Publié le Mercredi 3 juillet 2024 à 09h57.

Un premier tour lourd de dangers

Ce sont souvent les autres qui en parlent le mieux. L’adage se vérifie pour la situation en France vue depuis l’Italie avec cette Une du journal italien Il Manifesto sur le portrait en clair-obscur de Macron : « Veni Vidi Vichy ». En 18 jours, depuis l’annonce de la dissolution, le président le plus mal élu de la 5e République aura donc permis au parti raciste de Marine Le Pen de faire un score historique. 

 

Cette campagne éclair a été marquée par une libération sans précédent de la parole et des actes racistes : des agressions interpersonnelles invisibilisées, à celle médiatisée de Divine dans le reportage d’Envoyé spécial. Toutes sont symptomatiques d’un climat qui devient intolérable, d’une banalisation du racisme que l’on retrouve dans les résultats de ce premier tour des législatives.

La poussée alarmante du RN

Avec 33,14 % des suffrages au niveau national et 10 628 507 voix, le Rassemblement national et ses alliés atteignent les scores annoncés par les sondages, sans que l’on sache à cette étape si le second tour leur donnera une majorité à l’Assemblée nationale. Le RN, qui raflait 4 248 537 de voix en 2022, a plus que doublé le nombre de ses voix (+ 120,2 %).

Dans tous les cas, avec déjà 38 députés RN et 1 LR compatible RN élus dès le premier tour, le chiffre des 89 députés sortants va être dépassé dans la prochaine assemblée, traduisant un enracinement inquiétant de ses idées. Présent dans 443 circonscriptions pour le second tour, le RN est arrivé dimanche en tête dans 222 de ces circonscriptions, auquel il faut ajouter les 38 candidats LR « canal Ciotti » qu’il soutient. 

En comparaison, en 2022 le RN n’était arrivé en tête au premier tour que dans 65 circonscriptions... Et parmi les 190 duels annoncés du second tour, le RN est arrivé premier dans 97 des cas, et sur les 306 triangulaires annoncées, 299 incluent l’extrême droite, dont 83 où le candidat est arrivé en 3e position…

Des chiffres qui en disent long sur l’ampleur de la vague brune à l’échelle nationale, d’autant plus que l’expansion géographique nationale du vote, déjà analysée depuis la dernière présidentielle, se confirme. Outre son développement bien connu dans le Sud-Est et dans les zones en crise industrielle (telles que le Nord ou la Picardie), aucune région n’échappe au vote d’extrême droite, à l’exception notable des grandes villes et métropoles régionales. Signalons aussi la dramatique pénétration du vote RN dans différentes catégories sociales : outre le monde ouvrier et les employéEs, le RN parle aussi de plus en plus aux fonctionnaires, aux cadres, etc.

Profitant de l’effondrement des forces au pouvoir largement sanctionnées — un « bloc macroniste pratiquement effacé » — ces élections constituent selon Marine Le Pen (réélue dès le premier tour) une « première étape vers un choix d’alternance ». Sur le fond, les enquêtes montrent à la fois une adhésion de plus en plus importante de ses électeurs à l’orientation raciste — en particulier islamophobe — et de repli national du RN, mais aussi la volonté de ceux-ci que l’extrême droite arrive enfin aux affaires… Visiblement, peu importe les bégaiements et autres reculs sur les questions sociales portées encore récemment par le RN (retraite, TVA sur les produits de première nécessité…), la recherche du bouc émissaire et le racisme restent le ciment national de l’extension du vote RN.

NFP : la réussite d’une campagne militante

Le principe de l’unité lancé comme base pour le Nouveau Front populaire aura donc permis à la gauche unie sur un programme de refus des régressions sociales d’être présente dans l’ensemble des 577 circonscriptions. Avec 8 974 566 millions de votes, le Nouveau Front populaire arrive juste derrière le RN. La dynamique de la campagne éclair a permis d’augmenter de 3 millions le nombre de votants (+ 53,7 %) par rapport à la Nupes en 2022. 

Le sentiment d’urgence a notamment contribué à faire élire dès le premier tour 31 députéEs (contre 4 en 2022). Mais le vote est très inégal suivant les territoires : 24 députéEs éluEs ou rééluEs le sont dans les arrondissements de l’est parisien, dans le 93, le 94 le 92, et 1 dans le 95. Quatre députéEs de plus auraient pu l’être également sans les mises en concurrence provoquées par les purges internes à LFI. 

