Publié le Mardi 29 avril 2025 à 17h00.

Olivier Martin, dit Olive

Adieu camarade. Olivier Martin, plus connu comme « Olive », est parti le samedi 26 avril après quinze ans de lutte contre une sale maladie pour rester à nos côtés. C’est aujourd’hui avec cette absence définitive qu’on se rend compte de la place essentielle qu’il a occupée tout au long d’une vie militante, quels que soient les secteurs dans lesquels il s’est investi et les nombreuses responsabilités qu’il a eu l’occasion d’exercer.

Une enfance pas toujours facile, entre le divorce de ses parents puis les allers-retours entre la Charente d’origine et Paris. Une scolarité conflictuelle avec une succession d’établissements scolaires et une autonomie bienfaitrice, mais peut-être trop précoce, qui ont en tous les cas forgé ce tempérament contestataire, rebelle, chaleureux et bon vivant qui, je pense, le caractérise aux yeux de tous celles et ceux qui ont eu l’occasion de parcourir un bout de chemin, voire beaucoup plus à ses côtés.

Lycéen en 1968

Tout a vraiment commencé en 1967 quand, élève au lycée Michelet où nous nous rencontrons pour une mobilisation contre la venue d’un commando d’Occident, avec un regard complice nous les virons vite fait bien fait. C’est le début d’une longue amitié et d’une superbe aventure qui ne s’est jamais interrompue : la création des CAL (comités d’action lycéens), la création des comités Vietnam. Son adhésion à la JCR nous réunit pour la première fois avec Philippe, mon frère, Michel Reccanati, Romain Goupil, puis JP et tant d’autres. Le SO (service d’ordre) lycéen est né, et bientôt les fachos comprennent qu’il n’y a plus de place pour eux dans et aux abords des lycées parisiens. Le matin, on se lève en chantant, le soir on se couche (assez tard) en rêvant, entre temps on fait la fête, quand on ne réfléchit pas à ce qu’on doit et peut faire pour soutenir les combattantEs vietnamienEs ou Cuba, boostés par les appels du Che, de l’Oncle Ho qui renvoient au cimetière des éléphants, comme dirait Schmoll – son chanteur préféré – le quarteron de vieillards censés incarner la révolution mondiale !

Emportés par la certitude qu’un monde meilleur est à portée de main, Mai 68 nous galvanise et nous devenons militants 24/24 h. Avec la JCR, on est de toutes les mobilisations, de tous les affrontements, persuadés que le devoir de tout révolutionnaire, c’est de faire la révolution. On s’en donne à cœur joie. Certes, la fin de l’épisode est plus douloureuse, mais la sagesse de la réflexion et la richesse de nos débats, nous requinquent : ce n’était qu’une répétition générale. Nous voilà prêt à un travail de longue haleine, de conviction, de formation et de construction d’un véritable parti révolutionnaire avec des pratiques exemplaires de rupture et d’affrontement pour rallier à nos couleurs les meilleurEs acteurs et actrices des mouvements sociaux, pour que le prochain rendez-vous social soit le bon.

Au cœur des mobilisations

La vie sociale a transformé le jeune militant fougueux en un révolutionnaire professionnel qui devient avec le temps un des rouages essentiels de la Ligue. Ensemble, au secrétariat étudiant, avec François Sabado, Philippe, Josette et Janine Trat, la Ligue devient la force structurante des mobilisations étudiantes. Simultanément, on poursuit la politique antifasciste, et le SO, dont Olive devient un des dirigeants après la manif contre le meeting d’Ordre nouveau au Palais des sport pour les élections municipales de 1971, devient un outil de protection de nos actions, d’encadrement des mobilisation et d’organisation d’actions exemplaires, comme les banderoles avec des lettres de feu, les manifs surprises par rendez-vous de groupes de 10, qui un jour surgissent sur la place du Tertre pour constituer, au cœur de Paris le temps d’une soirée, une zone libérée en solidarité avec les combattantEs vietnamienNEs. Un autre jour, ces mêmes groupes de 10, repartis sur tous les quais de la station République, jaillissent au milieu de la manif de la gauche et des syndicats pour la paix au Vietnam. Des milliers de manifestantEs derrière le service d’ordre de la Ligue, les calicots du Che, de l’oncle Ho et une énorme banderole « FNL vaincra », puis les tambours, les musicienNEs du Grand Magic Circus avec Jérôme Deschamps, puis Jacques Higelin qui dirige le chœur parlé, préparé dans le grand amphi de la Sorbonne. « Debout frères vietnamiens, soldats de toute première ligne, de Danang à Qang Tri. Des plaines aux hauts plateaux, vive le peuple en armes ! »

Olive devient le responsable et l’animateur essentiel du SO après 1973 et la manifestation contre le meeting du Front national et la dissolution de la Ligue, et ce, pendant plus de dix ans. Il est celui qui participe activement à féminiser le SO tant au niveau des groupes de base que de sa direction.

En 1974, il est un des animateurs des comités de soldats, créés dans la foulée de « l’Appel des Cents » signé par des milliers de soldats. En 1975, il part avec Charles Michaloux au Portugal pour aider les militantEs de la section portugaise pendant la Révolution des Œillets. À son retour en France, il entre au comité central puis au bureau politique où il reste jusqu’à la création du NPA. Il est responsable du secteur étudiant.

Des engagements politiques et syndicaux

En 1984, il devient secrétaire de rédaction et responsable de la diffusion du journal Rouge jusqu’en 2007. Il sera aussi trésorier de la LCR.

