, et qui, même en l’absence de plan social frontal comme cela peut être le cas dans d’autres secteurs du monde du travail, voient aujourd’hui leurs emplois, leurs revenus et leur avenir menacés.

Car si la crise sanitaire est bien réelle, l’arbitrage des mesures limitant nos libertés et la possibilité même de travailler est indécent. Ouvrir des supermarchés alors qu’on interdit des spectacles de rue n’est malheureusement pas illogique d’un point de vue capitaliste : ces décisions répondent tout simplement à la logique du système. Celui-ci n’a que faire des besoins de la population. Seuls comptent les profits des grands capitalistes. Et dans ce schéma, la culture et les loisirs sont considérés comme une « perte acceptable ».

La catastrophe est déjà là

En conséquence, les mesures du gouvernement ne s’attaquent pas au cœur de la crise. Elles ne font au mieux que décaler de quelques mois l’inévitable : tant pour les petits patrons des structures qui risquent de mettre la clef sous la porte et pour qui les prêts garantis par l’État (souvent complexes à obtenir pour les lieux culturels) ne sont qu’un sursis sans entrée de billetterie, que pour les salariéEs, et en particulier les plus précaires, menacés de perdre emploi et revenus.

Pour les travailleurEs hors du régime d’intermittence, seule une aide dérisoire de 900 euros à condition d’avoir déjà travaillé 60 % de l’année a été allouée.Les intermittentEs qui bénéficient de l’année blanche ne sont couverts que jusqu’à l’été 2021 (date à laquelle il n’y aura clairement pas de « retour à la normale »), et leur avenir passé cette date est encore en suspension car Bachelot estime que le renouvellement de l’année blanche ne concernerait que certains « profils ».

Le travail est parfois possible, notamment dans les ensembles permanents. Mais paradoxalement, alors que les salles sont fermées, le travail est surchargé. Il faut prévoir de multiples scénarios à réadapter sans cesse. Les artistes n’étant pas toujours tenus de porter le masque sont particulièrement exposés au virus. À chaque apparition d’un cas positif ou cas contact, les répétitions sont perturbées et les blessures favorisées. Tout ça pour présenter des spectacles à une poignée de professionnels dans l’attente de les présenter, un jour peut-être, au public. Une poignée d’artistes travaillent donc dans des conditions dégradées, pendant que beaucoup sont à l’arrêt. Les conséquences en sont la perte de compétences, parfois la nécessité de réorienter sa carrière.

Des revendications pour faire face à l’urgence

– Face à la stratégie sanitaire irresponsable du gouvernement, qui compte contenir le virus avec des mesures tout aussi répressives qu’inefficaces tandis qu’il arrose les patrons du CAC 40, nous revendiquons un plan sanitaire à la hauteur pour que le spectacle vivant et ses travailleurEs ne soient plus considérés comme des « pertes acceptables » pour le maintien des profits ;
– Pour celles et ceux qui continuent à travailler et pour préparer la reprise de l’activité, nous revendiquons des commissions sanitaires décisionnaires constituées majoritairement de travailleurEs, seulEs capables d’établir un protocole sanitaire cohérent sur leur lieu de travail ;
– Pour celles et ceux dont l’activité est à l’arrêt, nous revendiquons le maintien de « l’année blanche » des intermittentEs et la continuité des droits sociaux pendant un an après la fin de l’épidémie. Pour les travailleurEs hors régime d’intermittence, nous revendiquons la mise en place d’une allocation à la hauteur minimale du SMIC pour touTEs les précaires. De l’argent, il y en a, comme en témoignent les milliards dépensés par le gouvernement pour arroser dans son « plan de relance » les grandes entreprises.