Publié le Mercredi 20 mai 2020 à 08h58.

Un révélateur et un amplificateur des inégalités

Depuis le début de l’épidémie, nous répétons et illustrons dans l’Anticapitaliste à quel point le Covid-19 frappe avec une virulence toute particulière les « premierEs de corvée » et plus généralement les habitantEs des quartiers populaires. Les premiers chiffres de bilan des conséquences de l’épidémie et de sa gestion par le gouvernement viennent confirmer les effets démultiplicateurs de la crise sur les inégalités sociales.

La Seine-Saint-Denis, concentré de la situation des quartiers populaires

Un chiffre a fait le tour des rédactions, celui de la flambée de la surmortalité en période de Covid-19 : + 128,9 % de personnes décédées en Seine-Saint-Denis entre le 1er mars et le 27 avril 2020 par rapport à la même période en 2019. Le 93 est le 2e département français le plus touché (après le Haut-Rhin), avec une surmortalité qui représente le double de celle de Seine-et-Marne ou des Yvelines, et 40 points de plus que Paris. Mais les chiffres sont encore plus impressionnants en zoomant sur les intercommunalités du département : + 179,1 % pour les 9 communes autour de Saint-Denis (Plaine Commune) et + 161,6 % pour les communes entre Bobigny et Montreuil (Est Ensemble). Toutes ces personnes ne sont pas mortes du Covid mais des effets de l’épidémie sur une population qui subissait déjà les inégalités conséquentes de la machine à broyer du capitalisme.

L’épidémie a mis en lumière l’état d’extrême fragilité du système de santé, laminé par les politiques d’austérité et de rentabilité qui aboutissent à des hôpitaux en surtension structurelle. Le 93 est un désert médical qui abandonne la population sans prévention, à des parcours de soins chaotiques même pour des maladies chroniques. Au cœur de la région la plus riche du pays, la Seine-Saint-Denis est le territoire de résidence des invisibles qui mettent de l’huile chaque jour dans les rouages de la machine : agentEs hospitaliers et aides-soignantEs (dans les EHPAD, à domicile), caissières, livreurs, agentEs du nettoyage ou des entreprises de sécurité, machinistes à la RATP… Elles et ils exercent dans toute l’Ile-de-France : 50,6 % des salariéEs vivant dans le 93 travaillent dans un autre département, alors que 74,1 % des habitantEs de Paris y travaillent. Ce qui signifie l’utilisation des transports en commun bondés (ligne 13 du métro, RER B et D saturés) et donc une exposition maximum en période de circulation du virus. D’autant que ces emplois comptent parmi ceux qui se sont révélés essentiels… et impraticables en « télétravail ». Et, comme cela apparaît intrinsèquement logique dans le système : travail essentiel donc travail dévalorisé et rémunéré au lance-pierre. Donc double peine : moins d’heures de travail, mais souvent même amplitude horaire, plus de stress et moins d’argent à la fin du mois.

Une bombe à déflagrations multiples

L’augmentation dramatique du nombre de morts n’est pas le seul prix payé par la population des quartiers populaires. Il a été répété partout que l’indemnisation du chômage partiel est unique dans le monde, et bien évidemment il vaut mieux que le chômage sans aucune indemnité. Mais pour des salariéEs un peu au-dessus du SMIC, 84 % du salaire (auquel il faut ajouter aussi la perte du complément représenté par les heures supplémentaires, les tickets resto, la cantine bon marché pour les enfants…), c’est ce qui fait basculer de la corde raide au saut dans le vide. Et sans aucun filet, ou alors dérisoire, des pouvoirs publics.Alors qu’en France des centaines de milliers de familles (15 à 20 000 pour la seule Seine-Saint-Denis, chiffre lâché par le préfet lui-même) doivent arbitrer entre payer le loyer et manger, pendant les premières semaines du confinement aucun dispositif public n’a été mis en place. Ce sont les réseaux d’entraide pré-existant dans de nombreux quartiers, renforcés par ceux qui se sont constitués dans la précipitation et l’improvisation, qui ont empêché que des gens meurent de faim chez eux, ou dans la rue pour les personnes privées de domicile et en particulier les réfugiéEs.

Les seules mesures annoncées par des bailleurs HLM (et pas tous, en particulier pas les bailleurs privés dont les loyers sont souvent les plus onéreux) sont des mesures d’étalement des loyers. Autrement dit, on propose aux familles de s’endetter pour des mois au moins auprès des bailleurs, sans garantie de pouvoir retrouver et/ou conserver les emplois à l’issue du confinement. Avec en plus l’horizon du 10 juillet, date limite du report de la trêve hivernale, qui annonce une possible vague d’expulsions locatives pendant l’été.

Pas étonnant que le renforcement et le durcissement de l’omniprésence policière dans les quartiers soit le corollaire de cette situation, y ajoutant un ingrédient supplémentaire : la révolte contre les humiliations et les violences policières considérées par l’État comme ultime couvercle sur la misère et des inégalités insupportables.

Autant dire que la cocotte-minute est en surchauffe, que les motifs d’explosion s’accumulent et se renforcent. Tout l’enjeu est la transformation de cette colère sociale en révolte politique.