La campagne et le programme de Macron ont montré qu’il n’avait nullement l’intention de revenir sur les politiques qui ont, durant cinq ans, favorisé les plus riches, creusé les inégalités et accentué les mécanismes d’exploitation. Bien au contraire, on peut s’attendre à un « Acte 2 » dans la droite ligne du premier, avec même le risque que les choses soient encore pires…
Le premier quinquennat s’était ouvert avec la poursuite de la destruction du code du travail – déjà bien entamée par la loi Travail sous Hollande – au moyen des « ordonnances Macron » de septembre 2017. Mais visiblement cela ne suffit pas encore et, dans son programme présidentiel 2022, Macron affirme vouloir « poursuivre la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017 ». On se demande ce qui reste à détruire… Pour Romaric Godin1, de Mediapart, on peut s’attendre au pire : « On ignore de quoi il s’agit concrètement, mais le terme de "modernisation" en matière de droit du travail est synonyme de flexibilisation et de réduction de la protection du contrat de travail. Comme les ordonnances de 2017 sont allées très loin, on peut craindre le pire dans ce domaine, comme les contrats zéro heure qui, au Royaume-Uni, permettent de mettre en place du travail à la tâche. Quoi qu’il en soit, ces mesures ont toujours le même effet sur le salaire : celui de le tirer vers le bas. C’est ce qui a été constaté aux États-Unis et au Royaume-Uni depuis un demi-siècle. Dans un capitalisme de bas régime, où les gains de productivité sont faibles, cela assure un flux de profits croissant. » Ça promet.
Les retraites dans le viseur
Macron l’a annoncé durant sa campagne : il a pour projet de faire reculer l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Dans son programme présidentiel, cette proposition est précédée d’une formule lapidaire mais explicite : « Il faut être clair. Si l’on veut financer les dépenses publiques essentielles et baisser les impôts, on doit continuer à travailler collectivement davantage. » Voilà qui est « clair ».
Les propositions concernant les retraites sont explicites : augmentation de l’âge de départ, fin des régimes spéciaux, retour du projet de retraites par points. Dans le programme, cela donne : « Le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans ; la suppression des principaux régimes spéciaux (EDF, RATP...) pour les nouveaux entrants, comme nous l’avons fait pour la SNCF ; une poursuite des concertations sur un régime universel plus simple, seulement pour les générations futures, en construisant les compromis nécessaires. » Avec en prime : « Proposer un cumul emploi-retraite plus simple et plus avantageux, pour ceux qui souhaitent travailler plus longtemps et effectuer une transition souple vers la retraite. »
Autant le dire : ce qui nous attend n’est rien d’autre qu’une vaste offensive contre le système de retraites, elle-même inscrite dans un projet de régression sociale assumée. Comme le résume Luis Reygada dans l’Humanité : « Travailler toujours plus, et pour rester pauvre, en définitive, avec un système qui va surtout pénaliser les personnes en situation de précarité – en particulier les femmes – dans un contexte où bon nombre de travailleurs rencontrent déjà de grandes difficultés pour cumuler toutes les annuités nécessaires pour partir à taux plein. Faudra-t-il travailler jusqu’à la tombe ? »2
Casse sociale à tous les étages
Le « chantier » des retraites n’est pas le seul en perspective. On pense ici notamment aux annonces faites par Macron concernant le RSA, confirmées dans son projet présidentiel : « Le RSA [sera] conditionné à une activité effective qui permet l’insertion ». Lors de la présentation de ce projet en mars, Macron avait expliqué qu’il s’agissait de conditionner l’allocation du RSA à « quinze à vingt heures par semaine » de travail, prétendant qu’il s’agissait de « reconnaître la dignité de chacun ». Derrière cette rhétorique, c’st bien celle de la dénonciation de « l’assistanat » qui est présente, avec pour effet concret d’exiger du travail.. gratuit. Pour citer de nouveau Romaric Godin : « Rappelons que la fonction de l’obligation donnée aux allocataires du RSA de travailler de 15 à 20 heures revient évidemment à fournir aux entreprises une main-d’œuvre gratuite permettant de faire pression sur le marché du travail. Au reste, l’impossibilité concrète de réaliser cette proposition va conduire à une forme de "militarisation" de la pauvreté, où l’on enverra des contingents de bénéficiaires réaliser des travaux ponctuels réclamés par les entreprises au nom de cette obligation. L’effet sur les salariés, notamment les plus pauvres, sera dévastateur. »3
Macron promet en outre de poursuivre le saccage de la réforme de l’assurance chômage, déjà bien entamé avec le premier quinquennant, prévoyant « [une] assurance chômage plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé. » Soit une soumission encore plus forte de l’assurance chômage aux besoins du « marché du travail », et donc des pressions supplémentaires sur les chômeurEs, qui seront de plus en plus contraints d’accepter n’importe quel emploi sous peine de voir leurs allocations supprimées. Un véritable paradis pour le patronat, qui s’accompagnera d’un développement toujours plus important des emplois et contrats précaires.