Ces territoires conjuguent une population racisée — qui s’est fortement mobilisée et qui se politise, en particulier sa jeunesse en solidarité avec le peuple palestinien dont la résistance fait écho à leur résistance contre les oppressions subies ici — et un maillage militant. Dans cette ancienne ceinture rouge, l’engagement politique, syndical et associatif résiste et veut continuer. Ce qui a pu aboutir à des scores entre 60 % et 70 %, avec un RN qui reste autour de 10 % et n’ose pas mener campagne dans les rues ou sur les murs pour des candidats anonymes qui ne mettent pas leur photo sur les circulaires électorales.

Deux salles, deux ambiances car dans les métropoles régionales mais aussi dans les villes moyennes, les campagnes du NFP ont été plus compliquées. Le rouleau compresseur médiatique anti-NFP, mais aussi les relais clientélistes d’un certain nombre de responsables politiques « de gauche » ont agité la « menace Mélenchon » avec un certain succès. Dans ces circonscriptions beaucoup de candidatEs du NFP se retrouvent en ballotage, voire en troisième position et donc amenéEs à se retirer pour faire barrage. 

Dans les circonscriptions du péri-urbain dans lesquelles l’activité militante est moins forte, les éliminations directes ont été les plus nombreuses. Ce sont donc entre 300 et 350 candidatures NFP qui sont engagées dans la confrontation avec le RN, dont Philippe Poutou dans la première circonscription de l’Aude et Raphaël Arnault dans la première du Vaucluse.

L’enjeu du vote du second tour, le 7 juillet, c’est de faire barrage, et les syndicats qui font partie du NFP l’ont bien compris, puisqu’ils appellent à voter contre le RN.

Au-delà du vote, le point d’appui de cette campagne c’est d’avoir réuni des équipes, des personnes isolées qui ont expérimenté, plus ou moins chaotiquement, le militantisme en commun. C’est fragile mais peut cela devenir la base d’élaboration/reconstruction d’un projet politique commun. C’est d’ailleurs un des enjeux des prochains jours de rassembler et de faire discuter, et de construire des collectifs bien au-delà des seules campagnes électorales.

La macronie s’effondre

Touché mais pas totalement coulé, le bloc central — qui rassemble notamment Renaissance, le MoDem et Horizons derrière la bannière Ensemble — a obtenu seulement 20,76 % des voix au premier tour. Avec 6 425 217 voix, la macronie progresse faiblement en comparaison du RN et du NFP : de 13,5 % par rapport à 2022. Seuls deux députés ont été élus dès dimanche (dans les Hauts-de-Seine et à Wallis-et-Futuna), et le camp présidentiel pourrait ainsi se limiter à une présence à l’Assemblée nationale comprise entre 70 et 100 députéEs (même si les projections précises restent à cette étape difficile). Un rétrécissement qui va amplifier la crise politique et rend d’autant plus nécessaire la recherche de nouveaux partenaires, d’où les propositions lancées en l’air de nouvelle coalition ou de gouvernement technique…

Les représentantEs du macronisme n’ont réussi à se qualifier au second tour que dans 321 circonscriptions avant les désistements en cours dans beaucoup de triangulaires. Signe de la grande faiblesse de ce pouvoir, les macronistes ne sont arrivés en tête que dans 68 circonscriptions… En comparaison, c’était le cas dans 449 circonscriptions en 2017, et encore 201 il y a deux ans.

Au niveau géographique, hormis quelques bassins traditionnellement à droite, la disparition des macronistes est en cours dans beaucoup de départements, notamment dans le centre, dans l’est et le sud de la France. Et si dans les Hauts-de-Seine ou les Yvelines, Gabriel Attal, Stéphane Séjourné ou Yael Braun-Pivet font encore bonne figure, c’est loin d’être le cas pour beaucoup de représentants du pouvoir actuel, en particulier en ballotage défavorable contre le RN : l’ancienne première ministre Élisabeth Borne (Calvados), les ministres ou ex-ministres Franck Riester (Seine-et-Marne), Agnès Pannier-Runacher (Pas-de-Calais), Marc Fesneau (Loir-et-Cher)... Même Darmanin (36 %) a moins de deux points d’avance sur un candidat RN (34,3 %) dans la 10e circonscription du Nord (Tourcoing).

Tout un symbole ! Celui qui a porté la récente loi asile immigration n’a pas éteint le RN mais a contribué à donner une légitimité au logiciel d’extrême droite (préférence nationale…) et, comme toute la macronie, s’est fait le marche­pied de celle-ci.

Le mode de scrutin de la 5e République qui n’est jamais à la proportionnelle oblige les partis à s’entendre en faisant fi de la volonté des électeurs. Le bal des désistements, nécessaires pour empêcher de donner le pouvoir à des racistes, est la première urgence, à laquelle une partie de la droite et de la macronie semble ne pas avoir répondu spontanément. Dimanche, pas une voix pour le RN dimanche. Et lundi… on continue, on s’organise ! Siamo tutti antifascisti !