Publié le Dimanche 9 décembre 2012 à 23h40.

Invitation à la culture.- 1984.- Georges Orwell

Soumis par vienne86 le dim 09/12/2012 - 23:40

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Invitation à la culture. Le NPA86 vous invite, chaque semaines, à découvrir de nouveaux bouquins (ou des anciens qui ont encore un intérêt), ainsi que des films, des émissions, des expositions de photos, des pièces de théâtre, des concerts ou même des CD. N'hésitez-pas, bien entendu, à nous envoyer des brèves sur des sujets ou évènements culturels que vous souhaitez faire connaître.

Cette semaine nous proposons à la lecture le roman de G. Orwell : 1984.

George Orwell, de son vrai nom Eric Arthur Blair, est un écrivain anglais né en 1903 en Inde britannique et mort en 1950 à Londres.

Son œuvre porte la marque de ses engagements politiques et de son expérience personnelle : contre l'impérialisme britannique, après son engagement de jeunesse dans la Police Impériale des Indes ; pour la justice sociale et le socialisme, après avoir fait partie des classes laborieuses à Londres et à Paris ; contre les totalitarismes nazi et soviétique, après sa participation à la guerre d'Espagne contre les fascistes d'un côté et les staliniens de l'autre, où il était membre du POUM (Parti Ouvrier pour l'Unification Marxiste). Orwell était aussi dans les années 1930 et 1940 chroniqueur, critique littéraire et romancier. Ses deux œuvres les plus connues sont La Ferme des animaux et surtout 1984.

1984 a été publié en 1949.

1984 est considéré comme une référence du roman d'anticipation, de la dystopie, voire de la science-fiction en général. La principale figure du roman, Big Brother et la devise « Big Brother is watching you » (« Big Brother vous regarde »), sont devenues des figures métaphoriques du régime policier et totalitaire, de la société de la surveillance, ainsi que de la réduction des libertés. L'expression Big Brother est même passé dans le langage courant pour critiquer les systèmes de surveillance.

Le monde de 1984

L'histoire se passe à Londres en 1984, d'où le titre du roman. Le monde, suite à de grandes guerres nucléaires ayant eu lieu dans les années 50, est divisé en trois grands « blocs » : l'Océania (Amériques, îles de l'Atlantique (comprenant les îles Britanniques), Océanie et Afrique australe), l'Eurasia (Europe et URSS) et l'Estasia (Chine et ses contrées méridionales, îles du Japon, et une portion importante mais variable de la Mongolie, la Mandchourie et du Tibet) qui sont en guerre les uns contre les autres. Ces trois grandes puissances sont toutes dirigées par des régimes totalitaires s'appuyant sur des idéologies fondamentalement similaires : l'Angsoc (ou « socialisme anglais ») pour l'Océania, le « néo-bolchévisme » pour l'Eurasia et le « culte de la mort » (ou « oblitération du moi ») pour l'Estasia. Tous ces partis sont présentés comme communistes avant leur montée au pouvoir, jusqu'à ce qu'ils deviennent des régimes totalitaires et relèguent les prolétaires qu'ils prétendaient défendre au bas de la pyramide sociale.

À côté de ces trois blocs subsiste une sorte de « Quart-monde », dont le territoire ressemble approximativement à un parallélogramme ayant pour sommets Tanger, Brazzaville, Darwin et Hong Kong. C'est le contrôle de ce territoire, ainsi que celui de l'Antarctique, qui est le prétexte à une guerre perpétuelle entre les trois blocs.

L'Angsoc, régime de l'Océania, divise le peuple en trois classes sociales : le « Parti Intérieur », classe dirigeante au pouvoir partagé (facilement assimilable à la bureaucratie), le « Parti Extérieur », travailleurs moyens, et les « prolétaires », sous-classe s'entassant dans les quartiers sales. Le chef suprême du Parti est Big Brother, visage immortel et adulé, placardé sur les murs de la ville. Tous les membres du Parti sont constamment surveillés par la Police de la Pensée et chaque geste, mot ou regard est analysé au travers des « télécrans » (assemblage de deux mots comme on en trouve souvent en novlangue, ici de « télé » et de « écran ») qui balayent les moindres lieux.

Winston Smith, membre du Parti extérieur, occupe un poste de rectification d'information au commissariat aux archives, dans le Ministère de la Vérité (Miniver en novlangue). Son travail consiste à supprimer toutes les traces historiques qui ne correspondent pas à l'Histoire Officielle, qui doit toujours correspondre à ce que prédit Big Brother.

Trucage de l'Histoire et propagande

Le Parti a la mainmise sur les archives et fait accepter sa propre vérité historique en la truquant ; il pratique la désinformation et le lavage de cerveau pour asseoir sa domination. Il fait aussi disparaître des personnes qui lui deviennent trop encombrantes et modifie leur passé, ou les fait passe (faux témoignages des intéressés à l'appui) pour des traîtres, des espions ou des saboteurs. C'est le principe de la « mutabilité du passé » car « qui détient le passé détient l'avenir ».