Concernant les services publics, une formule résume à elle seule le projet de Macron, qui promet de « poursuivre le sauvetage de l’hôpital ». Ces gens osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît, et derrière le cynisme de la formule on peut s’attendre au pire concernant les services publics. A fortiori lorsque l’on sait que Macron promet toujours plus de réductions d’impôts (dont la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à hauteur de 7,5 milliards d’euros par an) et d’économies dans les dépenses publiques, ce qui passera nécessairement par de nouvelles attaques contre les services publics et les fonctionnaires.
Poursuite du cours raciste-autoritaire
Dans ce panorama général, on aurait également pu citer la vraie-fausse « mue écologique » de Macron, qui promet de « poursuivre la construction de six premières centrales nucléaires nouvelle génération » (le nucléaire, ce grand projet écologique), de « produire des millions de véhicules électriques et hybrides » (et pas un mot pour le développement des transports collectifs) ou encore de « faire dépendre obligatoirement la rémunération des dirigeants des grandes entreprises du respect des objectifs environnementaux et sociaux de l’entreprise » (on imagine que les patrons tremblent). On aurait également pu parler des attaques à venir contre l’université, avec la hausse des frais d’inscription et la poursuite de la privatisation, ou encore de la promesse d’une offensive contre le service public audiovisuel avec la suppression de la redevance. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans les prochaines semaines.
Mais ce par quoi nous souhaiterions terminer cet aperçu de l’offensive qui vient est l’assurance que Macron et les siens ont bien l’intention de poursuivre leur cours raciste-autoritaire, affichant là aussi la couleur dans ce domaine. Le programme de Macron indique ainsi, sur un ton particulièrement martial, ce qui suit : « Il faut aller au bout du réarmement, juridique et matériel, pour faire respecter nos lois et nos valeurs par tous. » Et les propositions sont à l’avenant : « achever le doublement de la présence des forces de l’ordre sur la voie publique et le déploiement de 200 nouvelles brigades pour plus de gendarmes en ruralité » ; « mettre en œuvre le doublement de la présence des forces de l’ordre dans les transports aux moments critiques » ; « pour les mineurs délinquants, la possibilité d’un encadrement par des militaires ». Voilà qui promet. En résumé : toujours plus d’uniformes, toujours plus de répression, et la promesse d’un quinquennat antisocial qui s’accompagnera d’un durcissement autoritaire. Comme un symbole, Bruno Le Maire a d’ailleurs annoncé au lendemain de l’élection de Macron que le recours au 49.3 n’était pas exclu pour faire passer la réforme des retraites. Ça commence bien.
Et, comme durant les cinq années précédentes, le cours autoritaire se double d’un cours raciste, avec là encore la promesse de toujours plus de répression et de discriminations contre les personnes étrangères, les migrantEs, les sans-papiers : « aller au bout de la réforme de Schengen pour renforcer nos frontières européennes » ; « créer une "force des frontières" pour renforcer nos frontières nationales » ; « poursuivre la refonte de l’organisation de l’asile et du droit au séjour pour décider beaucoup plus rapidement qui est éligible et expulser plus efficacement ceux qui ne le sont pas » ; « titres de long séjour seulement pour ceux qui réussissent un examen de français et s’insèrent professionnellement » ; « expulsion des étrangers qui troublent l’ordre public ». Pas besoin de longs commentaires…
Se préparer dès maintenant aux batailles
Le projet d’Emmanuel Macron est donc on ne peut plus clair : des politiques toujours plus au service du capital, appuyées sur des dispositifs de contrôle et de répression toujours plus étendus. Le président a été mal élu et le sait, mais lui et son entourage ont été très clairs au soir et au lendemain du premier tour : ils comptent mettre en œuvre leur programme, tout leur programme, rien que leur programme. Et de toute évidence, ils n’ont pas l’intention d’attendre septembre, ni même juin, pour passer à l’offensive. C’est donc dès maintenant que la riposte doit s’organiser pour faire face à ce rouleau compresseur, sans attendre les élections législatives. Le premier quinquennat a montré que la macronie ne s’arrêtera que si nous l’arrêtons, et que seules des mobilisations peuvent les faire vaciller, comme ce fut le cas avec la longue grève contre la réforme des retraites, qui a suffisamment repoussé l’application de la contre-réforme pour que cette dernière soit stoppée par la pandémie, ou, dans un autre genre, le mouvement des Gilets jaunes qui, s’il n’a pas été victorieux sur ses revendications essentielles, a montré que le pouvoir n’était pas si serein que ce qu’il essaie de donner à voir.
Dans tous les domaines, des attaques et des régressions sont à prévoir, et c’est donc à une dure bataille qu’il faut se préparer, qui impliquera de combiner unité et radicalité, reconstruction des outils de défense de notre camp (associations, syndicats, collectifs, partis…) et mobilisations de rue, opposition résolue au projet néolibéral et défense d’un projet alternatif. Une bataille qui devra aussi nécessairement se mener contre l’extrême droite et son projet mortifère, car la défaite de Marine Le Pen et les recompositions à venir ne signent pas, loin de là, la fin de la pression des courants fascistes et de leur idéologie ultra-réactionnaire. Face à Macron et Le Pen, la lutte continue : nous n’avons pas le choix.