Très impliqué dans nos actions de solidarité avec les militantEs Kanak, il participe régulièrement avec son ami Arnaud Nicoladze à l’accueil et la protection de Jean-Marie Tjibaou lors de ses passages en France.

À partir de 1980, Olive est éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse où je travaille depuis quatre ans et où il retrouve Arnaud et beaucoup d’autres. C’est plus d’une dizaine d’années de luttes, de combats syndicaux, de discussions sur la recomposition syndicale, la scission de la FEN, la création de la FSU et, cerise sur le gâteau, le bonheur de partager plus de 6 grèves reconductibles dont la majorité sont interprofessionnelles. La première en 1988 marque l’image du SNPES, notre syndicat. Olive est représentant du Val-de-Marne, Anne Leclerc est secrétaire régionale Île-de-France, et je suis au bureau national, qui pour la première fois de son histoire, à la suite de l’intervention des copains et des copines, décide d’appeler à une grève reconductible pour une augmentation de 1000 francs pour tous les personnels. Elle fait rapidement tache d’huile, et de très nombreuses directions sont occupées. Une manif nationale regroupe à Paris devant la chancellerie plus de 10 % des personnels. Face à cette détermination des négociations s’ouvrent.

La direction nous propose 10 francs par mois et prétend que c’est un effort énorme de sa part, car pour 5000 agents, cela représente 60 000 francs par an.

On leur répond qu’elle n’a pas dû très bien nous entendre, qu’on ne fait pas trois semaines de grève pour 10 francs ! La direction fait la sourde oreille. On se lève et on décide que les négociations sont dorénavant directement sous le contrôle des salariéEs. Nous mettons en place un lien avec toutes les AG qui se tiennent, téléphone en main avec haut-parleur ouvert pour qu’ils entendent comment sont reçues leurs propositions : 40 francs, 80, 150, 300 et vers 5 heure du matin, 400 francs ! Les AG pensent qu’on n’aura pas plus et estime qu’avec 40 fois plus que la première offre on est largement gagnant. Elles sont pour la signature, ce qui sera fait avec le paiement de tous les jours de grèves ! Le « dialogue social » à la PJJ vient de prendre une nouvelle coloration, et ça va durer pas mal de temps !

De la campagne Juquin à celle d’Olivier Besancenot

En 1988, Olive s’investit fortement avec ses amiEs, Hélène Adam, Christophe Aguiton, Francois Coustal dans la campagne présidentielle pour la candidature de Pierre Juquin. À la fin de cette campagne, à l’occasion d’un débat difficile après des résultats décevants, ils créent un regroupement, « le groupe de travail », pour ouvrir un débat sur la perspective de la création d’un mouvement politique à gauche de la gauche, large et pluraliste, ainsi que sur la nécessité de la création d’un mouvement de masse de lutte contre le Front national

En 1990, il participe à la création de Ras l’Front avec Rémi Baroux, Maurice Rajsfus, Gilles Perrault, René Monzat, Didier Daeninckx, Albert Jacquard, Francis Jeanson, et une très importante participation des militantEs de la LCR aux comités Ras l’Front qui se développent dans toute la France : manifs contre les meetings du FN, banderole géante Ras l’Front « Non au fascisme, non au racisme » déroulée sur la façade d’un immeuble de la place des Pyramides devant les troupes FN rassemblées autour de la statue de Jeanne d’Arc !

Olive aide les copains de Toulouse, en 1997, pour la sortie du CD du groupe Zebda que la LCR finance et dont le titre « Motivés » sur l’air du chant des Partisans deviendra le hit numéro 1 de toutes les manifs pendant de longues années.

En 2002, sous le choc du FN au 2e tour de la présidentielle et pour donner un sens au score d’Olivier Besancenot, avec l’appui de presque tous les camarades de la LCR, responsables syndicaux et étudiants, Olive et François Coustal convainquent le BP d’appeler à un manif anti-FN, et de transformer le second tour en un référendum anti-Le Pen

Les derniers combats

Les années qui suivent sont un cheminement vers la création du NPA, tentative de réaliser le mouvement politique large qu’avec ses camarades du groupe de travail ils avaient proposé quelques années auparavant.

La place prise par certains courants sectaires dans le NPA amène Olive à tirer un bilan d’échec et, avec d’autres camarades, de se lancer dans une nouvelle démarche avec la création de la Gauche alternative puis d’Ensemble, d’intégrer le Front de Gauche et enfin de créer la GES (Gauche écosocialiste). Puis, la maladie s’est installée sournoisement. Ce fut le dernier combat pour la vie : 15 ans, avec à ses côtés Zizou, sa compagne, qui a partagé ces moments douloureux pour tous les deux et qui a contribué à ce que cette fin de vie soit plus heureuse et plus douce. Merci Zizou !

Quelques jours avant la fin, Olive m’a dit doucement : « Tu te rappelles ce qu’on pensait à nos débuts, on voulait un monde meilleur qui semblait à notre portée, et on se retrouve avec la possibilité du pire. » Je crois qu’il enrageait qu’on ne puisse plus avoir le temps de construire ensemble un mouvement de résistance le plus large possible pour que le pire n’arrive pas. Adieu mon copain, mon ami, mon camarade ! No pasarán.

Alain Cyroulnik

Un hommage sera rendu à Olive lundi 5 mai 2025 à 15h30 au Père-Lachaise.