Un positionnement réellement philosophique soutient l'action du Parti : la théorie du Parti est que le passé n'existe pas en soi. Il n'est qu'un souvenir dans les esprits humains. Le monde n'existe qu'à travers la pensée humaine et n'a pas de réalité absolue : il s'agit là d'une théorie amarxiste, opposée au matérialisme historique c'est-à-dire à l'un des fondement de l'idéologie communiste (« Celui qui ne connaît pas l'Histoire est condamné à la revivre » KM). Ainsi, si Winston est le seul homme à se souvenir que l'Océania a été une semaine plus tôt en guerre contre l'Eurasia et non contre l'Estasia, c'est lui qui est fou et non les autres. Même si le fait est objectivement réel, il n'existe (dans le sens qu'il n'a pas de conséquences) que dans la mémoire de Winston.

Le Parti impose une gymnastique de l'esprit aux hommes (appelé « doublepensée » en novlangue) : il faut assimiler tous les faits que le Parti leur jette, et surtout oublier qu'il en a été autrement. Et de plus, il faut oublier le fait d'avoir oublié.

Bouc émissaire et manifestations de haine collective

L'ensemble des maux qui frappent la société est attribué à un opposant, le « Traître Emmanuel Goldstein », dont le nom et la description physique ressemblent beaucoup à Lev Davidovitch Bronstein alias Léon Trotsky. Ce traître est l'objet de séances d'hystérie collective obligatoires, les « deux minutes de la haine » qui sont organisées quotidiennement.

Ce Goldstein peut aussi être considéré, tout comme Big Brother, comme une allégorie immortelle. En l'occurrence une personnification du mal, de la déviation par rapport au parti. On pense évidemment à l'« Ennemi du Peuple » dont se servait Staline, dont le régime totalitaire aura largement inspiré le roman dans son ensemble.

Pour comprendre cette critique il n'est pas inintéressant de savoir qu'Orwell était proche de Trotsky politiquement. Il ne fait pas dans son roman une critique du communisme, mais bel et bien du « communisme réel » de Staline qui ne fût, en fait, pas du communisme.

Contexte

La thèse qu'Orwell expose à travers le manifeste du « traître » Emmanuel Goldstein (Du collectivisme oligarchique) suppose que le pouvoir peut employer la misère à des fins politiques : Goldstein attribue les pénuries sévissant sous l'« angsoc » à une stratégie délibérée du pouvoir plutôt qu'à un échec économique.

Le totalitarisme orwellien est très clairement inspiré du système soviétique, avec son Parti unique, son chef objet d'un culte de la personnalité, son régime d'assemblée, sa confusion des pouvoirs, ses plans de productions triennaux, son militarisme de patronage, ses parades et manifestations « spontanées », ses files d'attentes, ses slogans, ses camps de rééducation, ses confessions publiques « à la moscovite » et ses affiches géantes. On peut aussi y voir des emprunts au nazisme et au fascisme.

Analyse

1984 s'inspire d'un ouvrage de l'écrivain russe Ievgueni Zamiatine intitulé Nous autres et paru en 1920 ; lui aussi donne la description d'une dystopie totalitaire. Zamiatine a participé à la Révolution d'Octobre en Russie, mais il a ensuite pris ses distances lorsque l'Etat a commencé à devenir totalitaire. Au XXe siècle, des régimes se réclamant du socialisme, du communisme et du marxisme s'établissent pour la première fois en Europe et ailleurs. C'est à ce moment-là que les dystopies majeures de l'histoire littéraire voient le jour. Par exemple Nous Autres de Ievgueni Zamiatine est écrit en Russie en 1920, c'est-à-dire au lendemain de la Révolution soviétique. Zamiatine dénonce les risques de la société qui se dessine en Russie : au nom de l'égalité et de la rationalité, l'État organise et contrôle méticuleusement les moindres aspects de l'existence de ses citoyens ; la vie privée est abolie. Zamiatine critique la volonté de vouloir planifier et rationaliser tous les aspects de l'existence et de refuser à l'homme le droit à toute fantaisie. Cela pose la question de la place de l'État, même s'il est socialiste, mais aussi de la suppression de la propriété privée qui ne devrait peut-être être que la suppression de la propriété privée des moyens de production...

En 1948, le roman 1984 s'attaque lui aussi à un régime communiste, le régime stalinien. Il serait cependant exagéré d'en faire une critique de la doctrine marxiste. Le monde de 1984 ne ressemble en effet en rien à une société égalitariste. Selon ses propres déclarations, ce que dénonce Orwell dans son roman, c'est le totalitarisme qu'incarne en 1948 le régime de Joseph Staline mais, plus encore, le danger d'une généralisation mondiale de ce totalitarisme : il pense que « les graines de la pensée totalitaire se sont déjà répandues » chez la jeune classe politique de 1948. Écrivain engagé à gauche (proche de la IVème Internationale), Orwell souhaitait par ce roman combattre la fascination qu'exerçait sur un certain nombre d'intellectuels britanniques de l'époque le régime soviétique. Le monde de 1984 n'est pas l'URSS de 1948 (il est bien pire) mais de nombreux détails y font allusion : l'Océania est dirigé par un parti (nommé simplement « le Parti »), la doctrine officielle s'appelle « angsoc » (« socialisme anglais »), le visage de Big Brother rappelle celui de Staline et la falsification des documents fait allusion aux falsifications des photographies opérées par le régime soviétique de l'époque.